
« Putain, Lo, c’est quoi, ça ? Y a des gros vers qui cuisent dans ta soupière !
— Mais non, ce sont des crosnes. De délicieux tubercules. Je vais en faire une salade, assaisonnée à l’huile de sésame et au gomasio. Il va falloir t’y habituer, demain on commence la série sur les légumes oubliés.
— Ah ouais, chanmé ! J’imagine que les fœtus de rats dans ta panière, ça se mange aussi ?
— Affirmatif. Ils ont même un nom : les topinambours, mon cher. Ils seront délicieux en velouté, avec une touche de poivre du Sichuan et une larme de crème d’avoine.
— OK, c’est pas de leur faute s’ils sont moches, pourvu qu’ils soient bons, mais ça va être coton de les rendre appétissants en photo. Putain, t’as vu la tronche de ce youpitambour ? On croirait un mauvais effet spécial de série B !
— Et encore, je t’ai pas présenté leurs cousines : les betteraves crapaudines.
— Putain, Lo, t’as un grain parfois. Tu ne peux pas manger des Big Mac comme tout le monde !
Et comment ! Vous avez oublié ma devise ? Homme érudit, cafard au lit ! Je n’arrive toujours pas à comprendre pourquoi on apprend à lire aux mecs ! Non, mais c’est vrai, à quoi ça sert vu ce qu’on leur demande : avoir de gros bras pour soulever des armoires, monter des meubles Ikea, nous protéger en cas de conflit et, accessoirement, faire quelques pompes au- dessus de nous au pieu. Non, je vous assure, seules les femmes devraient être lettrées. Nous, au moins, on sait manier le savoir avec subtilité… Apprendre à lire des bouquins aux mecs, ça leur embrouille le cerveau ! Après, ils en oublient leur fonction première : mâle bagarreur en rut.
"Dis donc, il ne doute de rien, Fantômas chez les libertins ! T'as vu un peu sa face de gland ? Plutôt tailler une pipe à l'oreille en trompette de Shrek que de me laisser fouetter le cul par ce man !"
Non. C’est son jour de soumis. Elle encule un avocat d’affaires dans son bureau entre midi et deux. C’est pas ce type qu’on a vu une fois chez elle, à qui elle avait mis des oreilles de lapin et une carotte dans le cul ? Oui, c’est lui, et elle le faisait sauter à pieds joints dans l’appartement. Je crois qu’il s’appelle Benoît, mais elle l’appelle Bunny, à cause des oreilles. »

Vous pensez peut- être qu’avec votre niveau, vous allez devenir P.- D.G. ? Vous croyez au père Noël ou quoi ? Vous ferez toujours partie de la caste des petits commerciaux qu’on piétine. Préparez- vous dorénavant à avaler des couleuvres. Ah, ça vous fait marrer aujourd’hui de vous foutre de ma gueule ! Profitez, profitez de la rigolade, je vous l’offre, parce que je sais que ça va pas durer. Et si vos boulots de merde sous- payés ne vous conviennent pas, ce sera le chômage, et dans dix ans je vous retrouverai à mendier en bas de mon immeuble. Parce qu’avec les gueules de bâtards finis au pipi que vous vous trimballez, comptez pas sur vos charmes pour vous prostituer. Même la veuve Bettancourt ne lâcherait pas un bifton pour vous. Ah si, toi, oui, oui, toi, Lola, pétasse over the pétasses, tu crois que j’ai pas remarqué ton sac Jérôme Dreyfuss et tes godasses Free Lance à 500 euros ? Tu penses que j’ai pas deviné comment tu les as achetés, hein ? J’en vois pas souvent, des boursières, se trimballer avec ce genre d’articles de luxe. Peut- être qu’aujourd’hui tu jubiles et tu crois dominer le monde parce que t’arrives à te faire 200 euros tous les quinze jours avec ta bouche de pute pétée d’acide hyaluronique, mais dans dix ans, quand ils auront défoncé ta jolie petite chatte bien lisse et embouti l’arrière- train au point que ton anus ressemblera à un chou romanesco, qu’est- ce que tu foutras de ta vie, hein, ma belle ?” »
T’inquiète donc pas comme ça. Pour avoir pratiqué le Benny, je t’assure que quand il a décidé de rester de glace, il le reste. Tu te souviens du nombre de fois où je me suis baladée à poil devant lui quand on vivait ensemble ? Bon, OK, je ne suis pas mannequin, mais j’ai certains atouts… Eh bien, c’est à peine s’il me calculait. Il était aussi chaud qu’un survivant du Titanic accroché à son rondin dans l’océan Atlantique… Et pourquoi ? Parce qu’il était love de toi, ma jolie ! »
Soit tu t’es tapé le sosie de Ben, soit Ben est revenu… Quelle excellente nouvelle ! Clairement, c’est pas une surprise de mon point de vue. Votre break, je lui donnais la durée de vie d’une ride sur le front de Nicole Kidman…

Je marche vite, parmi la foule pressée des jours d'affluence. Les enseignes se succèdent le long de la rue commerçante. Ce pourrait être le boulevard Haussmann un samedi de décembre. En tout cas, c'est l'hiver, car le soleil décline alors que les boutiques sont encore ouvertes. Les passants ont des sacs de shopping plein les mains. Je slalome entre les manches et les bonnets. Tout un groupe de personnes m'accompagne ; il y a mes copines : Déborah, Morgane, et aussi d'autres gens que je ne connais pas.
Et puis il y a ce garçon. Un inconnu qui marche avec nous. Quelqu'un doit le connaître puisqu'il est là. La nuit tombe. Je n'arrive pas à distinguer les traits de son visage . Il se trouve toujours quelqu'un ou quelque chose pour le cacher. Il est grand, d'une belle carrure. Son pas est rapide, sa démarche élastique. Son attitude m'interpelle. Il m'observe, il cherche mon contact, c'est évident. Je sens le poids de son désir sur moi. Sa convoitise me trouble. Très vite, je réalise qu'il m'attire aussi. Je ne m'explique pas cette pulsion soudaine. Il faut, moi aussi, que je l'approche t que je le frôle sans arrêt. A chaque contact, je suis prise de frissons. Bien que j'ignore tout de lui, je le veux, et je sais, oui , je sais, d'une certitude comme on ne peut en avoir qu'en rêve, que c'est réciproque. Cette prise de conscience me grise. Je n'écoute plus les conversations de mes amies. Ce garçon devient mon unique obsession.
- Disons que je souffre davantage d’avoir rompu avec lui que de savoir qu’il m’a trompée…
- Je comprends. Après tout, commettre une incartade au Brésil, c’est pardonnable. Les Brésiliennes sont tellement open qu’il faut les considérer comme des attractions touristiques au même titre que le Corcovado. Revenir sans en avoir baisé une, c’est un peu comme revenir d’Auvergne sans saucisson. Et qui en voudrait à son mec pour avoir rapporté un saucisson ?
Tu sais bien que je suis une quiche en régimes, autant demander à une abeille d’arrêter de butiner… Je suis attirée par la bouffe comme les meufs sur George Clooney.