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Citations de Nichita Stănescu (83)


Nichita Stănescu
[…]

Naturellement, l’idéal du vol y fut accompli.
Ici on peut voir de grandes cigognes le bec dans le roc
et qui bougent à peine. On peut voir
des aigles géants, la tête enfoncée sous les pierres,
avec leur assourdissant battement d’ailes, et on peut voir
un oiseau plus grand que touts les autres,
le bec comme un essieu bleu,
autour duquel tourne la sphère
avec ses quatre saisons.
Naturellement, l’idéal du vol fut accompli ici,
et une aura verdâtre maintenant nous prédit un idéal
encore plus terrible.

(« Huitième élégie, l’hyperboréenne », fragment final traduit du roumain par Dumitru Tsepeneag)
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Nichita Stănescu
triste chant d’amour

il n’y a que ma vie
qui mourra vraiment pour moi
il n’y a que l’herbe
qui connaît le goût de la terre
il n’y a que mon sang
qui se languit vraiment de mon cœur
quand il le quitte

l’air est haut
tu es haute
ma tristesse est bien haute

il arrive un temps où les chevaux se meurent
il arrive un temps où les machines vieillissent
il arrive un temps où la pluie nous glace
et toutes les femmes portent ta tête
et tes robes

il arrive aussi
un grand
oiseau
blanc

(traduction du roumain par Radu Bata)
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Nichita Stănescu
Mon âme, Psyché (Al meu suflet, Psyche)

Un ange est venu et m’a dit:
– T’es un porc de chien,
vermine et groin.
L’herbe pue sous ton ombre
qui lui pèse.
Et ton haleine sent la boue !
– Mais pourquoi, lui criais-je, pourquoi ?
– Sans raison !
Un ange est venu et m’a dit:
– Le verre est plus transparent
que la plus limpide de tes pensées !
Après ta mort, les vers
grouilleront dans tes narines, dans ta gueule,
dans ton groin, dans ta trompe !
– Pourquoi, lui criais-je, pourquoi ?
– Sans raison, m’a-t-il répondu…
Puis l’ange, ah, l’ange, ah, l’ange, ah, l’ange,
s’envola, ses ailes d’or flottant
dans l’air d’or.
Des papillons d’or
voltigeaient dans l’aura de l’ange d’or.
Il volait ahuri,
tout en or,
s’éloignant aux lointains mordorés
où sombrait un soleil baigné d’or.
– Pourquoi t’éloignes-tu de moi,
lui criais-je, pourquoi me quittes-tu, pourquoi ?
– Sans raison, m’a-t-il répondu. Sans raison…

*
Traduit du roumain par Lucia Sotirova
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Nichita Stănescu
Première élégie

Dédiée à Dédale, le fondateur de
la fameuse dynastie des artistes dédaliens

Il commence avec soi-même et finit
avec soi-même.
Aucune aura ne l’annonce, aucune
queue de comète ne le suit.

Rien ne sort de lui à l’extérieur ;
donc il n’a ni visage
ni forme. Tant soit peu semblable
à la sphère,
qui a le plus de corps
couvert de la peau le plus étriquée
possible. Mais avec encore moins de peau
que la sphère.

Il est le dedans – accompli,
et,
bien que sans limites, il est profondément
limité.

Mais de se voir, il ne se voit pas.

L’histoire de ses propres mouvements
ne le suit pas, comme
le signe du fer à cheval suit religieusement
les Chevaux…

*

Elegia întâia

Închiată lui Dedal, întemeietorul
vestitului neam de artişti, al dedalizilor

El începe cu sine şi sfârşeşte
cu sine.
Nu-l vesteşte nici o aură, nu-l
urmează nici o coadă de cometă.

Din el nu străbate-n afară
nimic; de aceea nu are chip
şi nici formă. Ar semăna întrucâtva
cu sfera,
care are cel mai mult trup
învelit cu cea mai strâmtă piele
cu putinţă. Dar el nu are nici măcar
atâta piele cât sfera.

