Nous nous réveillâmes à la pointe du jour. Une lumière pâle, aqueuse, passait par la fenêtre. Allongé, j’apercevais l’eau calmée qui s’étendait sur la promenade. La tête de Rose reposait dans mes bras, ses cheveux répandus comme des algues sur ma poitrine.
Il était assis à un bureau derrière la vitre, en costume à fines rayures, et feuilletait une brochure, une femme en face de lui.
"Lui ?
- Il se trouve que oui.
- Quelle coïncidence.
Je t'ai expliqué que les coïncidences avaient été le fil conducteur de ma vie, comme dans un film de série B ou un roman de quatre sous. "Coïncidence", as-tu répété. Tu as levé les yeux pour me regarder et tu as fait une grimace.
Etre en vie, c'est ce que nous voulons tous ressentir, me dis-je en descendant l'escalier, une ou peut-être deux heures plus tard. Etre en vie signifiait que le temps s'écoulait comme le flot d'une rivière, de sorte qu'une minute pouvait durer une heure, et une heure une minute.
Le truc de l'amour c'est quand on dit, parmi tous les gens dans tout l'univers, je suis lié à toi. Je te donne mes souvenirs, tout ce que je sais de ce monde, je te donne mon âme, je te donne la possibilité de me faire du mal, de me causer une souffrance, un chagrin, une perte infinie, tout mon être sera connu de toi, et si l'un de nous brise ce truc, l'autre se retrouvera sans amarres, sans raison, sans amis, sans amour, das un univers de douleur.
Le violoncelle, dans une sorte de mouvement allegro, se faisait plus contemplatif. La musique ressemblait à l'eau brune, épaisse, sirupeuse d'un marais.
Il existe des instants clés, je le sais à présent. Des instants où le monde bascule et après lesquels tout est différent. Des instants dont on dit plus tard, avec le bénéfice du recul ; c'est là que tout a commencé. Les motifs sont souvent très mesquins. Une petite émotion récalcitrante donne un coup de pouce au monde.
La jalousie est malheureusement un risque du métier. Si on en est dépourvu, on la veut, on en recherche l’aiguillon. À la façon dont un boxeur canalise sa colère dans un coup de poing en aveugle, je canalise la jalousie : je la fais travailler pour moi d’une manière étrange, désincarnée, objective. Je pourrais être jaloux d’un passant si cela stimulait mon intuition, je pourrais être jaloux d’un chien de manchon, je pourrais être jaloux d’un moucheron. La jalousie la plus utile est cependant du genre méditatif, le genre qui se demande comment va se dérouler le déjeuner avec cette personne inconnue, où elle va s’assoira, qui elle va rencontrer, quelles traces elle va laisser.
Il existe des instants clés, je le sais à présent. Des instants où le monde bascule et après lesquels tout est différent. Des instants dont on dit plus tard, avec le bénéfice du recul; c'est là que tout a commencé.
Dans le vaudou haïtien, ils ont peur des photos. Et vous savez quoi ? Ils ont raison, dit-elle.
- Ah bon ?
- Et comment. Le produite chimique - comment ça s'appelle ?
- L'acétate.
- L'acétate. Les cristaux. L'accroissement de la lumière. Ce sont des cristaux jaloux. Et ils gardent un peu de l'image qu'ils affichent.
- Vous voulez parler de l'âme ? demandai-je. J'étais prêt à tout à présent, même à une exégèse philosophique.
Le sac à main aujourd’hui est le nid de pie des traces, leur caverne d’Ali Baba, leur Sutton Hoo, un trésor archéologique sur lequel quelqu’un comme moi pourrait facilement passer six jours. Tickets de métro, de supermarché, petite monnaie, billets étrangers raides de sueur et inutiles, notes gribouillées, tubes de rouge à lèvres et minuscules cristaux blancs provenant d’un bonbon sucré ou d’un gramme de cocaïne.