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Critiques de Natasha Trethewey (99)
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Memorial Drive

« Bien sûr, nous sommes aussi faits de ce que nous avons oublié, de ce que nous avons cherché à enterrer ou à retrancher. Une part d'oubli est nécessaire et l'esprit travaille à nous protéger de ce qui est trop douloureux ; cela n'empêche pas certains aspects d'un traumatisme de vivre dans notre corps et de se manifester de manière impromptue. Même quand j'essayais d'enterrer le passé, des fragments de ces années perdues ne cessaient de resurgir, de me revenir à l'esprit sans que je l'aie voulu. Ces souvenirs – certains intrusifs, certains jolis – semblent plus significatifs aujourd'hui, pareils à des jalons sur un chemin. Et je suis capable de voir ce chemin uniquement parce que je suis revenue sur mes pas afin d'y trouver un instant révélateur, la preuve d'un élément déclencheur. »



Comment se souvenir lorsque pendant des décennies on a enfoui le traumatisme originel, ici celui du meurtre de la mère assassinée par son second mari en 1985 ? Elle avait quarante ans, Natasha Trethewey, poétesse reconnue aux Etats-Unis, dix-neuf. Elle commence par convoquer des rêves, par exhumer des photographies pour les décrire, avec une intimité poétique très sensorielle qui fait entrer le lecteur dans la pensée de l'auteure, parfois confuse, toujours honnête, avouant lorsqu'elle ne se souvient plus. Elle raconte également une enfance sudiste dans le Mississippi et en Georgie, avec son racisme ordinaire, un Ku Klux Klan toujours actif, elle qui est née d'un couple interracial, une enfance au cours de laquelle elle apprend à vivre en butte aux intimidations et à l'hostilité.



La construction du récit est lente, régulière, avec ces flux mémoriels qui reviennent sans cesse comme un rembobinage de vieille cassette. Natasha Trethewey maitrise son écriture, passant brillamment de la première à la deuxième pour révéler des choses de l'enfance qu'elle n'avait jamais avoué, un « tu » qui raconte tout le désarroi d'une petite fille qui se confie à son institutrice pour lui dire que sa mère est battue, sans que rien ne change.



Et puis tout s'accélère dans la deuxième moitié avec cette fois de nouveaux modes de discours : quelques pages du journal intime maternel, des retranscriptions d'appels téléphoniques enregistrés par sa mère dans l'espoir d'obtenir un mandat d'arrêt à l'encontre de son ex-conjoint menaçant, des dépositions policières jusqu'à l'autopsie. Autant de pans déchirants et obsédants du chemin qui mène à un féminicide. On a beau savoir dès le départ l'issue du récit, on est terrifié par ce qu'on lit, par l'inertie de la société à protéger une femme qui a peur.



Aujourd'hui quinquagénaire, Natasha Trethewey nous offre avec dignité le livre le plus difficile à écrire. Celui qui, en affrontant le meurtre de sa mère, dit ce que signifie retrouver une identité entière, la douleur de parvenir à la construction de soi, défiant le cours tragique du destin pour faire revivre la femme intrépide, intelligente et solaire qu'était sa mère, repoussant la colère, la culpabilité et la honte qui a pu être la sienne pendant très longtemps. Poignant .
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Memorial Drive

Ce livre magnifique écrit par Natasha Trethewel est un mausolée dédié à sa mère afro-américaine, Gwendolyn Grimmette, assassinée à 40 ans par son second époux dont elle venait de divorcer après des années de maltraitances. L’autrice, née d’un mariage interracial revient sur cette tragédie qui a changé sa destinée et se remémore ce jour de juin 1985 à Atlanta alors qu’elle n’a que 19 ans où elle reçoit un appel tant redouté lui annonçant l’assassinat de sa mère par son beau père. Ne lui reste d’elle que quelques affaires et l’image traumatisante de sa silhouette tracée à la craie sur le trottoir devant son appartement de Mémorial Drive. Des décennies plus tard elle revient vivre à Atlanta et part sur les traces de son passé qu’elle ne parvient plus à fuir et qu’elle a besoin de reconstituer pour ressusciter le souvenir évanescent de sa mère. Elle se souvient de son Mississippi natal d’avant le divorce de ses parents, de la ségrégation raciale et de son installation à Atlanta où, fusionnelles, elles coulent des jours heureux jusqu’à ce que la dyade mère/fille explose avec l’arrivée de Joël alias Big Joe dans leur vie et la naissance de son frère. Un homme violent, persécuteur et intrusif qui met à mal leur complicité. Après des années d’abus sa mère trouve la force de fuir et commence une nouvelle vie mais un destin funeste la rattrape. Ce récit captivant est à la fois factuel, spirituel et allégorique avec souvenirs, rêves, réflexions, déposition, transcription d’enregistrements téléphoniques de sa mère et son bourreau, confessions écrites. Ce qui m’a le plus touchée c’est le somptueux portrait en clair-obscur et à contre-jour empreint de mysticisme de sa mère où elle l’érige sur un piédestal comme icône sacrée au visage nimbé de lumière avec des passages somptueux superposant à la figure maternelle, au lien filial et à des scènes de leur vie intime des images bibliques de la Vierge et du baptême. Natasha fait émerger Gwendolyn des profondeurs de la mémoire et lève le linceul sur son visage et l’oubli, la revoit enfin intacte, transfigurée et vivante comme elle l’était avant Big Joe, avant de rejoindre le mémorial céleste de toutes les mères « Gone to glory ».
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Memorial Drive

En 1985, lorsqu’elle a dix-neuf ans, l’auteur perd sa mère, tuée par balle par un mari violent qui la menaçait depuis longtemps, au point d’avoir déjà été incarcéré. Il lui faudra plusieurs années avant de pouvoir faire face aux souvenirs, et encore trois décennies pour mettre en mots, dans ce livre, l’histoire de son enfance et de sa mère Gwendolyn.





