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4.58/5 (sur 6 notes)

Nationalité : France
Né(e) à : Etats-Unis , 1962
Biographie :

Philippe Naumiak est né d'une mère bretonne malouine et d'un père ukrainien, survivant du "Holodomor" (la grande famine qui eut lieu en Ukraine en 1932 et 1933), qui a vécu en France de 1945 jusqu'à son décès en 2011.

Conteur traditionnel de Haute-Bretagne, Philippe Iris-Naumiak a animé des veillées à l'ancienne durant lesquelles il a présenté des nouvelles qui, pour certaines, lui ont valu des consécrations.

Ce sont ces nouvelles que l'auteur a décidé de regrouper dans son recueil, "Nouvelles d'un pays perdu Bretagne" (2006), qui fixe sur papier la tradition orale qu'était le conte.

Philippe Naumiak est Président de l’association HGIR (Holodomor - Groupe d’Information et de Recherches), créée par des Français d'origine ukrainienne afin de mettre en œuvre tous les moyens de diffusion, de communication, d’information, de recherche et d’études concernant l’Holodomor.

Philippe et sa sœur Anne-Marie Naumiak sont auteurs d'un livre témoignage, "Ukraine 1933, Holodomor", publié en 2017.
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Source : http://www.lecteurs.com
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Citations et extraits (5) Ajouter une citation
Chapitre V - Témoignages de survivants

Ouliana Ivanivna Berehova
née en 1919 - du village de Stepanivka

[...] Le printemps arriva et les gens mouraient les uns après les autres. Chez nous, à Stepanivka, on mourait moins qu'ailleurs ; mais aux villages de Zaloujia, de la Grande et Petite Motchoulka, les gens mouraient en masse. Il fallait enterrer tous ces cadavres et pour cette tâche des équipes spéciales furent organisées. Une charrette et quatre hommes s'arrêtaient devant chaque maison et allaient chercher les corps. Parfois, ils ramassaient même ceux qui agonisaient encore. J'ai vu, de mes propres yeux, comment ils ont jeté sur cette charrette, parmi d'autres cadavres, une mère de famille encore vivante. Cette femme avait trois enfants qui étaient déjà bouffis du ventre et desséchés des membres. Ils les ont pris et ils les ont balancés sur leur mère. Les enfants l'ont entourée de leurs bras en pleurant. Ils les ont tous jetés dans la fosse commune, la mère et ses gosses, et les ont enterrés.

[...] Au mois de mai, une femme est venue de Teplyk et a déposé son bébé, un petit garçon, devant l'église et s'est enfuie. Cet enfant pleurait et criait, appelant sa mère, mais personne n'y prêtait attention. Il a fini par mourir là, devant l'église. Il faisait chaud et le cadavre a commencé à se décomposer et à sentir. Ma mère et mon frère, en se couvrant le visage d'un mouchoir, sont allés l'enterrer.
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Ce n'est qu'à mon huitième anniversaire, et après avoir établi des liens avec la diaspora ukrainienne de Paris, que mon père se mit soudainement à nous parler en ukrainien. Il n'évoquait jamais son enfance, il n'était guère plus loquace quant à sa déportation en Allemagne, mais le deuil du nazisme a pu se faire et ce, pour deux raisons : la première, c'est que les Allemands n'avaient pas la prétention de convertir au nazisme leurs victimes ; torturer puis détruire les corps leur suffisait et ils ne s'attaquaient pas aux consciences. Les communistes ajoutaient l'autocritique, la culpabilisation et le viol psychique avant le meurtre. "Nous en ferons une cervelle parfaite avant de la faire sauter", proclame le Parti dans 1984 de George Orwell.
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Plus la guerre avançait et plus la soupe devenait claire, plus la sciure de bois s'ajoutait à la farine du pain. À la distribution il fallait viser la bonne place, la bonne louchée qui vous donnerait une soupe plus épaisse et moins liquide. Parfois les prisonniers parlaient cuisine. Ils racontaient les détails de festins familiaux et des traditions culinaires de leur pays. Nous, c'est à dire moi et un ami ukrainien, on ne parlait jamais cuisine. Raconter quoi ? La famine de 1933 ? Nos disettes chroniques ? Je n'avais jamais vu de chocolat, ni banane, ni orange... Leur parler de la famine ? Personne ne m'aurait cru. Il pouvait même y avoir des communistes parmi nous. Je n'avais pas besoin d'emm... supplémentaires. Et puis un jour, mon reflet dans un miroir trouvé par hasard : le cou décharné de poulet, l'air hagard et les orbites creuses, la mort qui pointe son mufle...
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Chapitre III - Chronologie du processus génocidaire

