
C'est là que j'ai compris pourquoi on m’avait dit de faire "attention" à moi. Quand ils apprennent mon transfert, les détenus entrent dans une rage folle. Huit cent enragés, tous convaincus que j'ai assassiné les enfants et qu'ils ont affaire à une bête sauvage. Pour eux j'ai commis le pire des crimes. Car il existe une véritable hiérarchie en taule. En haut de la pyramide les braqueurs, les voleurs et les cambrioleurs. Ce sont les plus respectés. Ils n'ont fait de mal à personne. (...)
Et plus bas que bas, la lie du monde: les assassins d'enfants. Or moi, les détenus pensent que j'en ai massacré deux! Je représente ce qu'il haïssent par dessus-tout, plus que leurs juges, plus que les matons, plus que les flics qui les ont arrêtés ou les balances qui les ont donnés. Les médias ont parlé de violence inouïe avec laquelle avec laquelle j'aurait prétendument fracassé les cranes d'Alexandre et de Cyril. Alors les prisonniers se sont déchaînés. Toutes les nuits des cris s'échappent des cellules.
- On va te faire la peau Dils! On va te violer, t'enculer à sec, espèce d'ordure! Salopard, tu ne perd rien pour attendre...
« Il ne faut jamais désespérer des hommes, même quand certains d'entre eux nous blessent, nous briment, nous humilient. C'est peut être la seule leçon que j'aimerais qu'on tire de ce livre. Merci à ceux qui ont eu confiance en ma parole. Merci à ceux qui ont le courage de réviser leur jugement.
J'étais dans l'ombre et on m'a jeté dans la lumière. Je vais quitter la lumière pour rentrer dans l'ombre. Et faire ma vie »……
Personne ne peut imaginer, avant d'y passer, ce que la panique, la fatigue, l'angoisse, l'ignorance fabriquent comme cocktail chimique dans le cerveau d'un adolescent. C'est ça la manipulation, ce n'est pas seulement une bonne grosse ruse de flic pour faire avouer. C'est un viol mental qui devrait être puni comme le viol physique, parce que ça laisse les mêmes traces et les mêmes traumatismes.
Je ne suis peut- être pas extraverti, mais il faut que je sois sacrément équilibré pour tenir le coup.
- Tu es arrivé dans la rue, les enfants étaient vivants. Tu es repartis, ils étaient morts!
Encore cette phrase! ça fait cent fois maintenant! C'est horrible l'effet qu'elle me fait. Quinze ans après, je l'entends encore dans ma tête. Un cauchemar.
Combien de fois ai-je pleuré à l'issue d'un parloir ! C'est à la fois merveilleux et frustrant, les parloirs. On est comme paralysé par le bonheur douloureux de se voir. C'est si fort qu'on se dit peu de choses. Des banalités. On se raconte la vie quotidienne - la mienne était toujours la même -, les nouvelles importantes - une naissance, un décès. Mais on n'a pas le coeur à parler de tout le reste, de tout ce qui fait le sel de la vie. Et quand il faut se quitter, la peine est immense.
Mes parents n'ont jamais manqué un parloir, et je suis sûr que si la roue de mon destin ne s'était pas bloquée, soudain, puis remise à tourner dans le bon sens, ils n'en n'auraient manqué aucun jusqu'à la fin.
La liberté, quand on y est brusquement jeté, est si vaste qu'on s'y sent perdu.
Je continue à me demander pourquoi ces gens se sont acharnés contre moi, même s'ils étaient convaincus de ma culpabilité. S'ils me croyaient vraiment coupable, à quoi bon en remettre une couche en m'interdisant tout contact avec l'extérieur? Etais-je si dangereux qu'il faille dresser de tels remparts autour de moi? A moins que le vrai danger ne fût mon éventuelle innocence...
Quand un malheur devient insupportable à la société, il faut un bouc émissaire. Un coupable.
Je préfère témoigner , encore et encore. Continuer à raconter mon histoire, pour que chacun comprenne que l'injustice s'est abattue sur un pauvre garçon comme des millions d'autres ; pour que ceux qui sont chargés de traquer les criminels n'oublient jamais que de leurs "intuitions" dépendent des vies entières ; et pour que ceux qui doivent faire appliquer la justice sachent à quoi ressemble l'injustice.