Qu’il est déchirant, ce récit autobiographique aux allures de roman ! Au-delà de la narration de l’intime, marqué par un traumatisme qui, après une vie à tenter de l’apprivoiser, hante encore l’auteur et l’étreint d’une douleur palpable, c’est l’histoire raciale des Etats-Unis qui se dessine à travers plusieurs générations d’une même famille. Née d’une mère noire et d’un père blanc dans une Amérique qui interdit encore les mariages interraciaux, pointée du doigt pour sa peau à la fois trop claire et trop foncée pour lui assurer une identité claire et une appartenance incontestable, Natasha apprend très vite que son métissage sera d’abord pour elle un poids à subir en silence, dans une omniprésente désapprobation générale.





Intégrée dès le plus jeune âge, cette habitude de faire profil bas dans un monde qui la réprouve sera en grande partie à l’origine de la douleur qui la poursuivra sans remède après la perte de sa mère. Car jamais la fillette, puis l’adolescente, ne se sentiront autorisées à s’arracher du carcan de l’endurance passive, subissant comme une fatalité les manipulations perverses du beau-père, et absorbant sans mot dire le dramatique vécu maternel, en observatrice impuissante qui aurait tant voulu protéger mais n’héritera au final que de la lancinante culpabilité de sa résignation. L’on comprend ce que la prise de parole de l’écrivain peut comporter ici d’essentiel, pour la réconciliation de l’auteur avec cette part d’elle-même qu’elle a si longtemps tenté d’effacer, et pour rendre à sa mère une voix, et peut-être une forme de sens à son histoire.





De la narration se dégage le bouleversant portrait d’une femme qui croit trouver la voie de la liberté et de l’indépendance, mais qu’un destin tragique rattrape cruellement au travers d’un conjoint violent. Longtemps martyrisée, pourtant mise sous protection, elle est finalement tuée par cet homme, dans un enchaînement de circonstances à pleurer. L’on reste notamment sans voix à la lecture des transcriptions des dernières conversations téléphoniques entre Gwendolyne et son bourreau. Leur enregistrement devait permettre à la courageuse jeune femme d’obtenir un mandat d’arrêt contre son mari, mais trop tard...





Douloureux, profondément sincère, ce livre impressionne par la qualité et la sensibilité de son écriture, souvent poétique, toujours hantée par une figure maternelle érigée à l’état d’icône et restituée dans un troublant jeu d’ombre et de lumière. D’une symbolique toute biblique, il matérialise aussi de manière frappante la dramatique éclipse venue irrémédiablement assombrir la vie entière de l’auteur. Un livre terriblement poignant.


Lien : https://leslecturesdecanneti..
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Memorial Drive

Natasha Trethewey est professeure d’université, poètesse reconnue, prix Pulitzer de la poésie en 2007, et métisse. Fille d’un poète canadien et d’une travailleuse sociale, dont le mariage se terminera rapidement, elle sera témoin et victime de la violence de son beau-père, et perdra sa mère à l’âge de 19 ans assassinée d’une balle dans la tête.



Cet épisode de sa vie, profondément traumatisant, elle le met entre parenthèse, une longue parenthèse, entre le meurtre et la décision d’affronter la vérité : années oubliées, comme "calées entre deux serre-livres", attentive à ne pas y toucher.



Mais le passé est là, même occulté, même ignoré et revient malgré tout sous forme de rêves, ou de flashs qui portent en eux un appel au souvenir, ou de malaises physiques inexpliqués :



« Bien sûr, nous sommes faits de ce que nous avons oublié, de ce que nous avons cherché à enterrer ou à retrancher. Une part d’oubli est nécessaire et l’esprit travaille à nous protéger de ce qui est trop douloureux ; cela n’empêche pas certains aspects d’un traumatisme de vivre dans notre corps et de se manifester de façon impromptue. »



A travers cette en(quête), c’est l’enfance qui surgit, celle d’une enfant qui subit les affronts racistes les plus vils, les Etats du sud n’ayant pas intégré la légalité des mariages mixtes.



Les souvenirs affluent, ceux qui ont réellement laissé leur empreinte dans sa mémoire et ceux qui résultent de la mémoire collective familiale, tant racontés qu’ils se sont intégrés et laissent l’impression d’avoir été vécus.



Ce retour nécessaire même s’il est douloureux n’est pas une chemin lumineux, la douleur modifie l’écriture, ainsi certains épisodes nécessitent le recours à la deuxième personne, pour mettre distance l’indicible.



L’écriture exorcise le malheur, et elle est le sens même de cette histoire :

« La mort de ma mère est rachetée par l’histoire de ma vocation, lui donne un sens au lieu de faire quelque chose d’insensé. C’est l’histoire que je me raconte pour survivre. »



Une plume sensible, à vif, illustre ce drame, et porte aussi la parole de toutes ces femmes victimes de violence conjugales.
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Memorial Drive

Je tiens d'abord à remercier Léa du groupe PicaboRiverBookClub spécialisée en littérature américaine de m'avoir donné la chance de lire cet ouvrage dans le cadre d'un partenariat avec les Éditions de l'Olivier.



