Depuis 1991, Michèle Petit, anthropologue au Centre National de la Recherche Scientifique, mène des recherches sur les pratiques de la lecture et le rapport à la culture écrite, notamment dans des lieux où l'accès à cette culture n'est pas facilité par le contexte social ou familial.
Elle intervient, le 9 juin 2023, lors du colloque annuel de Lire et faire lire.
" Si je peux raconter ce que j'ai perdu, alors j'ai trouvé un moyen de le garder pour toujours. "
Mais le commerce avec soi, l'accès à la connaissance de sa singularité, peuvent ouvrir à l'autre. Si les livres coupent un temps du monde, ils peuvent le rendre au lecteur transformé, au bout du chemin, et agrandi. (p.217-218)
Ceux qui lisent ne sont pas des pages blanches sur lesquelles le texte s'imprimerait, ils ne sont pas pure passivité. Ils changent le sens des ouvrages, les interprètent à leur guise en glissant leurs désirs, leurs angoisses, leurs questions entre les lignes : c'est toute l'alchimie de la réception.
Ou Joseph Winckler: "Avec mes mots, je dessine une cage autour de la frayeur."
(...) plutôt que de voir dans la lecture un investissement pour des lendemains plus rentables, voyons-là comme un espace où vivre un présent plus vaste, plus intense, où s'accorder au monde, et aux autres, avec un peu de poésie et d'intelligence.
Brodsky, condamné aux travaux forcés près du cercle polaire, lisait Auden où il puisait des forces pour survivre et affronter ses geôliers.
Et si telle phrase a compté, c'est parce qu'elle leur [aux lecteurs] a permis de se reconnaître, non pas tant au sens de se reconnaître dans un miroir que de se sentir un droit légitime d'avoir une place, d'être ce qu'ils sont, ou plus encore de devenir ce qu'ils étaient à leur insu.
Lire, c'est constituer une réserve poétique et sauvage (...), pour aménager des chambres à soi et être le narrateur de sa propre histoire.
Leurs blessures et leurs espoirs secrets, d'autres ont su les dire, dans des mots qui les délivrent, dans des phrases où ils trouvent place, qui dessinent leurs contours; dans des textes qui révèlent celui ou celle qui lit - au sens où l'on dit "révéler" une photo -, qui font monter ce qui était, jusque-là, scellé et ne pouvait se dire.
La lecture relance une activité de symbolisation, et sans doute est-ce là l’essentiel. Un texte peut être l’occasion de renouveler, de recomposer les représentations que l’on a de sa propre histoire, de son monde intérieur, de son lien au monde extérieur.