Les bylines (chants épiques) baptisent Vladimir d’un nom tendre, poétique : le « Soleil Rouge ». Dans l’histoire, il est entré sous l’appellation de Vladimir le Grand. L’Église le compte au nombre de ses saints et en fait « l’égal des Apôtres ». Tant d’attention peut surprendre, mais il n’y a là rien que de très normal : Vladimir a eu, comme aucun autre, un rôle déterminant sur la nature du futur État russe, sur le caractère d’un peuple qui commençait seulement, alors, à se former. On peut donc, à bon droit, considérer son action sur le trône de Kiev comme décisive pour le destin de la Russie.
L’ère nouvelle commence du vivant même de Sviatoslav. Pour la première fois, le prince partage ses possessions entre ses fils. Combien sont-ils exactement, on ne saurait le dire. La polygamie des Normands, qui l’ont importée dans la Rus, permet toutes les hypothèses. On sait en revanche ce que le prince attribua à son aîné et à son cadet, et qu’il permit au plus jeune, Vladimir, bâtard né de Maloucha, la propre intendante d’Olga, de gouverner Novgorod, cité indépendante mais qui entretenait des liens commerciaux étroits avec Kiev. Indociles, les Novgorodiens souhaitaient avoir pour prince un descendant de Rurik, plus à titre d’ornement que pour gouverner : le pouvoir princier était en effet fortement restreint dans la ville par l’assemblée populaire : le viétché.
Pour les Russes, grozny n'a pas le sens de "terrible", "redoutable", comme en français, en anglais ou en allemand, mais d'impérieux, car le pouvoir, dans l'acception qu'ils en ont, est toujours "terrible", "menaçant", et il doit en être ainsi.
Premier historien marxiste russe, Mikhaïl Pokrovski qui devait occuper, après la révolution, des fonctions administratives lui donnant le pouvoir sur le « front historique », allait formuler le principe du rapport au passé : l’histoire, c’est la politique retournée au passé. On trouvera sans nul doute une parenté entre la formule de Pokrovski et l’idée de Pascal évoquée ci-avant. Avec, toutefois, une différence essentielle : le principe marxiste-léniniste a d’abord une valeur pratique. Pessimiste et cynique, l’écrivain américain Ambrose Bierce en vient à la conclusion que « l’histoire est le récit généralement inexact d’événements le plus souvent insignifiants, engendrés par l’action de gouvernants qui, dans leur immense majorité, sont de fieffés gredins, et de soldats presque tous imbéciles ». La formule de Pokrovski permettait à ceux qui exerçaient la direction politique du pays, de ne retenir du passé que ce dont ils avaient besoin, de décider qui, au temps jadis, était un gredin, un héros ou un imbécile, et qui un grand sage, un prophète ayant su annoncer l’avenir communiste.