Cela fait quelques jours que j'ai refermé les dernières pages et je réfléchis encore aux mots que je vais poser sur ce récit autobiographique bouleversant de Natasha Trethewey traduit par Céline Leroy.

Son histoire lui appartient, et à elle seule.



L'écriture auréolée de justesse et de beauté se bat à sa manière contre les féminicides et les symboles confédérés du Mémorial Drive, la longue avenue traversant le coeur de la Ville d'Atlanta en Georgie.



Je l'ai lu rivée aux pages. Un chant d'amour posthume flamboyant, d'une infinie tristesse contenue et sans pensée vengeresse.



A l'aube de la cinquantaine et trente ans après le drame, Natasha Trethewey revêt les traits de la petite fille qu'elle était, née d'un mariage mixte entourée d'amour puis d'adolescente atrocement meurtrie pour raconter les années passées auprès de sa mère, Gwendolyn Ann Turnbough sauvagement assassinée par son deuxième ex époux le 5 juin 1985.



Une date marquée au fer rouge à partir de laquelle Natasha Trethewey remonte les années, raconte ses origines et le courage exemplaire de sa mère dans la vie de tous les jours et dans sa vie professionnelle au cours des années 70-80 à Atlanta.



J'ai été bouleversée par le drame. L'écriture profonde émeut par ses aveux de détresse, sa sincérité, la recherche de la vérité sous les silences. La voix lumineuse de Natasha Trethewey, grande poétesse américaine échappe au papier pour pénétrer les tréfonds de l'âme, « mettre des mots sur les maux » prend tout son sens.

La texture des mots de la confession et son authenticité génèrent un apaisement dans la douleur comme si Natasha Trethewey prenait de la distance nécessaire grâce à la résilience de l'écriture.



J'ai lu en une seule fois pour ne pas interrompre la voix intérieure de Natasha Trethewey, le sublime hommage à sa mère, Gwendolyn Ann Turnbough.



A lire absolument.



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Memorial Drive

L 'histoire commence quand Gwen, jeune femme noire, épouse un homme blanc, on est dans les années 60 dans l' état du Mississippi où les mariages interraciaux sont illégaux comme dans 22 États et le ku kux klan veille au bon ordre des choses . Tasha leur fille métisse naîtra en 1966.

C'est elle qui raconte l'histoire. Elle va mêler ses souvenirs d'enfance à la descente aux enfers de sa mère. Celle ci divorce et va se remarier avec Joël, un vétéran du Vietnam Tasha est encore enfant à l'époque . Joël va se révéler être un homme jaloux, manipulateur, irascible et violent. Il importune la fillette quand sa mère est au travail. Très vite, Gwen va avoir peur de lui et de ses menaces. Tasha, le soir depuis sa chambre, entend son beau père frapper sa mère. Pour arriver à ses fins il lui fait du chantage, menace de la tuer et de tuer Tasha si elle le quitte . Pourtant avec le temps, Gwen finira par le quitter, à bout. Elle obtient une protection policière et juridique. Mais un jour, le policier en faction devant l'immeuble quitte son poste sans attendre la relève, Joël se précipite dans l 'immeuble , pénétre dans l'appartement et abat Gwen de deux balles dans la tête.

Natasha est alors étudiante, elle revient, à la mort de sa mère à Atlanta , elle vide l'appartement et part d'Atlanta en se faisant le serment de ne jamais y revenir.

"quand j'ai quitté Atlanta en me faisant le serment de ne plus y revenir, j ai emporté tout ce que j'avais cultivé durant toutes ces années :l'évitement muet de mon passé, le silence et l'amnésie choisie, enfouis comme une racine au plus profond de moi même. "

Tasha retournera à Atlanta trente après pour son travail . Un soir, en 2005, elle va au restaurant avec son mari et rencontre l'ex procureur adjoint qui s'était occupé du dossier de sa mère. Il lui propose de lui confier le dossier de sa mère qui va être détruit au bout de trente ans. C'est à la lecture de ces documents , des bandes enregistrées quand Joël lui téléphonait et la menaçait, que Tasha décide de sortir de son déni et d'écrire cette histoire qu'elle avait volontairement mise entre parenthèse pour se protéger. En écrivant ce roman libératoire, elle ressuscite cette mère morte trop jeune et lui rend l'hommage qu'elle mérite.

Un roman poignant et sobre sur des sujets sensibles.
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Memorial Drive

Natasha Trethewey n’est encore qu’une enfant quand ses parents divorcent. La petite fille métisse reste discrète et renfermée, ne trouvant pas vraiment sa place entre son père blanc et sa mère noire. Mais quand elle quitte le Mississipi avec sa mère pour Atlanta, elle ne pense pas devoir partager cette nouvelle vie avec le nouveau compagnon de sa mère, Joël Grimmette que la jeune Natasha surnomme Big Joe, un homme violent. Après de nombreuses plaintes et de mauvais traitements, sa mère sera assassinée par ce dernier.



Memorial Drive, c’est le grand boulevard qui cerne Atlanta mais c’est surtout le récit d’un feminicide, reconstitué par Natasha, la fille de la victime. A l’aide de son propre journal, de documents qui lui sont communiqués tardivement par un enquêteur, des témoins qu’elle interroge, elle reconstruit l’histoire pour obtenir la chronologie, mais surtout pour exorciser son rôle dans cette violence que son beau-père a dirigé vers sa mère, presque par défaut, une autre étant visée par cette violence et cette volonté de tuer.

