Vidéo réalisée lors de la rencontre avec Olivia Burton et Mahi Grand autour de la bande dessinée : " L'Algérie c'est beau comme l'Amérique " éditée par Steinkis (Janvier 2015) / Images, montage etc. : Manon Gary
La famille, je l'écoute ressasser, en silence. L'Algérie m'ennuie et me pèse à la fois. Je ne peux partager ni leur douleur ni leur nostalgie, mais elles me traversent, m'imbibent. À la seule mention du mot "Algérie", mon rythme cardiaque s'accélère.
J'hérite d'une guerre que je n'ai pas vécue.
Du coup j'ai du mal à prononcer le mot "pied noir", il me reste en travers des dents. Je le trouve chargé d'ondes négatives. Il faut dire que question symbole, les pieds, c'est ni la tête ni le cœur. Quant au noir...pas besoin de faire un dessin.
- Ça fait que je suis bien enfant de pieds-noirs !
- Non ! À la limite tu es enfant d'Algériens.
Parce que, pour moi, même si ça leur arrache la gueule d'être associés à ceux qu'ils ont méprisés, les pieds-noirs sont des Algériens.
On a un proverbe ici qui dit: "Quand tu ne sais pas où tu vas, regarde d'où tu viens !"
Les étudiants me parlent des pieds-noirs : des explorateurs racistes, des fachos et même des tortionnaires. J'ai du mal à faire le lien entre ces descriptions et ce que je connais de ma famille. Je ne sais plus où me mettre. Sans compter qu'ils sont vulgaires, m'as-tu-vu et grandes gueules. Il n'y a qu'à voir Enrico Macias, Marthe Villalonga ou Robert Castel : des ploucs ridicules, avec un accent et un jeu épais, des blagues pas drôles. Ils sont un peu frimeurs, non ? Fanfarons et machos en tout cas ! Et cette sentimentalité à toutes les sauces ! Cette emphase !
On a un proverbe ici qui dit: "Quand tu ne sais pas où tu vas, regarde d'où tu viens !"
- Tu vois ces merdes ?! C'est le front de mer, mais on ne voit pas la mer ! Que des entrepôts. Dans les années 70, il y avait des restos, des boîtes sur la plage. On faisait la bringue toute la nuit face à la mer.
- Ça construit de tous les côtés !
- Ouais ! Appartements modernes avec terrasse. Comme à Monaco. Mais il n'y a personne sur les terrasses. Parce que les femmes, ici, on les cache. Une fois les immeubles finis, ils y mettront les paraboles !
Y a personne en France aujourd'hui qui se définit en disant : "Je suis fils de collabo." Ça fait pas une identité. Donc enfant de pied-noir c'est pareil, ça n'a pas de sens !
Voilà, j'ai vu. Un pays somptueux. Un pays traumatisé. Des gens très courageux. J'ai sauté à pieds joints dans des souvenirs en noir et blanc qui n'étaient pas les miens.
J'étais coincée dans l'album de famille, empêtrée dans un récit en boucle. Je m'en suis fait déloger.
Je repars avec mon bout d'histoire algérienne, qui n'a pas grand-chose à voir celle de ma famille. Mais c'est la mienne. Elle est en couleurs et elle palpite. J'ai déjà envie de revenir.
Pour moi, Bandol c'était le paradis. Pour ma grand-mère, tout y ressemblait à l'Algérie, mais en moins bien. Elle y trouvait les palmiers maigrichons et les citronniers sans parfum.
A la plage, elle regrettait la transparence et le bleu de la mer algérienne, le sable fin et blond, brûlant sous les pieds. Un bleu plus bleu que celui de ma plage d'enfant, ça je n'arrivais pas du tout à l'imaginer.
Les figues, les pêches, les pastèques n'étaient pas mauvaises ici, mais rien à voir avec celles de son village dans les Aurès. Alger lui manquait, avec ses beaux immeubles, ses restaurants et ses cafés élégants.