AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Critiques de Nicole Lombard (11)
Classer par:   Titre   Date   Les plus appréciées
Etrangers sur l'Aubrac

Si vous me suivez fidèlement vous savez que j’ai aimé le livre de Claudie Hunzinger : Survivance, elle y faisait référence à un livre qu’elle aimait beaucoup et à l’expérience d’une soeur de galère : Nicole Lombard.

C’est mon côté fouineur qui m’a poussé à chercher et trouver le livre de Nicole Lombard et vous savez quoi ? j’ai aimé ce livre et du coup hop je vous en fait cadeau.





1997 un couple suite à une faillite ( oui encore un) est forcé de quitter sa maison du gard, obligés de partir « loin des garrigues » en emportant quelques meubles, quelques livres (les autres sont répartis chez les amis) , le vieux cheval Baron, chats, chiens et direction l’Aubrac où ils sont propirétaire d'un terrain : le Pré Célestine



Michel et Nicole n’ont même pas une maison délabrée pour les accueillir, non c’est sous la tente qu’ils trouvent refuge, une grande tente notez, une tente de l’armée, mais pour passer l’hiver sur l’ Aubrac c’est un peu minimaliste comme solution.

Après le déménagement voici le temps de l’installation au Pré dCélestin à Nasbinal.

Ils sont des sans logis, des SDF comme les pèlerins qui passent par ce plateau en direction de Compostelle et du coup s’attirent la méfiance des gens du cru. Pas facile de s’insérer quelque part.

Si l’été est une extraordinaire explosion de la nature, les pluies et le froid mettent les nerfs à rude épreuve.

La vie est parfois très dure, quand EDF menace de ne plus les approvisionner, quand un employé du cadastre leur cherche un peu des poux dans la tête pour une question de bornage.

Heureusement de temps en temps le ciel se dégage et ils font connaissance avec des habitants chaleureux ou organisent quelques retrouvailles avec la famille.





Ils sont fous ? oui je crois un peu et d’ailleurs amis et famille ne se privent pas de leur dire, parce que non contents de s’installer dans le précaire ils vont en plus mener à bien un projet d’édition pour l’un, d’écriture pour l’autre.

Vivre malgré tout, envers et contre tout, s’abreuver aux livres, s’organiser des concerts à domicile sous la tente grâce à la fée électricité, Nicole relit Molière, Jünger, écoute le Requiem de Verdi à la radio. Elle souhaite se sentir apaisée et contourner les obstacles

« Etre à la fois sédentaire et nomade, étranger et pays, ne pas avoir à choisir - ni surtout qu’on choisisse à ma place - Il faudrait pouvoir y arriver, mais que de passes difficiles, en soi et autour de soi, à franchir. »



Aucun misérabilisme, pas de trémolos dans la voix, Nicole est beaucoup trop amoureuse de la vie pour baisser les bras, elle préfère admirer la première fleur d’un « pavot bleu de l’Himalaya » et le soir retourner « le contempler aux dernières lueurs du jour »



Un livre qui comme d’autre est un chemin vers les livres avec sa multitude de références littéraires qui vous fera enrichir votre carnet de lectures De Giono à Julien Gracq, de la Bible à Annie Dillard, d’Henri Bosco à Thoreau, bref je me suis sentie en pays de connaissances.



Récit incroyable et livre sincère, leçon de vie authentique, un livre qui donne envie de se battre, de s’alléger du superflu, de se réjouir de la vie telle qu’elle est. J’ai suivi le chemin de Claudie Hunzinger à Nicole Lombard et je vous propose d’en faire autant en faisant une place à ce livre dans votre bibliothèque.


Lien : http://asautsetagambades.hau..
Commenter  J’apprécie          101
L'année d'Anaïs



Je me revois encore, en ce même mois d’avril d’il y a cinq ans, découvrant "Étrangers sur l’Aubrac" installée au soleil de mon premier potager. Un chat gracieux, leurré par mon immobile concentration, a passé le mur et s’est approché sans méfiance. J’ai tourné une page; il s’est carapaté. Dans ma critique d’alors, je disais que recevoir des nouvelles de frères humains de précarité libre et digne me redonnait du cœur à vivre.