Natasha Trethewey livre un témoignage personnel, humain dans lequel elle expose les faits et surtout le chantage affectif, les menaces, la terreur domestique dont le beau-père a fait preuve avant d’en arriver au pire avec le feminicide de sa femme.

Un texte fort, remarquablement écrit.
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Memorial Drive

"Memorial Drive" est le nom de la rue où habitait Gwendolyn Ann Turnbough, la mère de l'auteur, quand elle fut assassinée par son ex-mari qui profita d'une absence du policier censé veiller sur elle. Le "Mémorial" en question est au bout de la rue: un monument à la gloire des états confédérés, autant dire à la gloire du racisme et du Ku Klux Klan.

Natasha Trethewey n'est pas seulement une poétesse américaine détentrice du prix Pulitzer, ni la victime collatérale d'un féminicide: elle est une enfant métis, un "zèbre", élevée dans un état qui ne reconnaissait pas les mariages inter-raciaux.

Donner ce titre à son livre, c'est tout à la fois dénoncer le racisme endémique des États-Unis et annoncer son projet: remplacer le monument infâme par un autre, celui qu'elle écrit à la gloire de sa mère. C'est aussi faire oeuvre de mémoire après avoir oublié pendant des décennies le drame qui s'était déroulé, jusqu'à ce qu'un policier autrefois en charge de l'enquête lui remette le dossier du meurtre de sa mère.

En ouvrant ce dossier (dont elle nous communiquera certaines pièces), Natasha Trethewey comprend que son amnésie l'a moins protégée qu'elle ne l'a éloignée de sa mère. Retrouver la mémoire la forcera à affronter non pas l'assassinat en lui-même mais les années qui le précédèrent, pendant lesquelles son beau-père, ancien soldat revenu du Vietnam qu'elle appelait Big Joe, a battu quotidiennement Gwendolyn.

Pourquoi avoir refusé si longtemps le souvenir de ces années-là? Pour garder le souvenir d'une femme libre au lieu de cette victime qui supporta pendant des années les coups de son mari avant de se décider de le quitter? Mais aussi pour oublier un sentiment aigu de culpabilité, de s'être tue alors qu'apprendre à sa mère les mauvais traitements que Big Joe lui réservait aurait pu provoquer la prise de conscience que son propre sort ne suffisait pas à faire naître.

Quand Natasha Trethewey s'aperçut que son beau-père lisait son journal intime, elle ne l'écrivit plus que pour l'insulter et le tenir à distance: son premier lecteur fut un ennemi à qui elle tint la dragée haute. Et c'est pour cela que le monument à la gloire des Confédérés est si important: parce que le racisme lui a appris que se taire était préférable, que le silence permettait d'éviter les problèmes, de faire semblant de croire à leur inexistence. C'est la soumission apprise au Mississipi qui finit par tuer Gwendolyn; ce sont les mots qui auraient pu la sauver, quand l'enregistrement de ses conversations téléphoniques avec Joel conduit à sa mise sous protection; ce sont les mots qui ont fait de Natasha une poétesse reconnue, ce sont les mots, enfin, qui rendent justice à celle qui s'est battue pour sa liberté:« La mort même de ma mère est rachetée dans l’histoire de ma vocation. »
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Memorial Drive

Drame ; racisme ; quête identitaire ; écriture rédemptrice…



Il est des thématiques pour lesquelles nous croyons avoir tout lu, tout vu. Et puis un matin d’été, tu ouvres et dévores Memorial Drive, de Natasha Trethewey, traduit par Céline Leroy. Et tu comprends qu’on n’en aura jamais fini d’écrire sur ces sujets. Et tant mieux quand c’est fait avec autant de talent, de puissance, de style et d’intelligence. Car c’est sans doute là qu’on approche de ce qu’on appelle littérature.



Memorial Drive, c’est l’histoire d’un féminicide horrible, celui de Gwendolyn la mère de l’auteure, survenu en 1985 alors que tous les signaux évocateurs auraient permis de l’éviter. Comme tous les autres…



Memorial Drive, c’est une enquête passionnée sur les origines du drame, né dans le racisme latent du Mississippi de l’après-guerre puis entretenu par la violence larvée et manipulatrice de « Big Joe », beau-père psychopathe de l’auteure.



Memorial Drive est une approche chronologique et documentée des paliers successifs qui amènent au drame, mélangeant habilement le récit, les témoignages, les rapports de police et les retranscriptions d’entretiens de menaces, qui additionnés résonnent comme autant d’avertissements sans effets.



Mais surtout…



Memorial Drive est un formidable cri d’amour de l’auteure à cette lignée de femmes Turnbough dont elle est issue : la grand-mère pivot de famille, la grand-tante Sugar, la tante Lizzie et enfin Gwendolyn, mère merveilleuse et protectrice.



Memorial Drive, est un livre catharsis d’une survivante qui malgré les années et les rêves souvent porteurs de signes, n’est pas parvenue à se libérer de sa culpabilisation. Jusqu’à ce que l’écriture fasse son effet, lui faisant remplacer le « je » du récit, avec le « tu » de celle qui a enfin réussi à se placer au-dessus de l’événement, spectatrice-analyste de son propre drame.



Memorial Drive est un livre intelligent dans sa construction, traversant les registres de l’émotion et du sordide dans une montée en horreur qui atteint l’inacceptable et l’injuste, par la seule force de la puissance de l’écriture de Natasha Trethewey.



