Nicholas Searle on The Good Liar, Ian McKellen, Helen Mirren interview at premiere in London
Quand le café arrive, il soupire, ferme les yeux et se laisse envahir par l'arôme. En se forçant un peu, il peut se croire dans une brasserie de Vienne ou dans une confortable Konditorei d'une ville allemande bourgeoise. Toutes les villes allemandes sont bien sûr bourgeoises et confortables. Il s'y imagine une fraction de seconde, mais est bientôt ramené à cette Angleterre de merde. Et cela depuis soixante ans, pense-t-il ; ou plutôt soixante dix ans. Il déplie son journal et recouvre son calme.
Les filles sont particulièrement fascinantes. Les garçons, des adolescents en pleine puberté, fanfaronnent et foncent tels des rhinocéros, victimes inconscientes de leurs hormones. Les filles sont plus averties. Et du savoir naît le doute, exprimé de multiples façons. Il y a celles qui, pragmatiques et studieuses, estiment que diligence et intelligence, qui font bon ménage, les aideront à surmonter les écueils et les mettront à l’abri de la solitude et de l’échec. Il y a les jolis minois, les pin-up de la classe, pour la plupart des petites têtes pas compliquées, sûres de leur charme et de leur popularité et, malgré tout, très peu sûres d’elles-mêmes parce qu’elles savent d’instinct que leur beauté est éphémère et qu’elle dépend des caprices de leur croissance. Puis il y a les petites putes ; pas forcément très malignes, assez cependant pour savoir qu’elles ne sont ni très brillantes ni très jolies. Elles utilisent des stratagèmes, se maquillent, raccourcissent leurs jupes sitôt qu’elles quittent la maison pour attirer l’œil des garçons.
Vous ne m’aimez pas. Et je m’en fous. Il émet un petit gloussement et sursaute. Cela devient difficile, très difficile, de maintenir ces échanges affectés et de feindre en souriant un intérêt pour ce dont il est question. L’effet de l’âge. Il ne faut pas se contenter de faire mieux ; il faut réussir. Absolument. Il doit se montrer investi et enthousiaste, devenir un membre à part entière – et pas un intrus – de cette coterie pleine de suffisance.
C’est pourtant pénible. La tolérance n’a jamais été, il le reconnaît volontiers, son point fort. Déguiser l’intolérance, ça oui, mais c’est une tout autre chose. Il s’est beaucoup amusé au cours des années à masquer ses sentiments d’un sourire indulgent et d’un petit mot gentil. ça a toujours payé.
Les « Russes » étaient en fait un groupe d’individus d’Europe de l’Est, des marginaux que Roy avait rencontrés lorsqu’il vivait dans les Balkans et qu’il avait installés pour deux semaines dans quatre chambres du Savoy, en leur donnant un peu d’argent de poche. Ils devaient suivre tous les jours le script précis qu’il leur fournissait. C’était bien entendu un peu plus compliqué que ça, plus exigeant, mais telles étaient les grandes lignes. Les « Russes » étaient rusés, on ne pouvait leur faire entièrement confiance, cependant ils étaient intéressés par l’offre de Roy et, très important, ils avaient compris qu’il était aussi futé qu’eux. Le trahir n’était pas dans leur intérêt.
Face à une déception annoncée, il pourrait ainsi s’en aller discrètement sans se présenter. Ces choses-là sont tellement prévisibles. Mais il ne repart jamais. Il se fait un devoir de saper leurs illusions. Pour leur bien. Et se dirigeant vers la créature avec un sourire radieux et galant, il se lance dans une scène jouée cent fois.
« Une des choses que je déteste tout particulièrement, dit-il, c’est la malhonnêteté. »
Le plus souvent, elles sourient et hochent la tête avec humilité.
– Vous ne parlez jamais de votre passé, dit-elle doucement.
– Parce que je crois que ce qui est passé est passé. Aucune raison de revenir là-dessus.
Être chef de projet n’intéresse pas Stephen. La gestion en elle-même le rebute un peu. Le but à atteindre, l’effort mental, la recherche, la joie de découvrir des éléments nouveaux qui chamboulent le terrain, le sentiment de créer quelque chose qui en vaille la peine : c’est là que résident pour lui les objectifs importants, et non pas dans la simple gestion de projet.
L’hiver amène l’arthrite, nous entrave et nous empêche d’aller loin, nous plonge dans la solitude de cette prison familière avec un sentiment croissant d’impuissance et d’inutilité. Et elle sait qu’en dépit de cette impression de confort douillet, chaleureux, elle est tout sauf à l’abri. Le loup rôde, même s’il ne s’est pas encore montré. Elle doit rester vigilante.
Ce qu’il lui faut, ce qu’il désire plus que tout, c’est un dernier coup à jouer. Un dernier pari. Un dernier lancer à la roulette. Et il sait que Betty est celle qui lui en offrira l’occasion. L’inactivité l’effraie, et Betty peut – sans le savoir, bien sûr – l’aider à y remédier. Il y aura une série de manœuvres délicates à effectuer. Et ça, c’est son point fort.
C’est un truisme de dire que plus on vieillit, plus on devient sensible au passage des saisons et aux caprices du temps. Cependant, c’est peut-être vrai. Il est possible aussi, se dit Betty, que, comme l’affirment les experts, le climat soit devenu plus extrême et que le changement de saison se fasse plus brutal.