"Une sieste auprès des corydales. (…) Grappes de clochettes où viennent en foule les papillons couleur de primevère, les premières abeilles, et de gros bourdons habillés de velours. Béatitude : tout ce monde ne fait pas attention à moi, qui suis allongée sur l’herbe avec un livre." (49)



Aujourd’hui, notre précarité est cernée d’interdits, de chagrins, de miasmes et de pétoche. Ce carré de jardin, à l’heure du Grand Encabanement Général, est devenu le dernier refuge où le soleil brille et les insectes vivent leur vie sans se soucier de moi et de mes attestations de sortie – béatitude. Et me voilà lisant "L’année d’Anaïs", journal de l’année 2018 telle que vécue en la cabane aubracienne. Isha – ainsi nommé en hommage à Issa, le poète, rencontré lui aussi dans une publication des éditions du Bon Albert -, chat abandonné par d’inconnus voisins, nous a depuis adoptés et s’est intronisé gardien du potager. Du haut de son mur, il regarde passer les villageois de sortie pour leur heure octroyée par le gouvernement.



"D’un peintre, qui exposait, je crois, dans une librairie de Conques : « ma peinture s’adresse au silence de chacun ». On peut le dire aussi de l’écriture. J’aime beaucoup le silence." (95)



Le silence de l’enchantement né de la contemplation d’un mélèze illuminé par l’automne ou de l’ombre fugace d’une anthrisque sur une pierre plate, scintille entre les lettres, entre en résonance avec nos propres vibrations intérieures. Mais aussi le babil des souvenirs, le grattement de la littérature, parfois l’exubérance d’une exclamation. Il n’est pas sûr que le seul silence – partage intime, certes, mais solitaire – soit attendu du lecteur. Nicole Lombard, dans son envie de transmission, cherche aussi des signes d’amitié, aimerait tendre, semble-t-il, si elle le pouvait, un bâton de parole, à celui qui se penche sur le papier imprimé de ses mots. Les pages bien aérées, blotties derrière une couverture colorée, donnent d’ailleurs envie d’aller chercher sa boîte de crayons de couleur. Les grandes marges blanches semblent attendre de ceusses qui les balayent d’un regard pour se concentrer sur le texte, un élan créatif, une mise en image de leurs sensations, un embellissement spontané fait de portraits, de nuages, de tout ce qui leur passe par la tête et qui puisse illustrer ces histoires, chroniques et réflexions.



"Avec notre envie presque désespérée de transmettre aux jeunes générations quelque chose de ce qui nous fit aimer le monde, la vie, nos parents, nos anciens comme aussi bien nos contemporains, nous nous trouvons devant elles, en permanence, comme quelqu’un qui n’aurait pas su choisir le bon cadeau." (147)



C’est ce qu’elle a décidé de faire avec ses Pléiades, Nicole Lombard, après les avoir pendant des années conservés comme des trésors immaculés pour ses descendants : les annoter, les marquer de sa trace. Le flux généalogique se construisant et formant son esprit au loin, du renoncement à léguer est né une certaine liberté. Non sans tristesse. Elle picore dans ses souvenirs, réassure ses points de repères, nourrit les sanctuaires du songe. Que reste-t-il d’une vie quand elle chemine sur la dernière portion avant… avant quoi ? Un monde s’efface. Celui qui vient ne semble pas porter en lui le frémissement de la même sève. Mais qui sait ? Sans doute y aura-t-il toujours des cœurs pour nourrir un rapport mystique avec leur coin de pays, le bouquet d’arbre du haut de la colline, l’hirondelle de la fenêtre qui revient chaque printemps. Malgré les grands chambardements…



"Où ai-je donc pu lire ces mots d’Ernie Lapointe, arrière-petit-fils du légendaire Sitting Bull :

« Nos déséquilibres spirituels détruisent la nature » ?