Memorial Drive est un livre qui t’embarque dans son trauma. Tu grandis avec Tasha, tu aimes et rêves avec elle. Et puis tu souffres, angoisses, enquêtes et analyses avec elle. Et l’inclusion ayant fait son œuvre, tu te retrouves toi aussi à entrer en totale empathie avec Gwendolyn.



Bref, Memorial Drive est un grand livre de littérature.
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Memorial Drive

Ce n'est pas un roman et surtout pas une romance, mais un récit autobiographique particulièrement douloureux.



Memorial Drive, c'est la route de la mémoire et c'est aussi une rue où l'autrice a habité et où sa mère a été assassinée par son conjoint.



Natasha est née d'un père à la peau blanche et d'une mère afro-américaine, dans les années 60, alors que les mariages « mixtes »étaient illégaux dans plusieurs états. le père parti, sa mère a travaillé très fort pour réussir à élever sa fille. Mais un jour, un autre homme est entré dans sa vie, un survivant de la guerre du Vietnam, dont elle découvrira peu à peu l'instabilité mentale, puis la violence.





Alors comment peut-on vivre cela? Comment garder ou exclure des souvenirs de sa mère? Comment aimer sa mère morte et lui en vouloir de ne plus être là? Et puis se rendre compte un jour qu'on a atteint un âge que sa mère n'a jamais connu…



Une écriture forte et un récit poignant.

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Memorial Drive

Malgré un changement de siècle et des décennies passées, le nombre de féminicides causé par un mari ou un ex-compagnon est encore un fléau bien présent dans le monde entier...



Natasha Trethewey, célèbre poétesse et universitaire métisse américaine a vécu ce drame en 1985 par la perte de sa mère tué par arme à feu par son ex-conjoint. Trente cinq ans après ce crime, Natasha reste profondément marquée et hantée.



Dans ce livre, l'auteur nous offre par son récit un témoignage poignant sur son enfance et sa relation avec sa mère, tel un hommage rendu à cette femme quittant les siens trop tôt. Entremêlés de souvenirs, de dépositions de plaintes et de rapports de police, cet ouvrage autobiographique met en exergue les difficultés encore connues pour lutter contre les violences conjugales dont sont encore victimes de nos jours de nombreuses femmes...



#Item 44
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Memorial Drive

Il faut parfois du temps pour parler, pour accepter de mettre des mots sur un traumatisme, Natasha Trethewey mettra 30 ans pour exhumer ses souvenirs d'enfance et du drame qui y a mis fin. Ce témoignage est un vibrant hommage d'une rare intensité d'une fille à sa mère à la fois par la sobriété de l'écriture dans laquelle on sent tout l'attachement et l'admiration qu'elle a pour celle mais également les regrets de l'avoir "oubliée" pendant tant d'années. Alors elle revient sur les lieux du crime, refait le chemin en remontant le temps, arpentant son enfance imprégnée de ce que couleur de peau, son métissage faisait d'elle, la mettant en marge parce que ni blanche, ni noire, dans un Mississipi ségrégationniste qui, lui ne fait pas ni dans la demi-mesure ni dans le mélange.



"Elle savait aussi qu'en tant qu'enfant métisse - à mi chemin entre eux deux -, je serai au bout du compte seule dans ce voyage pour comprendre qui j'étais, quelle était ma place dans le monde, tout en portant les fardeaux invisibles de l'histoire, à cheval sur la métaphore. Elle savait aussi qu'on se servirait du langage pour me nommer donc tenter de me limiter - bâtarde, mulâtresse, métisse, négresse - et que, comme avec la mule, cela m'entraverait et m'éperonnerait. Ma mère voulait juste que cela ne me détruise pas.(p52)"



Natasha Trethewey se souvient de son enfance heureuse entre des parents instruits et lui faisant découvrir la culture, le rôle des métaphores, lui montrant le chemin à prendre pour s'élever au-delà de la place qu'on lui assigne par sa couleur. Elle se souvient qu'elle est trop petite pour comprendre leur séparation, se souvenant avec émotion du duo qu'elle forme avec sa mère à leur arrivée à Atlanta même si elle continuait à la pousser à exceller dans toutes les matières afin d'ensuite rien se refuser dans ses choix. Mais Gwendolyn, sa mère, fera, elle, un mauvais choix en se liant à un homme, Big Joe, qui très rapidement va se révéler loin de l'image idéal du mari et du beau-père, un manipulateur et tortionnaire qui deviendra un assassin.



A la manière d'une enquêtrice elle relèvera les indices laissés, les avertissements tus, les souvenirs, mais aussi les sentiments comme la culpabilité ressentie, de n'avoir pas agi ou de l'avoir abandonnée à cette violence qui mettra fin à son existence, son admiration pour cette femme qui avait réussit à sortir de sa condition, à s'élever mais qui devra plier face à une folie, celle d'un homme dont elle avait pourtant réussi à divorcer mais qui se retrouva seule face à lui et ses menaces malgré les signalements et avertissements à l'image de Cassandre, auprès des autorités.



