Michael Gruber

Je suis chercheuse. La Santería fait intervenir beaucoup d’herbes, et mon métier consiste à identifier les remèdes populaires intéressants du point de vue pharmacologique. Quant au reste, la divination, les orishas… disons simplement que ça procure à certaines couches sociales une forme de thérapie relativement peu onéreuse et un réconfort psychologique.

On l’appelle aussi ekwele. Ça sert à deviner l’avenir lors des cérémonies de Santería et dans les autres cultes dérivés originaires d’Afrique de l’Ouest. Vous n’y avez jamais assisté ?

D’après eux, au Nigeria – ils prononcent Niggeria, comme Nigger, Nègre –, il y aurait des quantités d’opportunités pour les hommes d’affaires.

Dieu seul sait ce qu’il y avait de vrai dans tout ça. Ce qui brise irrémédiablement toute confiance, vous rend faible et petit, empoisonne le passé, efface le souvenir de la joie, restreint même les possibilités de joie à venir ? La trahison de ce qu’on a de plus cher, au fond du cœur, et c’est une trahison qu’on s’impose à soi-même.

On ne devrait pas laisser entrer n’importe qui dans ce pays. Ça ne veut pas dire que je mets tout le monde dans le même sac, absolument pas, mais…

Elles se plaignent toujours des Jamaïcains et de leurs compatriotes bahamiens. Elles n’arrêtent pas de dire et de répéter que ce sont des races inférieures, sans foi ni loi. « Et les Haïtiens, donc ! » Je me laisse bercer par leur bavardage comme par le murmure d’un ruisseau, sans y faire vraiment attention.

Elles ont toutes les deux acquis, avec leur citoyenneté, des habitudes corporelles américaines et elles s’efforcent de contrôler leur poids. Elles savent que pour gravir l’échelle sociale, en Amérique, il faut être mince. Elles ont fait de meilleures études que Mme Baley et elles parlent un anglais plus châtié. Elles suivent toutes les deux des cours à Miami-Dade, et elles auront leur diplôme et elles feront grimper leur accent impérial au-delà du niveau de la Facturation, peut-être même jusqu’à l’Administration.

Papa a tenté de se rapprocher de lui, c’était un type bien, mais Josey ne se laissait pas faire. L’orgueil, sans doute. Il redoutait qu’on ne lui mette le grappin dessus, caractéristique qu’il ne partageait assurément pas avec sa mère ou avec son autre demi-sœur. Il voulait être celui qui donnait. Et puis il ne devait pas être très amusant d’être le fils de Lily Mount Doe.

Quand j’étais petite et que j’apprenais à jouer aux cartes, je pensais que la reine de carreau était le portrait craché de ma mère.

Les Olo n’ont pas de mot pour dire « simple ». Ils n’ont jamais appris à diviser le monde entre le signifiant et l’insignifiant, et c’est l’une des raisons pour lesquelles ils ne sont plus que douze cents au monde, et que ce qu’ils savent disparaîtra bientôt de la mémoire des hommes.

Le sexe renforce le fana, de même que le bonheur et la satisfaction, la joie et la colère, et c’est pourquoi je prends garde à ne pas m’impliquer actuellement dans ces choses. Évidemment, il y a la petite fille et mon amour pour elle, qui doit provoquer une petite bulle chaude dans le vieux m’doli, au cas où quelqu’un regarderait, mais je n’y peux rien.

C’est que la Facturation est le cœur de l’hôpital. Sans la Facturation, comment les infirmières pourraient-elles effectuer leurs soins, les chirurgiens charcuter leurs patients, les spécialistes de médecine interne s’interroger, les psychiatres administrer leurs drogues ? Réponse : ce serait impossible ; et les gens tomberaient comme des mouches dans les rues.

Quand je parle d’invisibilité, c’est de l’invisibilité urbaine, à l’américaine, que je parle, pas de faila’olo, l’invisibilité des sorciers, que je n’ai jamais réussi à maîtriser. Mais j’imagine que mon mari y est assez bien arrivé, lui.

Le lait de la tendresse humaine coule à flots sur les parquets cirés. On en a jusqu’aux chevilles. Les enfants sont bien propres sur eux, portent des vêtements griffés ou des trucs à la lisière entre le pseudo-hippie et le faussement négligé, choux comme tout, et les mères sont aussi joliment chromées que leurs Mercedes et leurs Range Rover. Sous ce déferlement de gentillesse, je me fais l’impression d’être une démone, une diablesse ou une t’chona, la sorcière des fleuves olo, qui vient la nuit s’asseoir sur la figure des dormeurs pour qu’ils rêvent qu’ils s’étouffent, sauf qu’ils ne rêvent pas.

Maintenant, elle m’appelle Mère, « Mother », ce qui peut paraître curieusement formaliste, mais je n’ai rien contre, sauf qu’elle prononce « Muffa », et que j’ai l’impression d’entendre m’fa, ce qui veut dire « socle », ou « support », en olo. Au sens propre du terme, ça désigne le petit support court sur pattes, en rotin, sur lequel le babandolé pose son zanzoul, le récipient rituel où l’on mélange les éléments magiques pour générer le pouvoir, ou ashé, comme ils disent.

J’ai gommé le peu de séduction qu’il aurait pu conserver en choisissant des lunettes de clown en plastique bleu, avec des verres photosensibles qui présentent l’avantage de foncer la teinte de mes iris, naturellement gris-vert clair. J’évite systématiquement de croiser le regard des gens, et je doute qu’il y en ait beaucoup, à mon travail, qui soient capables de dire de quelle couleur sont mes yeux. Ma coiffure, mes lunettes me vieillissent de dix ans et me donnent l’air d’être « rangée des voitures ». Ce qui est tout à fait le cas.

Une plante tropicale peu commune est impliquée dans un meurtre, et vous ne pouvez rien dire. Il se pourrait qu’il ait été commis par un botaniste tropical…

: « L’oreille qui entend, l’œil pour voir, c’est le Seigneur qui les a faits tous deux. » Nous devons suivre l’œil et l’oreille, où qu’ils nous mènent.

Il éprouvait de la compassion pour les gens, tous les gens, les victimes comme les truands, et pourtant ça ne lui mettait pas le cœur en lambeaux putrides. Paz lui-même s’interdisait d’éprouver quoi que ce soit, en dehors d’une colère glacée, on ne peut plus raffinée.

...il y a des moments où il faut combattre, des moments où il faut fuir et des moments où il ne faut rien faire.