Ainsi donc, si nous réussissons à retrouver, dans tout notre être, l’équilibre perdu, ce serait plus efficace pour sauvegarder ce qui reste autour de nous, et en nous, de nature, que tous les « plans » des politiques ?

Je le crois volontiers.

Mais j’ai bien peur, hélas ! que nous ne soyons déjà misérablement, et ridiculement, parvenus au tout dernier étage de la tour de Babel…" (80)




Lien : http://versautrechose.fr/blo..
Commenter  J’apprécie          80
Etrangers sur l'Aubrac

« Nous sommes des naïfs. Malgré toutes nos vicissitudes, nous sommes restés des naïfs. » (128)



J’ai beaucoup d’amitié pour ce livre. Il me parle de pays connus : Nasbinals, Anduze, Florac, le Lévezou, les Monts de Lacaune. Il me donne des nouvelles du petit peuple : troglodyte, libellules bleues, carabes, merles du pays d’Aubrac. Il évoque des écrivains chers au cœur de Jean Carrière : Julien Gracq et Jean Giono… ultime surprise, voilà Jean lui-même dans les derniers chapitres, aux prises avec l’univers des fourmis !



En un mot comme en cent, me voilà chez moi, à l’aise comme une pâquerette dans un pré. La géographie se calque sur celle des acacias et de leurs floraisons. L’existence est de celles qui connaissent le fond de la survie, les gestes qui tentent d’apprivoiser les désastres et une curiosité toujours alerte. Quand on a plus rien, que nous reste-t-il ? Quand il fait -1 dans sa tente, Nicole Lombard se désole de voir ses « pauvres petites feuilles de hêtre toutes neuves, toutes fraîches, brutalisées par le gel et la neige ». Les humains se mêlent aux vents, aux vaches, aux chiens et aux lis martagon sur un pied d’égalité.



« C’est fou ce qu’une paire de gants neufs peut changer vos relations avec les orties. » (139)



Sur cette terre de planteurs de croix où « Saint François d’Assise, un saint étranger, et pauvre de surcroît, n’a pas son mot à dire », Nicole Lombard et son compagnon s’inventent une vie habitée de leprechauns, menacée par « la manivelle de l’affreuse machine à broyer les petits et les humbles », dans une précarité digne et intègre. C’est tout un art de préserver nos petites vies de rien du froid, de « l’enivrement administratif » (Dostoïevski) et de l’arnaque normalisée. Recevoir des nouvelles de frères humains de la précarité libre et digne redonne du cœur à l’ouvrage.



« Enfin, tant que nous aurons des livres, nous ne nous pendrons pas » affirmait déjà Mme de Sévigné, qui avait sans doute aussi froid. » (189)
Lien : http://versautrechose.fr/blo..
Commenter  J’apprécie          72
Loin des vendanges

« Comment voulez-vous que m’impressionnent les « grands de ce monde » et leur suite, quand il m’est donné de fréquenter, avec le plus parfait naturel, la cour du roi Arthur ? » (123)



Partie en vadrouille au fond du cirque de Navacelles, c’est sur toile de rivière sauvage que j’ai tourné les premières pages de ces vendanges. Emballées par le grand air, elles se sont ensuite refusées à moi en intérieur. Pas moyen de les approcher pour une dégustation sur canapé dans la maison, une connexion tout juste consentie au jardin (où trône tout de même une belle et vieille vigne). J’ai d’ailleurs remarqué à cette occasion que les petits oiseaux et autres chats farouches s’approchaient de la lectrice concentrée comme d’un être inanimé, sursautant tous de concert et s’éparpillant au moindre signe de vie.