El este înlăuntrul – desăvârşit,
şi,
deşi fără margini, e profund
limitat.

Dar de văzut nu se vede.

Nu-l urmează istoria
propriilor lui mişcări, aşa
cum semnul potcoavei urmează
cu credinţă
Caii…

***
11 élégies / 11 elegii (Cartea Românească, 2018)
Traduit du roumain par Iulian Popescu et Jean-Louis Courriol.
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Nichita Stănescu
La même pensée

Garde toi d’avoir raison
quand tu es épris.
Mieux vaut d’avoir ombre,
mieux vaut d’avoir rai,
mieux vaut d’avoir larme,
mieux vaut d’avoir n’importe quoi d’autre !
Un homme épris quand il a raison
il est un homme seul,
seule la tristesse a raison.
Toi, mieux vaut d’avoir rocs,
mieux vaut d’avoir aigles
mieux vaut d’avoir le blanc de la neige !
*
traduit du roumain par Tudor Miricã
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Nichita Stănescu
Mon âme Psyché

Un ange est venu et m’a dit :
– T’es un porc de chien,
un roquet et un groin.
Pue l’herbe sous ton ombre qui la presse ;
fange est le nom de ton haleine !
– Pourquoi, lui criais-je, pourquoi ?
– Sans raison !
L’ange est venu et m’a dit :
– Plus transparent est le verre
que la plus durable de tes pensées !
Bientôt tu vas mourir et des vers
te grouilleront aux narines, au museau, au groin, à la trompe !
– Pourquoi, lui criais-je, pourquoi ?
– Sans raison ! me dit l’ange…
Et puis l’ange, oh, l’ange, oh, l’ange, oh l’ange
est parti aux ailes en or volant
dans un air doré.
Papillons en or
voletaient dans l’aura de l’ange d’or.
Il volait ahuri,
il était entièrement en or.
Il s’éloignait vers un lointain doré,
où couchait le soleil en or.
– Pourquoi t’éloignes-tu de moi, lui criais-je,
pourquoi pars-tu, pourquoi ?
– Sans raison, me répondit-il, sans raison…
*
traduit du roumain par Tudor Miricã
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Nichita Stănescu
Acheter un chien

Il est venu l’ange et il m’a dit :
– Ne-veux-tu-pas acheter un chien ?
Moi j’étais incapable de lui répondre.
Les mots que j’aurai pu crier étaient
aboyants.
– Ne-veux-tu-pas acheter un chien ? –
m’a demandé l’ange, tenant dans ses bras
mon cœur
aboyant,
battant du côté gauche comme si d’une queue.
– Ne-veux-tu-pas acheter un chien ?
m’a demandé l’ange
pendant ce temps mon cœur
battait du sang comme si d’une queue.
*
traduit du roumain par Cindrel Lupe
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Nichita Stănescu
Émotion d’automne

L'automne est arrivé, le voici,
couve mon cœur de quelque chose,
de l'ombre d'un arbre, sinon de ton ombre à toi.
Je crains que parfois je ne te verrai plus,
que des ailes bien pointues surgissent de moi jusqu'aux nues,
que tu te caches dans un œil étranger
qui te renferme dans une feuille amère...
Alors, je m'approche des pierres et je me tais,
je prends les mots et les noie dans la mer.
Je siffle la lune et la transforme
dans un grand amour.

(traduit du roumain par Gabriela Mocănașu)
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Nichita Stănescu
Triste chant d’amour

il n’y a que ma vie
qui mourra vraiment pour moi
il n’y a que l’herbe
qui connaît le goût de la terre
il n’y a que mon sang
qui se languit vraiment de mon cœur
quand il le quitte

l’air est haut
tu es haute
ma tristesse est bien haute
il arrive un temps où les chevaux se meurent
il arrive un temps où les machines vieillissent
il arrive un temps où la pluie nous glace
et toutes les femmes portent ta tête
et tes robes

il arrive aussi
un grand
oiseau
blanc

*

Trist cântec de dragoste

Numai viața mea va muri pentru mine-ntr-adevăr,
cândva.
Numai iarba ştie gustul pământului.
Numai sângelui meu îi e dor, într-adevăr,
de inima mea, când o părăsește.
Aerul e-nalt, tu ești înaltă,
tristeţea mea e înaltă.
Vine o vreme când mor caii.
Vine o vreme când se-nvechesc mașinile.
Vine o vreme când plouă rece
și toate femeile poartă capul tău
și rochiile tale.
Vine și o pasăre mare, albă.