"Puisque personne ne veut entre ses avertissements, peut-être se dit-elle que son silence pourra empêcher le destin de s'accomplir. Mieux vaut garder certaines choses pour elle plutôt que d'appeler la catastrophe en parlant. (p81-82)"



Elle entremêle les formes pour réussir à aller au bout de son travail de mémoire, entremêlant les transcriptions des dernières conversations de sa mère et son beau-père, ses annotations et réflexions dans son difficile d'écriture, elle emploie le "tu" quand la distance est nécessaire et que le "je" devient trop lourd, mais ne résout en rien de la douleur d'avoir su, senti, tu tous les signes annonciateurs :



"Regarde-toi. Aujourd'hui encore tu cris que tu peux prendre tes distances avec cette petite fille par l'écriture, en recourant à la deuxième personne du singulier, comme si tu n'étais pas celle à qui tout cela est arrivé. (p13)"



mais également laisse transpirer l'hommage qu'elle veut rendre à celle qui, malgré son discernement, son intelligence est "tombée" entre les mains d'un homme qui a décidé de son destin.



En quelques 200 pages l'auteure fait le portrait d'une Amérique pas si lointaine (et encore actuelle) où tout vous ramène à la couleur de peau (même au dos d'un chèque) mais également d'un fléau mondial, la violence sur les femmes dans le cadre familial en particulier, où rien, ni les signalements, ni l'éloignement, ne vous protège.



J'ai beaucoup aimé.
Lien : https://mumudanslebocage.wor..
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Memorial Drive

Natasha Trethewey est une voix qui compte outre-Atlantique dans la poésie contemporaine.



AvecMemorial Drive, récit très émouvant, elle nous plonge au coeur de ses racines dans le sud des Etats-Unis.



C'est aussi une forme de catharsis, trente-cinq ans après le meurtre de sa mère, tuée par son ex-mari.

Dans ce très beau livre autobiographique, Natasha Trethewey nous raconte son enfance de métis ayant grandi aux États-Unis dans les années 1960-1970.



Pendant sept ans, l'écrivaine va déchiffrer quantité de documents, qui vont du rapport d'autopsie à la retranscription des dernières conversations téléphoniques de sa mère avec son meurtrier



C'était la possibilité pour l'autrice d’aborder le sujet du racisme, de la difficulté pour un couple mixte de se faire accepter, de la peur du Ku Klux Klan, de la lutte pour les droits civiques des Afro-Américains, mais également de parler avec beaucoup de tendresse de sa mère, Gwen, et de sa grand-mère. Avec Memorial Drive, elle a transformé un drame inimaginable en un livre catharsistique d'une grande beauté .
Lien : http://www.baz-art.org/archi..
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Memorial Drive

Natasha Trethewey était une ado dans les années 80. Moi aussi. Et je me disais en lisant ce texte que pendant que je traînais avec mes copines, allais danser dans les sous-sols des pavillons de banlieue et fumais mes premières cigarettes, précisément à la même époque où pour tout et pour rien, légère et insouciante, je riais comme une folle, là-bas, de l’autre côté de l’Atlantique, dans le Sud des États-Unis, elle, l’autrice, tremblait de peur.

Parce qu’il ne fallait pas regarder les Blancs, parce que les crimes raciaux étaient courants et les membres du Ku Klux Klan nombreux, parce qu’elle avait vu le visage en bouillie d’Emmett Till dans un magazine...

Elle avait compris, la gamine, qu’il valait mieux baisser les yeux, rentrer rapidement chez soi le soir et se faire oublier... Elle savait qu’être le fruit d’un mariage mixte, d’une travailleuse sociale afro- américaine et d’un professeur d’université d’origine canadienne, dans un pays où vingt-et-un Etats l’interdisaient, pouvait conduire au pire.

Alors, chaque jour, pendant que je flottais dans un monde où mon seul souci était d’avoir assez d’argent pour pouvoir m’offrir la dernière paire de Kickers, de l’autre côté de l’Atlantique, une fille de mon âge que l’on surnommait « le zèbre » entendait ces mots : « une si jolie petite, dommage qu’elle soit noire. »

À la même époque… Et c’était presque hier…

Le choc…

Et d’un.

Deuxième uppercut: les parents de l’autrice se séparent. La mère, Gwendolyn Ann Turnbough, part vivre à Atlanta, se remarie avec un homme violent qui a fait le Vietnam. Il cogne, cogne encore, cogne toujours. Rien ne l’arrête. Elle s’enfuit, se cache, avertit les services sociaux, la police. Il la tuera. Et ce qui m’a bouleversée, c’est d’entendre la voix de cette mère, ses propres mots : la lettre qu’elle écrit et dans laquelle elle raconte sa terreur quotidienne, une déposition qu’elle fait auprès de la police et les deux dernières conversations téléphoniques qu’elle a eues avec celui qui deviendra son assassin.

Et c’est précisément cette voix que l’autrice a voulu faire entendre, la voix d’une femme courageuse, volontaire, sensible, épuisée et terrifiée.

Et c’est effectivement terrifiant. Vraiment.

Un chemin de croix extrêmement douloureux que ce retour de Natasha Trethewey vers sa mère : une lente exploration de la mémoire à travers des photos, des rêves, des mots, des chansons pour bâtir un mémorial où se réfugier, la retrouver et être enfin en paix avec soi-même.

Magnifique.
Lien : http://lireaulit.blogspot.fr/
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Memorial Drive

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En juin 1985, Natasha perd sa mère. Elle est assassinée par son ex-mari, de 2 balles tirées à bout portant. C’est dire la violence qui hante cet homme. Natasha l’appelait Big Joe, car il n’était pas son père, mais son beau-père. Devenue femme, écrivain de surcroît, elle décide de mettre des mots sur cette femme qu’elle chérit toujours, sur ce manque et cette douleur profonde…



Natasha Trethewey est une auteur reconnue aux États-Unis. C’est une poète qui a reçu plusieurs prix. Le récit qu’elle nous offre ici est rempli de ce talent pour les mots, cette musique de la langue et la force son univers.