Un début rond (comme une barrique), sucré, enrobé, doux comme le raisin, d’une écriture malicieusement désuète et chantournée, presque du roman régional de quatre sous, qui prend ensuite son envol en une constellation d’évocations, plumes au vent. On pourrait les croire un instant en roue libre, mais elles se croisent et s’accoquinent, ouvrant un univers. Si les souvenirs personnels s'égrènent, c'est avec une mémoire plus vaste qu'ils trouvent résonance, celle des jardins, des vignes et des tonnelles. J’ai mis presque un mois à parcourir ces 158 pages écrit gros, goûtant l’atmosphère, faisant durer exprès la dernière goutte d’ivresse au fond du ballon. Je n'ai d'ailleurs même pas songé, durant tout ce temps, à accompagner ma lecture d'un véritable verre de vin, tant le goûteux en était palpable.



« Car aussi bien qu’on distingue, en histoire, un temps court et un temps long, il y a une vraie différence entre une ivresse courte et une ivresse longue. Celle-ci étant, bien entendu, la seule qui vaille. Et qui peut s’emparer de vous du fait d’un cru mémorable, d’une histoire d’amour, ou du vin des livres. » (122)
Commenter  J’apprécie          50
Pèlerinage au lac de Pont

« Loin des vendanges » avait apprécié les gorges de la Vis… et bien soit, si la trilogie des origines aime nomadiser, nomadisons… C’est donc sur l’Aigoual, entre deux bolets des sous-bois et une mémorable cueillette de coulemelles des steppes, que j’ai ouvert ce pèlerinage pour la première fois.



Vraisemblablement apéritif au roman qui va suivre (« Un père que j’avais »), il se présente comme un carnet, format agenda et couverture souple. Ce qui le rend tout de suite familier, proche, amical. Pas besoin de marque-pages, je le feuillette, me perd et me retrouve comme le ferai dans mes propres notes. L’écriture prend la route, se fait sinueuse. Car on essaie, autant que faire se peut, de se translater sur les départementales plutôt qu’à l’aide des autoroutes. Le voyage a du charme, sur les traces floues entre mémoire propre et mémoire transmise. Nina Berberova en disait récemment, sous mes yeux :



« Chacun de nous a des souvenirs secrets et merveilleux qui remontent à son enfance, à sa jeunesse ou même à son âge adulte. Ce sont des bribes du passé qui nous sont particulièrement chères : une journée d’été, un bord de mer, les paroles ou le silence d’une personne aimée. Dans la vie réelle, il n’en reste rien. Les protagonistes, jeunes ou vieux, sont morts ou devenus méconnaissables. La maison a brûlé, le jardin a été détruit, le lieu a changé trois fois de nom, la végétation l’a envahi ou bien on y a creusé un lac artificiel. Nous sommes seuls avec nos souvenirs, comme un rêve » (« C’est moi qui souligne » 435)



N’étant pas d’un naturel orienté, j’ai quand même eu quelque sentiment d’égarement autour de Venarey-Les Laumes. Pour qui ne connaît pas le coin, bien que l’itinéraire soit généreusement détaillé, un flou s’installe, des grumeaux géographiques entravent la fluidité de l’imagination. Un croquis griffonné sur le carnet n’eut pas été de trop.
Lien : http://versautrechose.fr/blo..
Commenter  J’apprécie          40
Le pommier d'Anaïs. Histoires d'Aubrac et d'a..



"S'il faut parler ici de mysticisme, et pourquoi s'en priverait-on ? il ne s'agit pas d'un mysticisme d'envol, il ne s'agit pas de sortir de soi, mais d'un phénomène assez comparable à la dormance végétale, ou animale : il s'agit de se concentrer sur sa sève, sur le cœur de ce qu'on est vraiment. Un approfondissement, un très et patient éclairement, une purification." (105)



Quand on randonne sur les chemins étroits, au fond du cirque de Navacelles, par les tours et détours, les angles et les avancées rocheuses qui masquent la vue, l'omniprésence de la rivière et l'enchevêtrement enveloppant de la végétation donnent l'illusion qu'on est seul au coeur d'une sauvagerie. Puis surgissent des passants, des marcheurs, des visiteurs, qui vont la plupart du temps d'un pas si vifs qu'on se croirait un instant dans les couloirs de la station de métro du Châtelet, à Paris. Aussitôt apparus, aussitôt évanouis. On revient à ses sens en éveil.



