La vie est une question d'équilibre, de petites victoires et d'échecs sans gravite. J'avais passe des années à attendre qu'il m'arrive quelque chose, que des événements m'embarquent dans l'inconnu. Même si cela m'a d'abord dérouté, j'ai fini par comprendre que la vie est ainsi : imprevisible, incontrôlable, excitante.
Enfin, venait la Solitude. C'etait peut-être la plus terrifiante des Furies, car elle, pouvait me vider lentement de mon énergie, meme si j'étais entouré. Tandis que les gens allaient et venaient, discutaient, se disputaient, se reconciliaient et se fachaient de nouveau, je sentais les doigts osseux et paralysant de la solitude se resserrer sur mon coeur.
Mais au fil du temps, j 'ai appris que peu importe la facon dont on arrive quelque part, tant on merite d'y être. J'ai peu a peu pris confiance en moi
C’est la Frustration qui est apparue la première. S’il existait une médaille olympique pour lutter contre ce sentiment, je l’aurais sans aucun doute gagnée. La Frustration s’était insinuée en moi comme un serpent et dévorait tout mon être. La Peur était certes un coup de poing violent dans mon ventre, et la Solitude, un poids mort sur mon dos, mais la Frustration commençait dans ma poitrine, tordait mes intestins comme de la tôle froissée et envahissait l’intégralité de mon corps. Chacune de mes molécules, infectée par son passage, vibrait de colère.
Le pire, ce sont les soi-disant aides-soignants dont la cruauté prend une tournure personnelle. Des gens qui s’imaginent supérieurs aux autres m’ont appelé l’« obstacle », l’« âne » et le « gravat ». Seulement, ils ne font qu’étaler leur bêtise en agissant ainsi. Pensent-ils vraiment qu’un enfant à l’intellect limité ne peut pas ressentir le vice lorsqu’on le touche ou percevoir la colère dans le ton d’une voix ?
Telle une tortue qui rentre dans sa carapace, j’ai appris à échapper à la réalité dans les rêves. Conscient que j’allais passer le restant de ma vie dans cet état d’impuissance, j’ai décidé de renoncer à toute tentative de communication, me contentant de fixer le monde d’un regard vide.
J’utiliserai des symboles, car je ne sais ni lire ni écrire. Les lettres ne signifient plus rien pour moi. Désormais, ce seront les symboles qui dirigeront ma vue : je les vivrai et les respirerai tout en apprenant leur langage. On a conseillé à mes parents de me constituer un classeur de mots accompagnés d’illustrations. Pour « bonjour », un bonhomme en bâtons lève la main ; pour « j’aime », on voit son visage en gros plan qui sourit ; et pour « merci », une tête en forme d’œuf a les deux mains posées sur le menton.
Quelques heures de voiture, et on se retrouve au milieu des collines recouvertes de broussailles jaunes où les lions guettent leurs proies.
Après leur passage, les hyènes viennent récupérer les restes, puis c’est au tour des vautours, qui débarrassent les os de leurs derniers lambeaux de chair. Rien n’est perdu. Le royaume animal est un cycle parfait de vie et de mort, aussi infini que le temps lui-même.
Je passe chacune de mes journées dans une institution, à la périphérie d’une grande ville d’Afrique du Sud.
M’adapter à ma nouvelle vie a été parfois stimulant, parfois effrayant. Il y a tellement de choses que j’ignore et je me sens souvent dépassé. J’ai beaucoup à apprendre en peu de temps, mais, ce qui est certain, c’est que ma vie est en train de changer radicalement, et dans le bon sens.