Citations de Nicole Dennis-Benn (90)
A sept heures, la chaleur a déjà presque atteint son pic et l'air est empli de l'odeur des mangues Julie et des vers de terre écrasés -- victimes de l'averse de la veille au soir.
Patsy a passé toute son enfance auprès de sa mère, à l'église ou aux coins des rues à distribuer des prospectus intitulés Jésus sauve! et à prier pour les "pécheurs" qui les refusaient sous prétexte qu'ils étaient en retard au travail ou à l'école.
Patsy enfile toujours ses vêtements dans le noir, car elle évite de se regarder dans les miroirs, généralement mécontente de ce qu'elle y aperçoit : un visage rond et plat ordinaire, un nez large, des lèvres pleines et boudeuses qui lui donnent l'air d'un enfant déçu d'avoir perdu son jouet préféré, malgré les fossettes qui creusent en permanence ses joues.
Bien qu'à deux ans seulement de la trentaine, Patsy n'a rien de convaincant à présenter, hormis la fine enveloppe marron qu'elle utilise pour s'abriter du soleil chauffé à blanc. Celle-ci contient tous ses papiers, de son acte de naissance à son carnet de vaccination.
Ses yeux lui valent les compliments des hommes, mais sa poitrine généreuse leur vole la vedette.
J'ai appris l'importance d'avoir un gagne-pain.C'est notre seul moyen de survie. Et même si l'argent n'achète pas certaines choses, comme le rang social et le bon sens, il permet de se faire accepter. Quand tu es riche, les gens font attention à toi, ils t'acceptent comme tu es. Tu peux être bête comme un âne ou laide comme un pou, tous les hommes, femmes et enfants de ce monde te témoignent du respect quand tu as un peu de sous dans ton portefeuille. On ne perd rien à travailler dur.
Tout ce que souhaite Margot, c'est enfouir le visage dans la poitrine de cette femme qui ne l'a jamais aime, serrée dans ses bras, doucement bercée, ni caressée. Mais Delores se contente de lui cracher à la figure. Un filet de salive coule lentement sur la joue droite de Margot, pareil à une larme épaisse.
( p 308)
" Qu'est-ce qui t'a convaincu de m'aider l'autre jour?"
Charles hausse les épaules.
" Je sais ce que ça fait d'être méprisé. D'être le sujet des commérages de tout le village. D'avoir l'impression que les gens vous regardent de haut pasqu'y se croient meilleurs que vous.
- Ta mère t'a bien élevé."
( p 249)
Y transforment nos marmailles en robots, Margot. Y leur enseignent que la philosophie de l’homme blanc. Et notre héritage? Et notre culture alors?
Tu peux continuer à te blanchir la peau, ça ne changera rien, dit Margot à Thandy dont les bras se couvrent de chair de poule. Crois moi, ca ne changera pas ta place dans la société, ni le regard que les autres posent sur toi.
p 279
Cette menteuse folle à lier qui se blanchit la peau sait que les filles de Delores la détestent. Cette femme qui n’a rien de bon à vendre et que les clients ignorent ouvertement connaît son point faible. Ce rictus moqueur que Delores rêve de faire disparaître est tout à fait révélateur ; et même si elle réussit à la faire blêmir (plus efficacement que l’eau de Javel), cela n’effacera pas le fait que Mavis a probablement de meilleures relations avec son fils que Delores n’en aura jamais avec ses filles.
Maintenant qu’il est adulte et doit à son tour subvenir aux besoins de ses enfants, il fabrique des oiseaux que Delores vend pour lui en récupérant la moitié des gains. Voyant les deux femmes se disputer, il n’hésite pas un instant à prendre la défense de son amie.
Si elle avait la peau plus foncée, Kensington ne serait pas considérée comme une jolie fille. Et elle n’aurait pas été embauchée à ce poste. Alphonso l’a engagée comme secrétaire à temps partiel l’été passé après qu’elle a obtenu le CXC, et elle a fini par rester. Il n’en fallait pas plus pour qu’elle se croie autorisée à émettre des suppositions sur la relation qu’entretiennent Margot et Alphonso.
Margot résiste de toutes ses forces à l’envie de se réfugier dans le fantasme auquel elle laissait libre cours un peu plus tôt, celui de sa fuite avec Verdene – une pensée qui tourbillonnait dans son esprit tel un enfant insouciant comme pour y faire de la place. Toutefois, malgré ses efforts, elle ne peut pas l’empêcher de refaire surface. Ni le protéger de Delores. Le plus sûr est de l’éliminer.
Ces gens sont de vraies fourmis , songe Margot – ils se jettent tous sur le même morceau de pain . Ma foi, qu’ils continuent donc à se contenter des miettes. En ce qui les concerne, Verdene et elle seront ravies de ne pas avoir à se tordre le cou pour jeter sans arrêt des coups d’œil par-dessus l’épaule quand elles vivront là-bas. Margot a tout planifié. Sa promotion au poste de directrice générale est imminente. Elle est certaine de l’obtenir ; certaine des sentiments d’Alphonso pour elle.
Ce n’était pas faute d’aimer son époux, un gentil catholique du Guyana que sa tante avait choisi pour elle. La jeune femme était simplement incapable de jouer les épouses modèles. Mais voilà qu’elle comprend enfin, dans la cuisine de sa mère, ce que celle-ci voulait dire.
Verdene lutte contre l’envie de la suivre jusqu’au lit, consciente, en son for intérieur, que le sexe est pour elle une drogue. Elle est tentée de laisser Margot lui faire tout ce qu’elle veut. Mais que se passera-t-il ensuite ? C’est cet après que Verdene craint par-dessus tout. Et si la volonté qui anime à nouveau Margot d’être séduite n’était rien de plus que de la curiosité ?
Elle a vécu toute sa vie dans le secret. À ce stade, pourquoi avoir honte de ce qu’elle fait sous son propre toit – dans cette maison que sa mère lui a léguée ? Néanmoins, elle s’exécute.
Margot couvre sa poitrine avec le drap blanc, chose qu’elle ne faisait jamais avant car elle ne déteste pas se pavaner nue. Jadis, elle se délectait du désir qu’exprimait le regard de ses clients quand ils la regardaient se promener dans la suite sans la moindre inhibition. C’est exactement le comportement qu’ils attendent de la part d’une femme des îles.
Elle se balance et s’agite, consciente du chaos insidieux, de la sensation qui se répand de son entrejambe aux orteils dressés d’Horace, comme si son orgasme s’emparait également de lui. Quand tout est terminé, Margot redescend brutalement de son nuage et s’effondre à la manière d’un gros arbre abattu par la hache impitoyable de la nature.