Ce dialogue intime avec le paysage, faisant fi des prétentions humaines, nourrit les rencontres qui parsèment ce livre. Les frênes dansants du pré voisin, Mignonne et Gironde, ou la grosse jument du bras mort de la route montant vers l'Aubrac, sont le sujet d'autant de relations buissonnières, d'émotions spontanées, d'arrêts fraternels hors contrats. Les actes de propriété sont provisoirement translucides, ne font pas partie du même monde. La liberté de se lier, d'une manière discrète et tendre, à ce qui ne nous appartient pas, voilà tout le secret.



"Vous me direz : vos trois roses trémières n'en demandaient pas tant. Tout ce ciel, cet enfer, ces voix, ces rimes, cette musique…" (41)



Possédées, Black Knight et Festiva Maxima, compagnes végétales achetées, payés, plantées, le sont. La même affinité dans la beauté, le bonheur d'en prendre soin en plus. Ce qui ne les empêche pas, en dépit des incantations et transes littéraires de Nicole Lombard, de ne pousser qu'à leur tête. Attente, déception, disparition, réapparition, le vide enfin, ou le sentiment de gâchis, sont des tristesses incontournables pour qui s'inscrit dans la nature bruissante avec une grâce d'existence où l'essence de l'être se mêle à la lumière et au vent. L'attachement sera forcément malmené. le jardin de Célestine transformé en parking. Ou ce bâton de marche, poli par la paume de ma main depuis plus de 8 ans, cinq minutes oublié sur le sentier du cirque de Navacelles et déjà subtilisé, envolé, effacé. Et même pas par un ours, ce qui m'aurait enchantée. Nous cheminons sur le toit de l'enfer et nous admirons les fleurs. Cher vieil Issa….



En écho encore cette évocation de l'autour Mabel :



"Depuis que je laisse Mabel voler à sa guise et que je la lâche librement, j'ai découvert quelque chose de tout à fait étonnant. Elle aussi se construit un paysage des lieux magiques. Elle fait des détours par certains coins pour vérifier si le faisan ou le lapin qu'elle y a vu la semaine dernière n'y serait pas revenu. C'est une superstition insensée, l'heuristique instinctive de l'esprit prédateur, et cela fonctionne. Elle apprend une manière particulière de naviguer dans le monde et sa carte coïncide avec la mienne. Mémoire, amour et magie. Ce qui se passait au cours de ces années d'expéditions enfantines, c'était la lente transformation de mon paysage en ce que les naturalistes appellent une « tache », un lieu chargé de mémoire et de sens. Mabel fait la même chose : elle fait de la colline un lieu qui soit le sien. le mien. le nôtre." [M pour Mabel de Helen McDonald p324)




Lien : http://versautrechose.fr/blo..
Commenter  J’apprécie          30
Un père que j'avais

Le premier démarrage a eu des ratés. Un refeuilletage face aux cailloux de Roquesaltes a amorcé ma seconde tentative, qui fut la bonne. « Un père que j’avais » est de ces romans flottants qu’on lit d’une traite ou qu’on abandonne. L’atmosphère y est forte, mais ténue, vite effilochée par un souffle de préoccupation, d’activité, de mouvement. Il tire sa substance d’un espace du cerveau entre mémoire et construction de soi, réalité des faits et récits. Reflet vivant des travaux que Boris Cyrulnik a pu faire à ce sujet ( voir « Autobiographie d’un épouvantail »), il y manque un éclat ou une grâce pour satisfaire vraiment le cœur romanesque de la lectrice, tandis que sa plongée l’entraîne, par un magnétisme de ces zones de l’esprit en constante construction, vers les tréfonds.



