On ne peut se représenter un monde où il n'y aurait que la parole, mais on peut se représenter un monde où il n'y aurait que le silence.
Et quand cette monstruosité advenait, elle était recouverte par la noire mélancolie des autres hommes, des hommes qui voyaient le forfait : la mélancolie de Tacite est comme une nuée qui descend sur les forfaits de Néron; les phrases lourdes de sens de Tacite sont comme l’orbite d’un astre sombre, dont l’éclat absorbe les forfaits de l’empereur
Mais quand deux hommes s’entretiennent,
il y a toujours un tiers présent : le silence ; il écoute.
Ce qui donne de l’ampleur à la conversation,
c’est que les paroles ne se meuvent pas
dans l’espace étroit des interlocuteurs,
mais qu’elles viennent de loin,
de là où le silence écoute.
Le silence n’est rien de négatif, il n’est pas le simple fait de ne pas parler, il est quelque chose de positif. Il est par soi-même un monde.
La parole qui ne provient que d’une autre parole est dure et agressive. Une telle parole est aussi solitaire ; une grande partie de la mélancolie aujourd’hui provient de ce que l’homme a rendu la parole solitaire en la coupant du silence.
Le silence est aujourd’hui l’unique phénomène qui est “sans utilité“. Il n’a pas de place dans le monde de l’utile contemporain ; il n’est rien que là, il semble n’avoir pas d’autres fins, on ne peut l’exploiter.
Le silence peut exister sans la parole, mais non la parole sans le silence. La parole serait sans profondeur, s’il lui manquait l’arrière-plan du silence.
Le silence est un phénomène originaire, c’est-à-dire que c’est un donné premier que l’on ne peut reconduire à rien d’antérieur.
La parole s’abîme dès qu’elle a perdu tout rapport avec le silence.
Quand deux hommes parlent ensemble, il y en a toujours un troisième parmi eux : le silence qui écoute.