Cette autobiographie est la quête que Natasha Trethewey a entrepris pour retrouver les souvenirs de sa mère.

Bien des années après sa disparition, alors qu’elle refusait de retourner sur les lieux du drame, Natasha Trethewey rencontre un officier présent le jour funeste de juin 1985. Il lui donne l’ensemble du dossier d’instruction. C’est alors que Natasha se rend compte de tout ce qu’elle a enseveli, tout ce qu’elle s’est forcé à oublier, pour survivre.



Mais c’est aussi sa mère qu’elle a effacé. L’auteur fait alors revivre sous nos yeux, son enfance, son adolescence, les bons comme les mauvais jours. Comme elle, on constate que les choses auraient pu être différentes. Que sa mère aurait pu être sauvée.



Triste histoire de violences conjugales, émouvant retour à la vie, poignants souvenirs qui émergent de l’obscurité, Natasha Trethewey porte avec courage et force le douloureux chemin du deuil. Elle nous offre avec beaucoup de justesse et de pudeur sa propre route vers l’acceptation du manque…
Lien : https://lire-et-vous.fr/2021..
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Memorial Drive

Le chemin mémoriel de l'auteure se mêle à ses souvenirs d'enfance, à sa vénération de sa mère qui meurt sous les coups de son ex-mari. Natasha Tretheway évoque le deuil, la culpabilité et le façonnement de l'identité après un tel drame, tout en peignant l'Amérique raciste des années 1950 et 1960 en toile de fond. Outre le poignante récit des jeunes années de l'écrivaine, puis de son adolescence, jusqu'au meurtre de sa mère, Memorial Drive est aussi un ouvrage qui évoque avec beaucoup de finesse les violences conjugales et la difficulté de s'extraire de leur maelstrom (plus de détails : https://pamolico.wordpress.com/2021/09/14/memorial-drive-natasha-trethewey/)
Lien : https://pamolico.wordpress.c..
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Memorial Drive

La rentrée littéraire 2021 s’illustre par plusieurs témoignages autobiographiques sur les rapports des auteurs à leurs parents. Memorial Drive est dans cette veine mais mérite particulièrement qu’on s’y attarde.



Sur la forme, il est réalisé avec une belle écriture, fluide, pleine de références, et quelques citations à retenir, ce qui n’est pas étonnant car l’autrice, Natasha Trethewey, a reçu le prix Pulitzer de poésie en 2007.



Sur le fond, plusieurs thématiques se côtoient dans ce récit cathartique.



Natasha Trethewey est née en 1966 d’un mariage entre une femme noire et un homme blanc, autorisé à l’époque dans certains Etats mais pas dans le Mississippi, où les parents de l’autrice décident pourtant de s’installer pour être proches de sa famille maternelle. Le couple parental aimant, cultivé, ne résistera pas aux difficultés rencontrées. L’autrice garde cependant de son enfance une philosophie : « L’important est le pouvoir transformateur de la métaphore et des histoires que nous nous racontons sur notre vie, son sens et la trajectoire qu’elle emprunte ». La condition Afro-Américaine est très présente dans ce récit.



Memorial Drive est un hommage à la mère de l’autrice avec une dénonciation des violences conjugales infligées par son second époux, vétéran du Vietnam, qui ira jusqu’à l’assassinat de sa femme qui avait pourtant recherché une protection judiciaire et policière. La retranscription des écoutes téléphoniques et d’éléments du rapport d’enquête permet d’appréhender la crainte permanente dans laquelle vivent les femmes qui en sont victimes. Natasha Trethewey cite Orson Welles « une fin heureuse dépend du moment où l’on arrête l’histoire » : malheureusement, ici l’histoire s’arrêtera trop tard…



Natasha Trethewey analyse bien, à travers son propre vécu, le traumatisme des enfants qui doivent se construire entre l’oubli et l’obsession. « L’oubli volontaire n’est pas sans danger ; on risque de perdre plus que prévu […]. Bien sûr, nous sommes aussi faits de ce que nous avons oublié, de ce que nous avons cherché à enterrer ou à retrancher. »



Cette histoire personnelle n’aurait peut-être pas été la même sans une enfance dans le Mississippi, où « les mariages interraciaux » n’ont été permis qu’après l’arrêt de 1967 de la Cour suprême des Etats-Unis, Loving v. Virginia, une adolescence à Atlanta « qui incarnait le mieux l’émergence du Nouveau Sud » dans la lutte pour les droits civiques, et un retour dans cette ville bien plus tard pour, peut-être enfin, permettre le deuil. « Je pense souvent à cet axiome d’Héraclite sur le caractère de l’homme qui détermine son destin, axiome révisé par Ralph Ellison en « La géographie détermine le destin ».



Une lecture riche et abordable même quand on lit peu de non-fictions.