« Ce fut un moment important de ma vie, et je n’en finis pas de me désoler de ce que ma mémoire en ait si peu retenu. Je n’arrive pas à faire le compte de ce que j’ai perdu. » (22)



Le caractère intime de ce qui est dit est parfois déstabilisant, puis le travail de broderie, fait de petit bouts de rien, renforcé par le côté artisanal de l’objet, redonne de la vivacité. J’aime cette démarche, mêlant autobiographie et romanesque, que j’ai déjà croisée chez des auteur anglo-saxonnes qui en semblent friandes. « Du côté de Castle Rock » d’Alice Munro ou « Pourquoi être heureux quand on peut être normal » de Jeanette Winterson m’avaient enchantée.



Ici on sent que Proust a soufflé sur les phrases. J’en soupçonne même une ou deux de ne jamais aboutir, partant à l'aventure sur sa lancée propre… Elles rendent parfois de jolies sonorités.



« Mais qu’était-il allé faire, avec les idées qu’il avait, les convictions qu’il affichait, dans une école militaire ? » (86)



Leur rythme, en tout cas, a un caractère singulier qui roule sur les pierres.



J’ai goûté tout du long cet esprit de fraternité qui met à égalité les vivants et les morts, dans une dimension où ni l’âge ni le statut ne comptent plus tant que le fait d’être humain, liés momentanément et selon des modalités qui ne sont pas toujours élucidées. L’histoire qu’on se raconte vient alors à notre secours, subtil équilibre d’objectivité et d’imagination. Un beau travail sur la mémoire qui n'a pas peur de perdre pied.


Lien : http://versautrechose.fr/blo..
Commenter  J’apprécie          30
Les volets verts du Paraïs



"Les lecteurs qui auront eu la constance de me suivre jusqu'à ce huitième chapitre ne peuvent être que des connaisseurs avertis de l'oeuvre du maître." (57)



Je n'ai pu que sourire devant ces mots glissés à peu près à mi-chemin du livre, "connaisseurs", "avertis", "maître", moi la récalcitrante qui tente d'approcher les livres de Giono de loin en loin, ayant tiré éblouissement de la "Trilogie de Pan" puis moult déceptions, notamment auprès de ces romans du temps du lyrisme à gros souffle. Mais le hussard m'attend toujours sur son toit. Peut-être sera-ce là le lieu d'une rencontre torride.



Du qualificatif de maître, donc, je ne dote pas l'écrivain de Manosque, mais j'ai pourtant écouté, et sans rechigner, la petite musique qui s'échappe de la fente des volets verts du Paraïs. D'abord parce qu'une balade en voiture en compagnie de Nicole et Michel Lombard est toujours promesse de discrets enchantements, regards ouverts sur des contes de voyageurs, évocation de lieux connus (Tiens, Florac ! Que j'associe pour ma part essentiellement à une certaine boutique de gourmandises aux châtaignes…). Ensuite parce que c'est avant tout le livre d'une lectrice. Par une fraternité, non pas gionisiaque, mais avec toute sensibilité aux mots qui se mêlent à la vie, j'ai suivi. Avec une certaine fascination pour la façon dont peuvent se dérouler les événements sociaux autour de la littérature. Je suis une tourneuse de pages cavernicole qui fréquente peu ses congénères. L'affaire m'a parue exotique.



"On reconnaît un grand livre, une grand oeuvre, à ce que la « connaissance » qu'on en prend, à la première lecture mais aussi bien, je crois, après une longue étude, est bientôt dépassée, submergée, par la reconnaissance qu'on éprouve à l'égard de l'auteur. Nous sommes ici aujourd'hui, dans ces jardins, dans cette maison, dans cette ville, tournant éberlués autour de l'athanor dont le secret, heureusement, nous échappera toujours. Nous sommes ici pour nous acquitter, chacun à sa manière, d'une infime partie d'une démesurée dette de gratitude. Une dette dont nous ne voudrions , pour rien au monde, qu'elle nous soit remise." (93)



Familiers, amoureux, officiels ou remue-méninges gravitent autour de l'événement, en tirent un suc, y apportent de leur grâce ou grattent le tas de compost. le lecteur seul sait dans son intimité son lien véritable et sa maturation en compagnonnage avec les mots de l'auteur. Voyage très habité, coffret aux émotions de toute une vie, mémoire semée d'énigmes et mâtinée d'un humour droit dans ses bottes, c'est une excellente lecture d'hiver pour sortir de l'engourdissement tout en restant bien au chaud dans le secret des expérimentateurs de littérature vivante.