(traduit du roumain par Radu Bata)
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Nichita Stănescu
De l’état de grâce

Le seul état dans lequel la mémoire peut être acceptée comme accident d’un possible futur, c’est l’état de grâce.
Qu’on se pense impalpable et qu’on projette pour soi la subjectivité d’un passé éventuel vers un futur d’ordinaire visualisé en rose ne m’apparaît pas cependant comme un état fondamental de la grâce.
L’état de grâce, en dépit de son apparence délicate, possède en fait une nature explosive.
Il projette l’impalpable passé dans l’insaisissable futur, comme si le passé et le futur possédaient la nature du créé.
L’état de passé tout comme l’état de futur tiennent l’un et l’autre bien plutôt à la vivacité du verbe qu’au réel.
Mais, Seigneur Dieu, qu’est-ce que le substantif attend chez lui, à demeure, d’autre que le verbe ?
Voilà pourquoi l’état de grâce trouve des incarnations diverses et variées et peut-être pourquoi il est le seul état qui se soumette à la loi, à la pesée des valeurs. Pourquoi ?
Parce que l’état de grâce est le mouvement du verbe dans l’intervalle de deux substantifs, alors que la loi est le mouvement du vrai entre deux néants.
Nous ne pouvons cependant jamais nous-mêmes peser le poids de l’état de grâce.
Et pas seulement du fait que tout ce qui est créé pend [ou dépend].
L’état de grâce, en revanche, a pour propriété l’indépendance.
Il ne se comprend pas mais se perçoit seulement.
Tout juste comme l’herbe au printemps s’il se trouve que tu sois justement cheval.
Pour le reste, nous ne connaissons pas de suspension ou de pendaison plus sûre que celle étayée et pendue au coin angulaire du sourire de la Joconde.
Voilà pourquoi, sous le tonnerre et les éclairs, nous pensons avec affection à Pythagore, qui a interrompu la ligne droite par la diminution du cercle, avec le privilège du carré des cathètes.
Pythagore l’a expérimenté ; à cette différence près pourtant que nous, nous l’expérimenterons.
Cette courte leçon sur le triangle me reposera de moi-même, j’espère, cette nuit, alors que toi, Jupiter, t’es transformé dans mes esprits et par ma description en Tonans, c’est-à-dire en Tonnant et Foudroyant.
Nous conclurons par une prière en langue latine :
Ave Maria, gratia plena…

(traduit du roumain par Pierre Drogi)
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Nichita Stănescu
De la vicissitude
La blessure, en tant que cri de la douleur, a une signification sanglante.
Descendre de cheval [pour fonder un état] est à peu près aussi suave que l’épreuve de la roue. La douleur, si elle avait une signification immédiate, ne serait plus douleur. Le sentiment de la douleur est tout aussi majestueux que le néant lui-même.
Je me fais parfois la réflexion que les blessures de ce feu mien corps n’ont rien eu d’autre que l’incontestabilité du temps.
Mais des mots saignant de signification, je n’en ai jamais vus à l’œil nu

(traduit du roumain par Pierre Drogi)
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Nichita Stănescu
À propos de l’état de fragilité de la matière