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Memorial Drive

Natasha Trethewey raconte l’histoire de sa mère, Gwendolyn assassinée trente années plus tôt alors qu’elle avait elle-même dix-neuf ans. Sa mère était directrice des ressources humaines dans l’agence du comté chargée de la santé mentale à Atlanta. Natasha est née en 1966, le jour du centième anniversaire du Confederate Memorial Day d’un père blanc qui a grandi en Nouvelle-Ecosse au Canada et est devenu officier de la marine royale canadienne et d’une mère noire. Gwendolyn a grandi avec sa mère à North Gulfport dans le Mississippi dans un hameau d’anciens esclaves, dans la maison de son arrière-grand-mère, Eugenia McGee qui a eu sept enfants mais seulement deux filles ont atteint l’âge adulte, sa propre grand-mère et la grand-tante Sugar. En 1972, après son divorce, sa mère déménage à Atlanta, travaille dans un restaurant de l'Underground, le Mine Shaft et rencontre un nouvel homme, Joel T. Grimmette.



Natasha Trethewey est une poétesse américaine. Elle évoque ici par touches successives le traumatisme de son enfance. Sa mère, éduquée, intelligente, socialement intégrée, tombe sous la coupe d'un homme pervers, violent et souffrant de troubles psychiatriques. C'est cette lente descente aux enfers dans la violence familiale avec tous ses ressorts et ses dégâts. Le roman alterne les réminiscences de l'autrice, les réflexions afin de reconstruire un passé enfoui dans son inconscient, les lettres de sa mère, les transcriptions de dialogues téléphoniques entre sa mère et son beau-père, des documents administratifs produits au procès. Natasha Trethewey ne cherche pas le sensationnel, elle analyse finement les méandres de ses souvenirs pour dresser le portrait saisissant de cette mère sacrifiée. La vie quotidienne des Noirs américains y est décrite dans les détails du racisme ordinaire de cette société des années 1960.

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Memorial Drive

Trente après l'assassinat de sa mère par son mari dont elle venait de divorcer, Natasha Trethewey entreprend un travail de mémoire qu'elle n'avait pas engagé jusqu'alors, préférant se reconstruire en occultant l'évènement traumatique.

Le livre commence par une évocation de son enfance, avec ses deux parents, l'une noire et l'autre blanc, et son entourage familial essentiellement composé de femmes chaleureuses et aimantes. Nous sommes dans le Mississipi, état du sud ségrégationniste et raciste et le mariage mixte de ses parents ne résiste pas longtemps. Sa mère, en quête d'indépendance, déménage à Atlanta et rencontre celui qui va devenir son deuxième conjoint, un homme violent et manipulateur.

Ce qui est passionnant ici, c'est la façon dont l'autrice nous présente la démarche psychologique qui lui a permis de faire face à cet assassinat et à ce deuil, en clivant, compartimentant les éléments et les phases de sa vie, et qui lui permet aujourd'hui, par un effort intellectuel de conceptualisation, de distanciation et de mise en mots, de prendre appui sur cette perte pour construire sa trajectoire de poétesse et d'universitaire.

Memorial Drive est le récit époustouflant et bouleversant d'une résilience, rendue possible par l'intelligence de l'autrice. Elle précise, à plusieurs reprises, de quelle manière elle parvient, par une sorte de pensée magique, à maîtriser et à prendre mentalement le contrôle des évènements. Natasha Trethewey ne joue pas sur le registre des émotions, adoptant un style assez froid et clinique, reposant notamment sur l'utilisation de documents, rapports et transcriptions d'échanges téléphoniques glaçants entre sa mère et son bourreau.

Le livre est un hommage à ses deux parents, à son père qui lui a donné le goût des mots et surtout des métaphores, et à sa mère, vaillante et courageuse, qui l'éclaire et la guide sur le chemin de la dignité.

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Memorial Drive

Ce récit autobiographique d'une poétesse reconnue ressemble à une urgence : l'urgence d'affronter enfin ce passé qui lui colle à la peau et qu'elle cherche à fuir, d'affronter enfin cette journée où sa mère a été assassinée à 40 ans par son ex-conjoint.

Pour y parvenir, l'auteure a besoin de procéder par étapes, elle ne peut affronter seule le traumatisme du meurtre. Elle a besoin de regrouper sa famille autour d'elle et d'en passer par son enfance. Elle évoque ainsi sa grand mère, le mariage de ses parents, mariage mixte qui fait d'elle une métisse.

« Je n’avais encore jamais entendu ce mot pour me désigner – zèbre – et, alors que j’étais assise sur les marches de l’appartement de mon père, en train de démêler la métaphore, j’ai décidé de ne pas raconter à mes parents ce qui s’était passé. […] D’aussi loin que je me souvienne, mon père n’arrêtait pas de dire qu’un jour je deviendrais écrivaine, parce que, avec ce que je vivais, j’aurais quelque chose d’important à dire. Je crois que cet épisode marque ma première prise de conscience partielle de ce qu’il entendait par là. »



Convoquer son père écrivain lui permet également de s'autoriser l'écriture du livre, avec l'idée sous-jacente qu'on devient forcément écrivain lorsque l'on souffre. Comme un permis d'écrire dont elle aurait besoin ! Tant est douloureux ce processus de mémoire.



Ce qui ronge plus encore Natasha Trethewey, c'est le sentiment de culpabilité, l'impression qu'elle aurait pu sauver cette mère si lumineuse.

« Je ne peux m’empêcher de me demander si mon silence ne lui a pas coûté la vie. »

Silence face au harcèlement de son beau père, silence face à la violence conjugale, silence par lequel elle voulait protéger sa mère.

La dernière phase du récit est la plus douloureuse : elle doit affronter les archives de l'enquête et du procès, retrouver des lieux chargés d'histoire. Et tenter de donner un sens à ce drame.

Celui qu'elle s'accordera, c'est celui de l'écriture, de sa vocation qui fait contrepoids à la mort de sa mère.
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