Lien : http://versautrechose.fr/blo..
Commenter  J’apprécie          20
Le cheval au bord du lac

Merveilleuse bibliothèque de Saint-Affrique, qui, en plus de proposer « Étrangers sur l’Aubrac », recèle la suite en ses étagères. Je crois même en avoir entraperçu un troisième…



« Je ne suis plus que bribes… » (75)



Merveilleuse Nicole Lombard, qui d’une plume pudique, quoique généreuse, continue son épopée autobiographique en contrée sauvage. Je comprends qu’un élan postal ait saisi ses lecteurs à la nouvelle de sa perte douloureuse : livres, chats, écrits, photos, partis en cendre dans un incendie. À la lecture du livre, 15 ans plus tard, me prend moi-même une envie irrésistible de lui faire signe. Des bonbons peut-être ? Les bonbons c’est tellement bon… et je connais des bêtises de Cambrais à la pomme dont la saveur me comble presque autant que ses écrits…



Elle dit sa misère en face. Sans se cacher. Elle embrasse la vie dans tous ses aspects, en relation d’amitié avec tout ce qui l’entoure, même quand elle est blessée au cœur, habitée par une forme de gratitude propre à ceux qui savent ce que c’est que la perte. Son regard est de ceux que seule littérature, peut-être, est en mesure de faire naître. Les livres, « cette présence qui jamais ne se lasse de vous accompagner, à qui vous pouvez toujours, quand un doute survient, demander votre chemin. » (38) Et son chemin l’amène, cette fois, à surmonter « cette surdose de destruction ». Ce qu’elle a vu s’évanouir, elle semble le réintroduire en écrit par un travail de digestion. Si le récit paraît moins spontané – on entend l’écrivain qui se cherche, qui gratte le papier derrière la typographie – elle a aussi l’âme de plus en plus aiguisée. Elle devient maître en peinture de paysages. Ses perceptions s’affinent. Un humour discret, mais délicieux, pointe son nez de plus en plus souvent. Elle a aguerri son sens de la répartie.



« Me rapprocher des gens, je veux bien. Devenir comme eux, pour quoi faire ? » (66)



« Comment peut-on, me suis-je souvent demandé, être aussi bigots, et avoir aussi peu le sens du sacré. » (121)



Il est rare de trouver en littérature une telle qualité de temps. Contemplatif, oui, mais aussi en réelle adéquation avec la dynamique de la vie.



« Je lui dirai, Agnès, c’est peut-être parce que je suis incapable de donner une définition du bonheur que je puis me considérer, malgré tout ce qui m’est tombé dessus ces dernières années et encore il n’y a pas quinze jours, comme quelqu’un d’heureux. Cette non-définition me permet d’adapter mon besoin de bonheur – je suis comme tout le monde – aux circonstances, aux gens, aux métamorphoses du temps. Cela m’oblige à inventer… » (41)
Lien : http://versautrechose.fr/blo..
Commenter  J’apprécie          20
Les affrontailles

« Notre chemin est ce qu’il est convenu d’appeler un chemin de terre. Il est, en réalité et suivant les humeurs du temps, à peu près tout sauf cela : chemin d’herbe, ou d’eau, de glace ou de neige. » (10)



Mais c’est que nous avons plein d’amis en commun ! Elizabeth Goudge, Jim Harrison, et même ce « Faune sauvage de Lozère » que j’ai également à la maison.



Éric Chevillard pourrait peut-être aussi en faire partie ? Ce dernier opus de la trilogie, qui avait commencé sur un mode narratif, s’oriente de plus en plus vers l’aphorisme, les pensées au calibrage travaillé, les sauts de pierre en pierre et les clins d’œils entre chroniques et citations.



