Motoaki Hara

L'opposition du pape et de l'empereur
Durant de longues années, le pape et l'empereur, autorités suprêmes sur les plans spirituel et temporel, ont entretenu des relations oscillant entre complémentarité et rivalité. D'un point de vue chronologique, la préséance revient à l'empereur. Mais lorsque l'Empire romain, vacillant devant la menace que représentaient les grandes migrations des peuples sur lesquels il régnait, a été contraint de trouver une force fédératrice, il a choisi d'éradiquer le polythéisme pour faire du christianisme sa religion d'État. Cette relation d'entraide mutuelle n'a pourtant pas duré. Dès le Moyen Âge, les frictions entre spirituel et temporel sont allées crescendo ; on pense notamment aux luttes pour le droit de lever l'impôt ou pour le pouvoir juridictionnel (dont le point d'orgue a été la querelle des Investitures, lors de laquelle le pape s'est violemment opposé à la nomination par l'empereur d'évêques légataires de terres et de biens du clergé), ou encore aux ambitions impériales du roi de France qui ont mené la papauté à s'installer à Avignon : ces crises ont eu pour effet d'amoindrir l'influence de l'Église et d'affaiblir l'Empire.

Péninsule italienne
Coupée en son milieu par les États pontificaux, la péninsule offrait deux paysages radicalement différents. Le Nord, composé de cités-États indépendantes où prospéraient le commerce et l'artisanat, se trouvait sous la tutelle du Saint-Empire romain. Mais dans cette région où le féodalisme n'avait jamais vraiment pris racine, le pouvoir effectif était entre les mains des magistrats de chaque ville. Le Sud, plus agricole, était dominé par une aristocratie fortement liée à la terre et se partageait en deux royaumes : celui de Naples, continental, et celui de Sicile, insulaire.
À l'époque de Cesare, il existait cinq grands États dont l'équivalence des forces permettait le maintien d'une paix précaire : la république de Florence, le duché de Milan (tous deux territoires du Saint-Empire), les États pontificaux, le royaume de Naples et la république de Venise. Mais cet équilibre était fragile... Il y avait de nombreuses querelles pour la succession de la couronne de Naples, et les Sforza, famille de mercenaires à la tête de Milan, voyaient d'un mauvais œil la montée en puissance des Médicis de Florence, qui avaient bâti leur fortune sur la banque. Seule Venise parviendra, grâce à un système complexe de décision collégiale, à conserver une certaine stabilité politique jusqu'à la fin du XVIIIe siècle.

En un sens, Machiavel est un peu le « découvreur » du héros Césare Borgia. Cependant, dans Le Prince, bien qu’il brosse de lui un portait qu’on pourrait qualifier de flatteur, il n’hésite pas à relater de sombres épisodes pour condamner sa sévérité et sa rudesse. "Le Prince" n’est pas un éloge fait à Cesare : il faut voir, au-delà de l’évocation du personnage, le fruit des réflexions politiques d’un homme de terrain livré à travers son analyse des difficultés qu’engendre le pouvoir. Le pragmatisme de Machiavel ne se laisse pas aller au compromis avec la réalité : il s’inscrit dans sa propre norme, ce qui lui confère un caractère parfaitement unique.

La hiérarchie ecclésiastique :
Le pape est le chef et le garant de l'unité de l'Église catholique. L'Église romaine avait pour particularité d'occuper le sol où Pierre, premier disciple de Jésus, serait mort en martyr. Or, la Bible rapporte que le Christ lui avait adressé ces mots : "Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église, contre laquelle la mort elle-même ne pourra rien. Je te donnerai les clés du royaume des cieux." Ces paroles ont valu au clergé romain une déférence toute particulière de la part des fidèles, certains le considérant comme "la maison de Dieu". L'archevêque de Rome occupait de ce fait une place prépondérante qui l'a amené à dominer ses pairs en qualité de pape. La hiérarchie du clergé comporte sept rangs : trois ordres majeurs (évêque, prêtre et diacre) et quatre ordres mineurs (acolyte, exorciste, lecteur et portier). Le titre de cardinal ne s'apparente pas à un rang à proprement parler, mais à une fonction au sein de la Curie. L'unité de base servant à l'administration de la vie spirituelle des croyants est la paroisse ; elle est régie par un prêtre qui porte le titre de curé de la paroisse, chargé entre autres de célébrer la messe du dimanche, les baptêmes et les mariages.

La hiérarchie du Saint-Empire :
Les empires apparus en Europe tout au long de l'Histoire ont toujours revendiqué une filiation avec l'Empire romain. L'empereur, à la fois roi d'Allemagne et d'Italie, avait un rang supérieur à celui de tous les autres princes et souverains séculiers. Protecteur de l'Église romaine et de la papauté, ce n'est qu'une fois couronné à Rome par le souverain pontife lui-même qu'il pouvait se prévaloir du titre suprême. À la différence des rois, à qui on interdisait toute agression hors de leur territoire, l'empereur disposait, s'il agissait dans le cadre de ses prérogatives de maintien de la paix, du droit de frapper de façon préventive. En risquant un parallèle osé, on pourrait avancer que les États-Unis perpétuent aujourd'hui cette tradition, le Conseil de sécurité des Nations unies, garant des actions de cet "empire" moderne, jouant en quelque sorte le rôle d'autorité spirituelle qui incombait au pape à l'époque médiévale.

Vers le siècle de l'humanisme
1492 est une année charnière : les puissances spirituelles et temporelles qui avaient structuré le monde occidental durant toute l'époque médiévale s'effritent, laissant apparaître les prémices d'une ère nouvelle. L'Espagne a achevé sa Reconquista ; en France, l'annexion du duché de Bourgogne au domaine royal est actée ; le souverain du Saint-Empire s'emploie à conférer à sa couronne un caractère héréditaire : à travers toute l'Europe, la centralisation du pouvoir est en marche et les notions de « pays » et de « nation » commencent à pénétrer les consciences. C'est dans ce monde en mouvement que Lorenzo de Médicis trouve la mort en avril ; six mois plus tard, Christophe Colomb débarquera sur un nouveau continent. Si sa traversée ébranle les certitudes de la théologie catholique, les différentes techniques à l'origine de son succès jetteront les bases d'un important essor scientifique. En même temps que lui, tous les pays d'Europe se sont lancés à la conquête des mers : transformation des structures sociales, bouleversement de l'ordre international, élargissement de l'économie à l'échelle planétaire, découvertes scientifiques révolutionnaires... 1492 marque l'aube d'un nouveau siècle.