En janvier 1933, Staline envoie dans les campagnes d'Ukraine de nouveaux activistes communistes prolétaires citadins des villes russifiées et soviétisées, commandés par Postychev afin d'accélérer, avec l'aide de toutes les forces de sécurité et militaires, les réquisitions annoncées. Jugé inefficace, le Parti communiste d'Ukraine est "purgé" de ses membres encore trop ukrainiens.
En hiver et au printemps 1933, la famine atteint son point culminant : 25.000 Ukrainiens meurent chaque jour. Le cannibalisme et la nécrophagie se déclarent. Les autorités ne pouvant faire enterrer les cadavres, trop nombreux, les charniers sauvages se multiplient. On enterre les gens sur place, dans leur jardin, dans les ornières des chemins, sous les ponts - là où ils trépassent.
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Chapitre V - Témoignages de survivants

Maria Myronivna Maïster
née en 1928 - du village de Viitivka

[...] Puis la dékoulakisation a commencé. Une nuit, mon père a enterré quelques sacs de grain sous la grange. Le lendemain matin la brigade était là et fouillait partout. Ils ont trouvé les sacs et, en punition, ils ont brûlé la grange et ont emmené mon père pour une garde à vue. La nuit suivante on a frappé à notre porte : c'était notre père couvert de bleus. On s'est jetés dans ses bras de joie. Mais la porte s'est à nouveau ouverte sur quatre hommes, l'un tenait un fusil. Ils ont poussé mon père dans la cour puis on a entendu (en russe) : "Pour complot contre le pouvoir soviétique..." et un coup de feu. Ma mère n'a pas survécu longtemps à ce malheur, elle est morte un mois après.
Pour nous commença une vie infernale d'orphelins. Je ressens encore l'horrible sensation de la faim permanente, les douleurs dans la tête, la marche éreintante, la peur de s'allonger pour ne plus se relever. Une vieille voisine, Khivria, nous donnait parfois des pommes et des poires desséchées et, plus rarement, une soupe d'épluchures de pommes de terre.
Au village beaucoup moururent, partout, sous les ponts, sur les routes ou chez eux... Le pire était la peur du cannibalisme. Dans une maison voisine mitoyenne à notre jardin vivait un jeune couple avec un petit garçon. Après la mort du mari, la femme est devenue folle et elle a cuit dans une marmite son enfant. Elle l'a mangé.
[...] Je me demande encore comment nous avons pu tenir jusqu'à l'arrivée de notre tante qui nous a prises chez elle et nous a ainsi sauvées de la mort.
[...] J'ai maintenant deux enfants, trois petits-enfants et cinq arrière-petits-enfants. Je ne veux pas qu'ils connaissent la famine, jamais plus de famine sur ma terre ukrainienne.
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Chapitre II - Le déni de mémoire ou de la difficulté d'être Ukrainien en France.
Je me dois d'évoquer ici l'indifférence dont furent victimes les Ukrainiens en France ainsi que leurs enfants - Français d'origine ukrainienne parfaitement intégrés - de la part des classes "pensantes" : journalistes, hommes politiques, enseignants, syndicalistes, russophiles et longtemps fascinés, pour la plupart d'entre eux, par le totalitarisme communiste¹.
¹ "L'extraordinaire cécité des intelligentsias occidentales représente l'une des énigmes de l'histoire des idées du XXe siècle. Alors que Staline assassinait et déportait des milliers d'innocents, les esprits les plus remarquables d'Europe de l'Ouest bénissaient le soviétisme au nom des droits de l'homme. Les témoignages contraires n'y pouvaient rien : accusés de mensonge et de trahison. L'idéologie n'acceptait aucune critique : elle avait constitué la critique en crime.