« Tous ces petits bonheurs qui tombent de votre vie comme les feuilles d’un arbre à l’automne… » (91)



Dino Risi ne renierait pas non plus cet humour tendre qui devient féroce, ce regard plus grave, moins enchanté, cette tristesse de l’esprit humaniste devant la balourdise du monde. Nicole Lombard ragogne, gonfle ses plumes, hérisse le poil dans une ambiance de requiem. Du coup, j’ai lu le livre d’une traite. Avec grand plaisir, toujours, mais le cœur étreint par les « journées froidureuses » et l’hécatombe sans fin de chiens, de chats et de paonneaux.



Je penserai à vous dans la longue ligne droite de la Couvertoirade, où il est vrai, j’aime regarder le Causse plein de trous, de bosses et de cailloux. J’aurai même la tentation, quand parfois je vois la silhouette imposante d’un rapace parmi les herbes, de me faufiler chez les militaires, malgré les promesses de mort, pour tenter une photo.



« Quel coup de théâtre ! nos vieux compagnons les corbeaux seraient en réalité des corneilles. Faut-il, pour notre longue ignorance, leur présenter des excuses ? » (94)



Les corbeaux, les corneilles, une vieille histoire… une question de chaussettes, je crois, de front plus ou moins bombé et de bec épais.
Lien : http://versautrechose.fr/blo..
Commenter  J’apprécie          10
Le cheval au pied nu. Fantasia stravagante

Emportée par le charme et l’atmosphère des « Étrangers sur l’Aubrac », j’ai enchaîné directement avec celui-ci qui lui est lié dans le temps. L’entrée de chemin est délicieuse. Une hache familière m’a souri à travers champs littéraires.



« Tant pis pour vous si par extraordinaire vous n’avez jamais lu « Le hussard sur le toit » (107)



Je sais bien que je suis extraordinaire, Nicole, et je n’ai pas lu non plus « Le rouge et le noir », « Mort d’un personnage », « Voyage en Italie », et tous les autres livres auxquels vous faites allusion à vrai dire… J’entends bien que pour me « guérir de la très grande détresse de notre fin de millénaire » (qui est devenue la très grande détresse de notre début de millénaire…), il me faudra ouvrir « La Chartreuse de Parme »… Pour l’heure, le cheminement en compagnie du cheval au pied nu a été plaisant mais quelque peu mystérieux. Nicole Lombard passe de référence en référence comme une petite-fille joyeuse qui saute dans des flaques après la pluie de ses lectures. Les éclaboussures ont été rafraîchissantes, mais n’ont pas révélé toute leur saveur.



« Absorbée dans le ravaudage de mon petit pull beige qui lâchait de partout, je découvrais la 8e symphonie de Mahler qui m’apparut très belle et très énigmatique. J’eus même une pensée pour la vieille Guermantes, qui n’écouterait jamais la huitième symphonie de Gustav Mahler, et l’idée m’effleura que j’étais peut-être plus riche qu’elle. Mais peut-on habiter une symphonie de Mahler ? me demanderont les gens raisonnables, et il faut bien les écouter parfois. » (122)



Il faut être Nicole Lombard pour remarquer et prendre note de la récurrence des acacias et de leur influence sur les coups de foudre en littérature… quoique j’aurai pour ma part quelque idée concernant les aubépines…



Ici aussi les hirondelles sont revenues…
Commenter  J’apprécie          10


Acheter les livres de cet auteur sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten

Listes avec des livres de cet auteur
Lecteurs de Nicole Lombard (20)Voir plus

Quiz Voir plus

Du bois dans les titres

Quelle nouvelle destinée à la jeunesse Jean Giono a-t-il écrite ?

L'arbre qui chante
Voyage au pays des arbres
L'homme qui plantait des arbres
Mon bel oranger

10 questions
144 lecteurs ont répondu
Thèmes : titres , boisCréer un quiz sur cet auteur

{* *}