L’état de fragilité de la matière, conçue depuis le point de vue de sa signification à elle, et non pas du point de vue de la signification [tout court], nous apparaît souvent s’incarner sous la forme du signe et de son signifié.
L’esprit tout ce qu’il y a de plus rudimentaire de l’être humain ne peut pas concevoir le signe de la matière autrement que dans la réalisation d’un rapport de réciprocité.
Le signe le plus suggestif alors nous apparaît consister dans l’entrecroisement de deux lignes, c’est-à-dire dans le point.
Au sujet de ce que signifie le signe point, notre capacité de compréhension commence à vaciller pour ce qui concerne la cession réciproque de frontière de la connaissance.
Et cependant nous revenons sur nos pas et nous disons :
 L’état légendaire s’oppose à l’état de mémoire.
Nous remarquons ce fait que le signe produit de la légende mais pas du souvenir.
La légende nous apparaît être le résultat d’un mélange du feu avec la neige et de l’ange avec le vol.
Ce que signifie le signe (son signifié) nous apparaît ne pas relever d’un acte de subjectivité de la pitié à l’égard de soi-même, mais au contraire, de la communication flagrante et sans compréhension évidente.
La pitié, qui commence comme sentiment par se manifester à l’égard de soi-même, selon notre opinion tempéramentale, est le plus vil des sentiments qui soit, quelque chose comme la plante des pieds de l’irréel salie par le réel.
Et cependant la pitié à l’égard de soi-même est le seul argument dans l’ordre des sentiments en faveur de la justification du réel  comme une descente urgente dans le créé, et non pas comme un état aléatoire de Rubicon, coup de dé, Double-Six, de l’absurde.
À travers la pitié on se libère de la grandeur en s’accrochant au mamelon gorgé de lait de l’infini.
Parfois, non-pensant dans aucune langue et non-pensant avec prédilection dans ma mamelue, gorgée de lait langue maternelle, il m’arrive de cracher sur les chiffres, à l’exception du chiffre un qui possède une nature qualitative, qui possède la nature de l’epsilon, qui, donc, possède la dimension fragile de l’infini.
Adieu paroles, une lamentation m’a saisi comme la pendaison a saisi François Villon.

(traduit du roumain par Pierre Drogi)
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Nichita Stănescu
[À propos] d’endurer et de ne pas endurer

Si ce qu’on endure est de l’ordre de la douleur, le refus d’endurer est la compréhension de la douleur.
Supporter la douleur de façon directe peut s’endurer, mais insupportable et non endurable est de supporter la compréhension de la douleur.
Autrefois (dans des temps anciens), quand je m’émerveillais de l’existence, je pouvais endurer la douleur de celui qui existe.
Maintenant que je ne m’émerveille plus de l’existence et que je ne suis pas encore parvenu à en comprendre le sens, je ne peux même plus ne plus me supporter.
Serait-ce cela la raison profonde du fait que c’est un sentiment appelé désir-inextinguible qui a occupé le peu de place de mon être ?
Désir-inextinguible de quoi, me demandé-je parfois.
Désir-inextinguible de je-ne-sais-quoi, me répond à chaque fois le daïmon.

(traduit du roumain par Pierre Drogi)
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Nichita Stănescu
À propos d’un vers goethéen

“ Arrête-toi seconde, comme tu es belle ”, le vers goethéen que je me suis permis de traduire en langue roumaine fait partie de ces quelques rares vers qui expriment le vrai.
Mais quel est ce vrai sinon une détérioration du réel par la logique ?
Qui a besoin de vrai quand notre besoin fondamental est de réel ? !
“ Mais où est le mot qui exprime le vrai ”, la question émise par Eminescu lui-même…
Mais le réel, mais le réel, mais le réel !

(traduit du roumain par Pierre Drogi)
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Nichita Stănescu
Signe 16

Elle dormait près d’une cruche d’eau.
Quelle veine fine fine le daïmon pouvait avoir !
Avec la maison la ville et tout
Je traversais le tunnel.
Ne m’affectaient que les ombres,
de ces sortes de lettres fraîchissantes.
J’avais très soif et
les barreaux fins lui tenaient lieu de corps
tandis qu’elle elle dormait près d’une cruche d’eau.