On se trouva finalement devant cette situation ahurissante : dans la France d'après les Trente Glorieuses, c'est à dire dans un pays comblé par le confort et la liberté, l'intelligentsia presque unanime et l'opinion publique derrière elle, avouaient une indulgence souriante vis-à-vis d'un régime responsable de génocides en série et de la désespérance de tout un peuple."
Chantal Delsol, Les Idées politiques au XXe siècle, 1991.
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Pendant les années 1970 et 1980, on n'enseignait rien, en classe, qui eût pu aider les Français à connaître ou à comprendre les étrangers qui trouvaient refuge en France.
[...] Par contre, je me souviens bien de la façon dont ricanaient, pleins de mépris, certains "camarades" de classe communistes (dont une acharnée qui écrivait le nom de Lénine partout sur son sac), [...]
Un jour, l'acharnée, je lui ai récité une ritournelle ukrainienne :
"On ne peut pas être communiste, intelligent et honnête à la fois. Parce que si on est communiste et honnête, on ne peut pas être intelligent ; si on est communiste et intelligent, c'est qu'on n'est malhonnête ; et si on est honnête et intelligent, on ne peut en aucun cas être communiste."
L'histoire m'a donné raison...
L'Histoire... Pas un mot du génocide ukrainien dans nos cours d'histoire de classe de terminale. Le peu que l'on nous disait sur Staline était arrangé de telle façon que les massacres de masse s'en trouvaient presque justifiés et que nos pauvres paysans ukrainiens passaient pour des fauteurs de troubles. Le programme scolaire français d'histoire laissait encore supposer que Staline était un bienfaiteur de l'humanité, alors que cet homme était le bourreau, le tortionnaire de l'Ukraine. C'était un génie du mal. Ses complices n'étaient pas mieux. Ma tante m'avait raconté plusieurs fois ce que Kaganovitch disait aux Ukrainiens : "On vous tient dans notre poing, nous n'avons qu'à presser."
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Chapitre II - Le déni de mémoire ou de la difficulté d'être ukrainien en France
Constamment il nous fallait nous justifier de notre identité : "Non, l'Ukraine n'est pas la Russie ; non, ce n'est pas une province russe ; non, ce n'est pas une région comme la Bretagne, c'est un pays ; non, "soviétique" n'est pas une nationalité ; non, le communisme n'est pas une idéologie généreuse mais une monstruosité qui a exterminé des millions d'Ukrainiens, entre autres ; non, les Ukrainiens n'ont pas collectivement "collaboré" avec les Allemands ; oui, les Ukrainiens aussi ont eu des millions de morts et de déportés par les nazis", etc. Ras la chapka !
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Chapitre III - Chronologie du processus génocidaire
En 1953, Raphael Lemkin, Juif polonais puis américain, politologue à l'origine du concept de génocide dans la Déclaration de l'ONU de 1948, prononce un discours au Manhattan Center de New York devant la diaspora ukrainienne :
"Ce dont je veux vous parler est peut-être l'exemple classique du génocide soviétique, son expérience la plus longue et la plus large dans la russification - la destruction de la nation ukrainienne. [...] L'arme utilisée contre cette partie de la population est peut-être la plus terrible de toutes - la famine. Entre 1932/1933, 5.000.000 d'Ukrainiens sont morts de faim [...] Il ne s'agit pas simplement d'un cas de meurtre de masse. Il s'agit d'un cas de génocide, de destruction, pas seulement des individus mais d'une culture, d'une nation."
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