Patrick Isabelle vous lit le début du troisième tome d'Anna Caritas ! Avez-vous hâte de le lire ?
Eux. Ils se tiennent en gang, parce que cela leur donne de la force, de l'impact. Ils n'ont pas peur de toi, ni de rien par ce qu'ensemble, ils savent qu'ils ne risquent rien. Ils peuvent te dire les pires conneries, les pires insultes, personne ne va leur dire qu'ils sont cons. Parce qu'ensemble, ils sont forts et ils peuvent te faire mal.
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Au début j'ai parlé. "Défends-toi." Qu'on m'a dit... "On passe tous par là." Qu'on m'a dit. Mais on ne m'a pas écouté. Je suis celui qui se plaint. Je suis faible. Je joue à la victime pour avoir de l'attention.
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Si je marche la tête basse, ce n'est pas par gêne. C'est que je ne veux pas qu'on voie mes yeux. Non seulement les autres pourraient peut-être se rendre compte que je les ai maquillés pour dissimuler l'endroit où il m'a frappée, mais ils pourraient aussi voir plus loin à l'intérieur de moi. Ils pourraient voir ma tristesse. Ma solitude. Ma peur.
Mes rêves étaient teintés de cette violence à laquelle je m'étais abandonné et je finissais par me réveiller, prisonnier d'image horribles qui ne me laissaient aucun répit.
Ça sert à quoi Noël si on n'est pas heureux?
Ma mère a écouté, elle m'a fait un air triste et n'a rien dit. Elle s'est contenté de me regarder avec ses yeux remplis de pitié
- Si on tuait tous les imbéciles, y resterait pu grand monde.
Ils se sont passé le flambeau. Les plus braves d'entre eux, les plus lâches. Ils m'ont frappé discrètement dans les corridors, ils m'ont surnommé de tous les noms les plus minables, les innommables, les vrais, ceux qui font mal. Ils m'ont jeté des papiers par la tête, ont percé ma peau avec leurs crayons. Ils ont ri de moi. Ils m'ont mis dans des situations embarrassantes. Ils m'ont menti, pour me donner espoir en l'amitié pour mieux le reprendre. Chaque fois que quelqu'un se montrait gentil avec moi, je m'apercevais qu'il n'en était rien. Ils faisaient semblant d'être mes amis pour mieux rire de moi, pour rire de moi encore plus. Ils ont fait de moi un paranoïaque, un fou qui longe les murs et qui regarde sous sa chaise avant de s'asseoir. Ils m'ont enfermé en moi-même, dans le pire des enfers. Et ils ont fait tout ça gratuitement.
Il y avait les autres aussi. Ceux qui regardaient. Ceux qui ne disaient rien. Ceux qui comprenaient parce qu'il le vivait aussi, mais ils avaient peur, et ils étaient paresseux, et ils se dissociaient parce qu'ils étaient aussi impuissants que moi. Il y avait ceux qui détournaient le regard, qui faisaient semblant que ça n'existait pas. Ils savaient que je me noyais, mais prétendaient ne pas savoir nager.
Nous sommes des oubliés, des numéros. On nous a dépouillés de notre identité et laissés pour compte. Ici, nous ne valons rien. Nous sommes du bétail. Des microbes. Nous dérangeons. Nous sommes dangereux. Et on nous le rappelle tous les jours, toutes les heures, à chaque instant. On nous en gave, on nous l'enfonce de force dans la gorge, jusqu'à étouffer, jusqu'à en vomir.
Pendant des années, il n'avait fait qu'accuser les autres. C'était plus facile ainsi. Moins engageant. Or, pour la première fois depuis longtemps, il se retrouve seul face à lui-même. Il est dorénavant le seul responsable de ses actions. De sa vie. Seul sur le bord du précipice. Un ravin sombre dans lequel il doit s'élancer à l'aveugle. Un saut dans le vide vers sa métamorphose. Après deux ans de chrysalide. Il devient cet autre.
Lui. Celui qui n'appartient à personne. À nulle part. Un papillon errant qui avance contre le vent, qui ne se doute pas que le battement de ses ailes fait naître une tempête.