Citations de Maurice Magre (36)
Nous étions seuls, le tigre et moi, au milieu de la forêt, séparés par les barreaux de la cage. Je le considérai un instant et il me sembla que le seul oeil qui vivait dans son mufle, son grand oeil vert et phosphorescent était une lampe qui éclairait non seulement la clairière devant lui et les arbres qui l'entouraient, mais aussi les profondeurs de mon âme.
La nature a trouvé les mirages de l'amour pour nous inciter à avoir de nombreux enfants. Ayons l'air d'entrer dans ses vues, mais jouons lui le tour de ne pas aller jusqu'au bout de la course. Arrêtons nous à l'instant admirable et si rapide où, par l'échange de la sympathie mutuelle, il nous vient un agrandissement de nous même, une possession du divin qui, pour s'évanouir promptement, n'en semble pas moins être ce qu'il y a de meilleur sur terre.
La recherche de la minute parfaite où l'individu, oublieux de la survie de l'espèce, se réalise dans l'amour, voilà le vrai but qu'il faut poursuivre.
Une vue supérieure des choses est lente à nous venir. Tout dépend, évidemment, du nombre de vies que l'on a derrière soi.
LES LÈVRES ET LE SECRET
ENVOI
Je suis pareil à cet enfant
Qui, laissé seul, dans sa détresse
Fit une lettre et, comme adresse,
Mit simplement : Paris, maman…
De ceux qui m’aimeraient, peut-être,
Moi aussi je suis seul très loin ;
Au hasard, j’ai jeté ma lettre…
Que les hommes en prennent soin !
Pour des êtres charmants et tendres,
Dont j’ignore même le nom,
J’ai fait ces petites chansons…
Puisse une femme les comprendre !
J’ai transcrit là sincèrement
Mon cœur ingrat et peu fidèle…
Maman, Paris… écrit l’enfant…
Mais la lettre arrivera-t-elle ?…
Tu t'aprecevras vite qu'à Paris, plus qu'ailleurs, les hommes sont divisés en deux catégories: ceux qui ont de l'argent et ceux qui n'en ont pas.
Le but de la vie, ce qui nous donne la plus grande somme de bonheur possible est donc de plaire aux femmes, de conquérir des maîtresses attrayantes et jolies.
Connaître le but de la vie est la chose principale. Quand cette vérité me fut révélée, je compris que j’avais marché jusqu’alors comme un aveugle en tâtonnant et que maintenant seulement je voyais la lumière
C’est une chose très merveilleuse que de beaux yeux puissent pleurer des milliers de larmes sans que ni leur éclat ni leur couleur n’en soient altérés.
L’AMITIÉ DE L’OISEAU
extrait 1
O le messager
De la bienvenue
Poète léger
À l’aile ingénue !
O le petit cœur
Buveur de rosée
Et d’une liqueur
De rose écrasée.
O fils des Devas,
Porteur de panache,
O toi qui t’en va,
O toi qui te cache !
O consolateur
Des peines si rudes
Dont souffrent les fleurs
Dans leur solitude !
…
p.55-56
Je me demande souvent, le soir en me couchant, si pendant la journée qui vient de s'écouler je n'ai pas fait un pas en arrière vers la déchéance que je redoute.
Ne suis-je pas devenu un homme sérieux ?
[...]
N'ai-je pas désobéi à ce serment ? Ne me suis-je pas enfui ce matin en voyant un homme donner des coups de fouet à un cheval au lieu d'arrêter courageusement le bras de l'homme ? N'ai-je pas approuvé ce soir par faiblesse la sottise de la conversation ? Est-ce que ma susceptibilité à m'émouvoir devant la beauté n'est pas devenue un peu moins grande ?
Ah ! certes, je ne pourrais plus pleurer comme jadis à cause d'une statue qui lève les bras. L'accent de certains vers ne me donne plus cette tristesse mêlée de joie qui est peut-être une communication instinctive avec le divin. Il ne faut pas trop demander à soi-même et certaines émotions demeurent le privilège des premières années.
Mais que la lumière des pensées ne se change pas en ombre ! Que les livres me soient aussi chers aujourd'hui qu'hier et que je persiste avec une égale ardeur à y chercher l'intelligence !
Pendant longtemps l'idée de déchéance fut associée pour moi à l'idée de famille. Pendant longtemps je fus hanté par la vision d'un petit pavillon ouvrier entre d'autres petits pavillons semblables, par l'enfant qui joue, l'épouse qui coud, par l'horrible chromo du bonheur domestique au profit duquel on abdique l'âme.
Il y a un drame terrible qui est celui de la mort de la jeunesse. Elle meurt silencieusement et celui qui la perd ne le sait pas. Il perd ce qu'il y a de meilleur en lui et au moment de cette perte, par une curieuse aberration, il compte et admire ce qu'il a acquis. Il ne s'enthousiasme plus et s'en félicite. Il se félicite aussi de ne plus gaspiller son temps à de longues confidences entre amis. Il faut réussir. Il faut mener la vie d'un homme. La jeunesse est tuée quelquefois par la situation, quelquefois par la famille, presque toujours par l'argent.
Mais ce qui me troublait profondément, c'était la correspondance que j'établissais entre le chant de l'oiseau et mon propre désir intérieur de voir la lumière. Moi aussi, je sentais que le soleil levant était proche, que les ombres du mal allaient se dissiper dans la forêt de mes pensées et j'aurais voulu pouvoir regarder, du haut d'un cocotier poussé en plein ciel de l'âme, la naissance de mon soleil.
Je serai doux, timide, obéissant et sage.
Le silence de Dieu me parlera tout bas.
Je boirai longuement comme on boit un breuvage
L'ancienne volupté d'être pris dans des bras.
Le véritable but de la vie est de parvenir à y vivre.
S'il est douloureux de reconnaître que les hommes sont mauvais, il l'est bien davantage de toucher du doigt ses propres mauvais sentiments.
On n'accomplit jamais une grande action, si on ne l'a pas d'abord créée par l'esprit en la racontant à quelqu'un qui croit. Car il faut un point d'appui pour toute réalisation et la foi est la plus solide.