(traduit du roumain par Pierre Drogi)
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Nichita Stănescu
La dixième élégie

Je suis

Je suis malade. Une blessure foulée
aux sabots des chevaux galopants me fait mal.
L’organe invisible,
qui n’a pas de nom,
la non-ouïe, la non-vue,
le non-odorat, le non-goût, le non-toucher,
qui se trouve entre les yeux et le tympan,
qui se trouve entre le doigt et la langue.
Il a disparu en même temps que le soir.
Vient tout d’abord la vue, puis une pause,
il n’y a pas d’yeux pour ce qui suit,
vient l’odeur, puis le silence,
il n’y a pas de narines pour ce qui suit,
puis le goût, l’humide vibration,
et puis toujours le manque,
puis les tympans pour les paresseux
mouvements d’ellipse,
puis le toucher, la caresse, le glissement
sur un vaste ondoiement,
l’hiver gèle les mouvements
aux surfaces toujours enneigées.
Mais moi, je suis malade. Je suis malade
de quelque chose entre l’ouïe et la vue,
d’une sorte d’œil, d’une sorte d’oreille
pas encore inventée par les temps vécus.
Le corps, branche sans feuilles,
corps de cerf
se raréfiant dans l’espace libre
selon les lois exclusives des os.
Elles ont laissé sans défense
mes suaves organes de sphère
entre la vue et l’ouïe, entre le goût et l’odorat,
en dressant des murs de silence.
Je suis malade d’un mur, d’un mur écroulé
par l’œil-tympan, par la papille-odorante.
De façon aérienne, j’ai été foulé aux pieds
par les animaux abstraits.
S’enfuyant effrayés par des chasseurs abstraits
effrayés par une faim abstraite.
Leurs ventres criards les ont réveillés
de leur faim abstraite.
Et ils sont passés par-dessus l’organe non habillé
de chair et de nerfs, de tympan et de rétine
et à la merci du vide cosmique abandonné
et à la merci divine.
Organe de travers, organe tendu,
organe caché dans les idées, comme les humbles rayons
dans la sphère, comme l’os nommé
calcanéum dans le talon d’Achille
blessé par une flèche mortelle ; organe
qui flotte en dehors
du corps strictement marmoréen
qui n’est habitué qu’à mourir.
Me voici, malade d’une blessure
imaginée entre l’Étoile Polaire
et l’étoile Canopus et l’étoile Arcturus
et la Cassiopée du ciel crépusculaire.
Je meurs d’une blessure que mon corps
n’a pas pu contenir, mon corps apte aux blessures
dépensées en mots, en payant les droits de douane
en phrases.
Me voici, je suis étendu sur les pierres et je gémis,
les organes broyés, le maître
ah, il est fou, car il souffre
de l’univers tout entier.
J’ai mal car la pomme est pomme,
je suis malade de noyaux et de pierres,
de quatre roues, de la pluie douce,
de météorites, de tentes, de taches.

L’organe appelé herbe m’a été brouté par les chevaux,
l’organe appelé taureau m’a été poignardé
par la foudre-toréador en zigzag
que tu possèdes, toi, l’arène.
L’organe Nuage m’a été dissous
par des pluies torrentielles, battantes,
et toi, corps, en te parachevant,
tu rejettes toujours l’organe Hiver.
Le diable et le verbe me font mal,
le cuivre et la rhubarbe me font mal,
le chien, le lapin et le cerf me font mal,
l’arbre, la charpente, le décor.
Le centre de l’atome me fait mal,
ainsi que la côte qui me tient
dans les limites du corps, à l’écart
des autres corps, divins.
Je suis malade. C’est une blessure qui me fait mal
et que je peux porter sur un plateau
comme le trépas de saint Jean
dans une danse d’implacable gloire.
Je ne souffre pas de ce qui ne se voit pas,
de ce qui ne s’entend pas, ne se goûte pas,
de ce qui ne se sent pas, ne peut pas tenir
dans la cervelle étroite,
squelettique de mon être,
exhibée à la vue du monde simple,
ne pouvant souffrir qu’il y ait d’autres morts
que les morts qu’il a lui-même inventées.
Je suis malade non pas de chansons,
mais de fenêtres brisées,
je suis malade du nombre un,
car il ne peut être partagé
entre deux tétons, entre deux sourcils,
entre deux oreilles, entre deux talons,
entre deux pieds courant
qui ne peuvent s’arrêter.
Car il ne peut être partagé entre deux yeux,
entre deux errants, entre deux grains de raisin,
entre deux lions rugissants et entre deux
martyrs se reposant sur leurs bûchers.
*
(traduit du roumain par Linda Maria Baros)
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Nichita Stănescu
Quelques généralités sur la vitesse

La vitesse nous distingue les uns des autres.
Une seule est la même pour tous, la solitude.

