Le bruit de la Kalachnikov est particulièrement impressionnant, et j'imagine qu'en face, en situation réelle, les adversaires visés auront le réflexe naturel de baisser la tête voire de s'allonger au sol dès la première détonation.
Lorsque je présente mon faux passeport remis quelques mois auparavant par le service, mon cœur saute un ou deux battements. Je me demande si le fonctionnaire ne va pas se rendre compte immédiatement de la supercherie. Va-t-il remarquer le léger malaise que j’essaye de cacher au plus profond de mon être, de toutes mes forces ? Les douaniers ne sont-ils pas formés à détecter les comportements suspects ? Après deux brefs allers-retours entre la photo de mon passeport et mon visage, le douanier referme le document et me le remet en me souhaitant machinalement un bon voyage. Aussitôt après avoir franchi les contrôles de l’aéroport sans encombre, je ressens un vif soulagement mêlé au plaisir d’avoir réussi à tromper mon interlocuteur. J’ai, à ce moment-là, la conviction joyeuse que ma mission peut dès lors commencer. Je suis devenu, véritablement, cet autre moi-même dont j’ai bâti la légende, pendant plus d’une année.
Les alentours de la caserne sont déserts. Le gardien chargé de m’ouvrir à l’entrée me demande brusquement d’une voix forte, pleine d’autorité : « Qui êtes-vous ? » Pendant quelques secondes, qui me semblent être une éternité, je suis incapable de répondre à sa question, si simple en apparence. Je ne me suis pas préparé à cette question, à ce moment-là. Elle me cueille à froid. Quelle est l’identité que je dois servir à ce garde à l’air sévère ? Je ne le sais plus. Mon IF, mon pseudo, ou mon véritable nom ?
Lorsque je présente mon faux passeport remis quelques mois auparavant par le service, mon cœur saute un ou deux battements. Je me demande si le fonctionnaire ne va pas se rendre compte immédiatement de la supercherie. Va-t-il remarquer le léger malaise que j’essaye de cacher au plus profond de mon être, de toutes mes forces ? Les douaniers ne sont-ils pas formés à détecter les comportements suspects ? Après deux brefs allers-retours entre la photo de mon passeport et mon visage, le douanier referme le document et me le remet en me souhaitant machinalement un bon voyage. Aussitôt après avoir franchi les contrôles de l’aéroport sans encombre, je ressens un vif soulagement mêlé au plaisir d’avoir réussi à tromper mon interlocuteur. J’ai, à ce moment-là, la conviction joyeuse que ma mission peut dès lors commencer. Je suis devenu, véritablement, cet autre moi-même dont j’ai bâti la légende, pendant plus d’une année.
En même temps que s’effectuait mon apprentissage, je m’étais attaché à lire des ouvrages sur le sujet de la clandestinité, le soir, après mes longues journées d’exercice : des expériences d’agents du BCRA , formés à Londres puis parachutés en France occupée, sous fausse identité. Ou des récits d’officiers de renseignement russes insérés dans la société américaine, menant une vie d’Américain bien tranquille le jour, pour mieux renseigner Moscou la nuit. J’ai immédiatement fait le constat suivant : quels que soient les profils des agents, leur nationalité, le contexte de leur déploiement opérationnel, tous, y compris moi-même à l’époque, nous appliquions les mêmes techniques et nous faisions face aux mêmes difficultés de la « vie en double ».
Lorsque j’ai rejoint la DGSE au début des années 2000, j’ai intégré une petite structure, cachée dans l’organigramme, au sein de la direction des opérations : le « service clandestin ». Dans cette unité particulièrement
discrète, les agents, méticuleusement sélectionnés et entraînés, doivent se bâtir une légende, une véritable seconde vie, avec fausse identité et faux papiers, avant de partir en mission aux quatre coins du globe. Les
officiers traitants de ce service clandestin sont projetés dans les zones les plus instables et les plus dangereuses, là où la situation, tellement dégradée, ne permet pas à une ambassade de fonctionner.
Les deux semaines avant d’être projeté à l’étranger sous sa fausse identité, le rythme de la préparation au départ s’accélère. Trois vies différentes, avec leur agenda propre, viennent se télescoper : celle de la mission, celle de la vraie vie familiale, et celle de l’espion dans ses relations avec sa hiérarchie. À chaque compartiment de vie correspond une identité différente : l’identité fausse (appelée dans le jargon de l’espionnage « IF »), le patronyme de la légende que l’agent va utiliser1 , le nom véritable qu’il porte depuis sa naissance, et le pseudo2 qu’il adopte vis-à-vis de ses pairs.
Avant de disparaître, sans moyen de communiquer directement avec ses proches, il reste toujours une multitude de points en suspens qu’il importe de régler, au préalable. Ces mesures à prendre concernent aussi bien le domaine familial que professionnel, en commençant par les réservations d’hôtel pour l’arrivée dans le pays
de destination et la prise des premiers contacts qui seront ensuite développés sur place, au travers d’e-mails.
De mon côté, la leçon était apprise. Agir de manière professionnelle, ce n’est pas forcément transmettre une information grave : c’est parfois avoir le courage de la retenir. (…) Pour le reste, il n’y a pas de secret : seule l’expérience me rendra capable de faire le tri entre le renseignement fabriqué par une source qui cherche à se faire mousser, et celui qui désigne une véritable menace. »
Je me suis dit qu’il y avait là une idée qu’il serait utile de développer pour mettre en avant les parcours atypiques de ces agents de l’ombre, de souligner leurs points de convergence et mieux comprendre les défis que représente une vie où son identité propre doit s’effacer derrière un autre soi, le personnage de la couverture, pour mener à bien une mission souvent périlleuse.