Interview Marjolijn van Heemstra
Je songe à ce que m’a dit un jour un ami historien : de tous les documents produits au cours de l’histoire , moins de 0,001 % sont conservés .Deux choses qui ne se trouvent pas dans les documents historiques : ce qu’à l'époque on considérait comme su et que personne ne voulait avoir en sa possession .
- On ne rend absolument pas justice aux morts en racontant une histoire . Au contraire , je crois bien que c’est l’inverse.
Je songe à ce que m’a dit un jour un ami historien : de tous les documents produits au cours de l’histoire, moins de 0,001% sont conservés. Deux choses ne se trouvent pas dans les documents historiques : ce qu’à l’époque on considérait comme su et ce que personne ne voulait avoir en sa possession.
Pour la première fois , j’entends à quel point ´ L’histoire avec un grand H ´ est comme un être vivant , quelqu’un envers qui on est redevable .
Je pense au cartographe qui a dessiné la carte de l’Antarctique. A-t-on déterminé pour lui la quantité de blanc qu’il devait y mettre ? Y a-t-il eu concertation à propos de l’opportunité ou non d’inscrire sur la carte l’une ou l’autre superficie encore non découverte ? Comment représente-t-on L’inconnu ? Tout commence par l’échelle, évidemment. Un sur autant. Telle est la première question du cartographe : quelle échelle utiliser ?
Cela a quelque chose d'absurde pour moi de retrouver sur de simples courriers de la mairie des dates que j'associe à la guerre et aux camps de concentration. En octobre 1944 aussi, les gens payaient des taxes et des amendes pour excès de vitesse. J'ai toujours envisagé l'occupation des Pays-Bas comme une période d'anarchie et de chaos. de paralysie des institutions. Or, en novembre 1941, Frans souscrit une assurance vie pour 71,30 florins. La boîte contient vingt-huit amendes pour excès de vitesse. Sur les autoroutes d'avant guerre, la vitesse autorisée était manifestement de soixante kilomètres heure ; Frans faisait régulièrement du quatre-vingts. Durant l’Occupation, il ne commet plus d’excès de vitesse, mais il reçoit sept procès-verbaux pour stationnement interdit et un autre pour conduite a contresens.
Qu'est-ce que la vie, sinon une suite de circonstances atténuantes ?
Nous faisons comme si nous voulions tout apprendre ou tout comprendre du passé , mais ne réalité , c’est nous - mêmes que nous contemplons .
Mais il est difficile de réaliser que l’histoire est écrite par des gens d’aujourd’hui , difficile de comprendre que ce que recouvre le mot ´ maintenant ´ a changé , difficile d’admettre que les gens qui ont vécu autrefois ont , comme nous , accumulé les tentatives , les erreurs et les décisions délicates à prendre , dont certaines ont , comme pour nous , entraîné des peines et des souffrances .Difficile enfin d'accepter l’idée que ceux qui nous ont précédés , ont été confrontés au chaos et à l’incompréhension du réel , exactement comme nous le sommes aujourd’hui.
Le silence qui entoure le cousin à la bombe m’inquiète. Les traces argentées que j’ai vu scintiller au soleil ces dernières semaines m’avaient donné le sentiment de jouir d’une vue d’ensemble. Lentement mais sûrement, des détails apparaissaient sur le blanc de la carte. Maintenant, la vacuité du paysage recommence à hanter mes pensées. D. dit que je ferais mieux de me concentrer sur la vie à naître que sur celle d’un mort. Mais je crois que je suis devenue incapable de les considérer isolément l’une de l’autre.
Mes recherches commencent à le fatiguer. On finit par se chamailler, et on en revient toujours au même point, D. dit que ce n’est qu’un nom, à quoi je réponds qu’un nom est toujours plus qu’un nom. La façon dont on appelle quelqu’un est un rappel, le premier et le plus important qu’on ne reçoive jamais.
Ce n’est qu’un mot, assène D.
C’est un repère.
Cela ne dit rien de la personne qu’il va devenir, réplique-t-il.
Cela dit tout de la personne que je veux qu’il devienne.
On joue ainsi au ping-pong, jusqu’au moment où D. lève les bras au ciel, comme s’il appelait à la rescousse une aide supérieure, et abandonne la partie en secouant la tête. Ce n’est pas qu’il me donne raison, mais il a lu quelque part ça ne sert à rien de discuter avec une femme enceinte.