On en revient à la question juive dans Walka qu’à la mi juin 1941, où on lit que la propagande juive exagère dans l’évaluation de la répression que rencontrent les Juifs, puisqu’ils sont, après tout, « un corps étranger et nuisible dans l’organisme national ».
Voilà pourquoi je creuse et j’accumule, je relie et je recueille. Des morceaux d’histoire déterrés, des rares documents et des paroles, plus rares encore, de mon père, rescapé de l’Holocauste, je construis un récit. Ce livre est né de son silence. Mon père fait partie de ceux qui se taisent. Ce silence est énorme, profond, on peut s’y noyer. Voilà pourquoi j’ai commencé à me souvenir. Contre ce silence, contre l’oubli, contre le néant qui voudrait engloutir tout cela.
Il ne sera pas non plus question du vrai dévouement à la patrie démontré par mes parents polonais, de leur grand courage, de leur bravoure même, peut-on dire parfois. Parce que de nombreux écrits existent déjà sur ce sujet et parce qu’aux-memes ont écrit, tandis que moi (cela peut paraître offensant, mais je revendique en conscience le droit à cette offense) je m’intéresse à ce qu’ils n’ont pas fait, à ce qu’ils n’ont pas vu et qui se déroulait pourtant si près d’eux, tellement près, à portée de main - dans la petite ville singulière de Łęczna...
Que sont des lieux qui ont perdu la mémoire? Que la mémoire des hommes évite, cesse d'atteindre? Et quelle est cette mémoire prodigue qui flotte dans les nuages plutôt que de raconter, retracer des histoires?
Les lieux négligés par la mémoire se consument. Ils deviennent baroques et sauvages, envahis par l'ivraie de l'oubli. A l'instar de Miedzeszyn, ce petit bout de terre boisé, abandonné au milieu des habitations, à une quinzaine de kilomètres au sud-est de Varsovie.
Lorsque Barbara Engelking t'a interrogé, tu as expliqué:
"Simplement, j'ai été obligé de tirer le rideau sur ce qui avait été, pour pouvoir m'adapter tant bien que mal à ce qu'il advint plus tard. Concilier ces deux mondes était pour moi tout à fait impossible. Et ensuite, je n'ai plus su revenir à cet "avant" (...). Sans doute, tout bonnement, ai-je fermé la porte au passé, inconsciemment peut-être. C'était un mécanisme de défense, en quelque sorte. Ensuite, je n'ai plus été capable de l'ouvrir."