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Le soir de novembre 1938 où l'Allemagne retomba dans la barbarie, le couple Heydrich était allé se coucher de bonne heure, dans sa maison de Berlin-Schlachtensee. Des coups frappés à la porte de la chambre éveillent soudain Lina, tandis que son époux continue de dormir. "Qui frappe ?" crie-t-elle. Le garde du corps répond : "C'est Schmidt. Le général doit appeler le bureau tout de suite!" Elle demande : "Qu'est-ce qui se passe ?", la réponse tombe : "Les synagogues brûlent!" Elle réveille son mari. Il se dépêche de revêtir son uniforme noir et part en trombe. Il ne revient que plusieurs heures après et paraît à sa femme "troublé et absent". Il déclare pour finir : "Ils ont tout cassé", saccagé et pillé les magasins... On ne pourra plus freiner les agressions contre les Juifs, à présent."
C'est ainsi qu'apparaît le rôle de Heydrich dans la "Nuit de cristal" du 9 au 10 novembre 1938 - au moins si l'on en croit Lina Heydrich et ses Mémoires (Leben mit einem Kriegsverbrecher, "La vie avec un criminel de guerre"). Mais rien de tout cela n'est vrai.
Ce soir-là en fait, comme tout ce que le nazisme comptait d'élites, Heydrich était à Munich, loin de Lina. ...
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Dans l'intimité, Heydrich laissait déjà percevoir qu'il voulait être un jour "le premier homme dans le Reich allemand". Le Führer vieillissant aurait pu prendre alors une fonction purement cérémonielle. En marge des championnats d'escrime à Bad Kreuznach, en 1941, Heydrich aurait même dit à deux amis sportifs - en termes assez vifs - qu'il mettrait Hitler hors d'état de nuire, si "le vieux foutait la merde".
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C'est qu'entre-temps, la Gestapo et le SD s'étaient comportés à merveille à l'occasion de l'entrée du Führer en Autriche : exploitant les listes dressées par les services de Heydrich, ils avaient arrêté tous les opposants, et jeté en un tournemain sur le petit pays alpin les filets de la police d'État. Le 14 mars, le Führer célébra à l'Hotel Imperial de Vienne la parfaite réussite de l'Anschluss de l'Autriche à l'Altreich ("Ancien Empire"), au mépris du diktat de 1919. Il loua publiquement Heydrich : "Vous avez contribué de façon décisive à l'abolition du traité de Saint-Germain. C'est magnifique et je vous en remercie !"