La vitesse d'être d'une pierre
est plus lente que la vitesse d'être
d'un cheval.

Mais la pierre voit le soleil et les étoiles
alors que le cheval voit la prairie et les herbes.

Je dis :
les pyramides détenaient le record de vitesse paresseuse,
le regard le plus long.
Une momie de pharaon est un monceau de pierre.
Le pharaon de chair a vu l'Égypte,
le pharaon de pierre voit le cosmos.

À ceux qui sont de chair et d'os,
je dis :
Vous ne pouvez voir que ce qui est autour de vous.
Les idées sont des sortes de pierres,
donc contemplez.

À ceux qui sont de bois ou d'autres matériaux durables
je dis :
cassez-vous !
Pourrissez !
Si vous avez connu le tout
garnissez-vous de chair
afin de connaître aussi la partie.

Les os sont des béquilles internes :
ils portent la chair et les nerfs
mais ils sont plutôt de l'ordre de la pierre.

Je dis :
la chair et l'os
je dis le bon sens et je dis le mal du temps.

(traduit par Bernard Noël et Dumitru Tsepeneag)
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Fin de saison

J’étais si attentif
que le soir s’éteignait sur les coupoles
et que les sons gelaient à mes côtés,
se changeant en colonnes spiralées.

J’étais si attentif
que le flottement ondoyant des odeurs
s’affaissait dans l’obscurité
et que je me sentais comme si
je n’avais pas éprouvé le froid, jamais.

Soudain
je me suis réveillé si lointain
et si étranger,
déambulant derrière mon visage,
comme si, du relief insensé de la lune,
j’avais revêtu mes sens.

J’étais si attentif
que
je ne t’ai pas reconnue, et il se pourrait
que tu viennes encore,

chaque heure, chaque seconde,
et que tu passes à travers mon attente d’autrefois
comme à travers le spectre d’un arc de triomphe.

***
Traduit du roumain par Linda Maria Baros
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Nichita Stănescu
Adolescents sur mer

Cette mer est toute couverte d’adolescents
qu’apprennent la marche sur les flots, debout,
soit s’appuyant du bras à des courants,
soit s’étayant d’un rayon raide, de soleil imbus.
Je suis la plage vaste taillée aux fines facettes
et les contemple comme à un débarquement
d’une infinie flotte de yoles. Et je guette
un faux pas de voir, un glissement
du moins jusqu’aux genoux au vague diaphane
sonnant sous leur trop nonchalant essor.
Mais eux sont sveltes et calmes, et en même temps
ils ont appris à marcher debout, sur les flots.
*
traduit du roumain par Tudor Miricã
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Nichita Stănescu
Une lierre tu sois

J’aurais mieux aimé que tu sois une plante.
Une lierre tu sois contre ma joue sonner
quand les froids courants du soir arrivent en pente
du ciel tout étayé sur une seule pensée.
Si je t’aurais su la chaleur, contre mon flanc,
de feuillages frémissante et scintillant,
qu’il sort d’un unique tronc notre moment
à deux rameaux la lune appuyant.
Et le fracas de la ville, plus différent et plus embu
comme faute de couleur la mer, en bas, aux digues,
qu’il sonne en arrêtant d’un coup
les piliers de la silence en avançant, prodigues.
Que j’entends d’une feuille, d’une racine,
j’aurais aimé une saison sévère,
quand les dernières glaces s’agglutinent
en elles-mêmes. Et n’ont pas de leur place et meurent.
*
traduit du roumain par Tudor Miricã
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