Citations de Nigel Nicolson (31)
Ce n'est pas par la vue qu'on a de la montagne, en peinant pour la gravir, qu'on est parfois transporté d'admiration, même à bout de forces, mais par la vue qui s'offre à partir de la montagne. Les sommets voisins paraissent magnifiques, mais rarement le sommet qu'on escalade.
L'altitude transforme parfois complètement le caractère. La volonté s'affaiblit, les amitiés sont menacées.
Façonnés à l'image de leur pays noble et indomptable, les montagnards de l'Himalaya mènent héroïquement une vie de labeur et de danger perpétuels.
Sentir la glace sous ses pieds et, sur son visage, le soleil réfracté par des surfaces miroitantes, poursuivre son avance avec prudence, mais aussi avec une exaltation grandissante, c'est là partager les émotions des tout premiers voyageurs, car ces choses ne changent pas.
On peut en venir à haïr la montagne si elle vous a vaincu, si elle a tué vos amis ou vos porteurs, mais on y revient dans un esprit tout différent de celui qui pousse un homme à se venger d'un ennemi.
J'éprouvais cet appel des cimes auquel succombent tous les alpinistes et commençais à comprendre comment on pouvait risquer sa vie par soif de pureté, pureté même du risque auquel on s'expose, car la mort en un tel lieu peut être terrible, mais non sordide.
L'Everest en impose par sa virilité; c'est un géant qui connaît ses droits. Pourtant, ses longues descentes de glace et de roc ont une certaine grâce qui atténue l'excès de sa superbe.
Un grondement soudain : c'est une tour de glace qui s'effondre dans le vide; un soupir profond : c'est une crevasse qui s'ouvre là où on se serait cru en sécurité.
Le roc noir, légèrement strié de neige, s'élevait en arêtes pour former un sommet pareil à une tente.
Ce type de montagne a besoin de nuages pour affirmer son essor, et de leur mouvement pour accentuer son immobilité. Par une aube sans nuages, j'ai vu l'Himalaya perdre toute couleur et toute majesté, et devenir une pâle réplique suisse de lui-même : il lui faut des nuages, de même qu'il faut un costume à un empereur.
Les fleurs et les montagnes : deux manifestations extrêmes de la nature, l'infiniment petit et l'infiniment grand. D'un côté, le déchaînement de forces apocalyptiques que l'homme est impuissant à maîtriser; de l'autre, une complexité et un raffinement dans la perfection qui dépassent son entendement -- et l'homme ne peut qu'admirer.
Mais ce sont les rhododendrons, surtout à l'est, qui font l'orgueil de l'Himalaya. Espèces naines tapissantes ou véritables arbres, ils sont parmi les premiers à fleurir, de février à avril, avant que la mousson ne les saccage. Entre 1500 et 3000 mètres, ils forment des forêts entières et s'épanouissent en une orgie de couleurs, variant de l'écarlate au blanc pur.
En juillet, entre 4000 et 4500 mètres d'altitude, les prairies se couvrent de l'éclatante floraison de millions de potentilles, d'anémones, de corydalis, de plusieurs espèces d'aconits et d'édelweiss, de saxifrages, d'iris, d'asters, de gentianes bleues, blanches ou lilas qui tapissent le sol entre les touffes d'herbe, et aussi de cotonéasters -- ces petits arbustes vivaces dont les minuscules fleurs blanches se changeront, ensuite, en baies rouge vif.
Rose pourpré, bleues, blanches et jaunes, les primevères apparaissent au début du printemps au pied des hautes falaises ou bien, au soleil, à l'abri de blocs erratiques géants.
L'une des joies du voyage est de découvrir que c'est au-dessus de 3500 mètres, entre la forêt et la neige, qu'existent les plus nombreuses espèces et la plus grande profusion de fleurs.
Le spectacle était saisissant : dans le lointain miroitaient de grands pans de blancheur en formes de losanges irréguliers, pareils à des voiliers dans le brouillard.
Le soleil déclinait, les nuages retinrent ses dernières lueurs jusqu'à n'être plus que des boules de gaze transparente, comme on en voit autour des angelots à l'arrière-plan des peintures italiennes.
En stries horizontales où s'épanouissant en brèves flambées, la masse des nuages, plus énorme que celle des montagnes, les faisait paraître encore plus hautes.
Rien ne change dans les montagnes, si ce n'est la visibilité et l'éclairage -- la lumière prométhéenne sur le roc prométhéen, deux forces élémentaires qui s'affrontent, dont l'une dispense la vie et l'autre la rejette.
La lumière faiblit alors, abandonnant les vallées aux ténèbres, mais s'attardant longtemps encore en traînées de couleurs sur les sommets neigeux.