Pierre Dac

A l'éternelle triple question toujours demeurée sans réponse : "Qui sommes-nous ? D'où venons-nous ? Où allons-nous ?" je réponds : "En ce qui me concerne personnellement, je suis moi, je viens de chez moi et j'y retourne".

La formule évangélique, "En vérité je vous le dis", sert aux faux-jetons à transformer les vrais mensonges en fausses vérités.

Trois encaisseurs attaquent
un gangster et lui dérobent sa sacoche

Marseille, 29 juillet. – Il y avait longtemps que les encaisseurs ne faisaient plus parler d'eux. Voici qu'ils défrayent à nouveau la chronique. C'est à Rove, petite commune de la banlieue de Marseille, que l'attentat a été perpétré. M. Typalaredress, ancien gangster d'origine grecque, déambulait paisiblement sur la route nationale (il venait de toucher, en ville, ses coupons mensuels à la Banque Not), lorsque trois encaisseurs, qui avaient profité de leurs loisirs pour s'embusquer à l'ombre d'un poteau télégraphique, se ruèrent sur lui et lui arrachèrent la sacoche qu'il portait en bandoulière.
La victime, heureusement, n'a pas été blessée. Mais, naturellement, les agresseurs sont en fuite, et il a été impossible, jusqu'à maintenant de les retrouver.

N° 12 – Vendredi 29 juillet 1938
p.184-185

Jours sans heures

Il n'y a plus
à l'heure présente
de jours
sans
quelque chose
ou plus
exactement
de jours
sans qu'il ait
quelque chose
qu'on ait
pas!...
………………………………..
C'est bien,
c'est nécessaire,
indispensable,
réglementaire
et restrictif
………………………………..
Mais pourquoi
ne pas aller
plus loin
dans la voie
des économies
en instituant
des jours sans heures ?...
………………………………..
Avons-nous vraiment
besoin
de 24 heures par jour ?
Est-ce que
cinq ou six fois
par mois
14, 16 ou 18
heures
ne suffiraient pas
amplement ?
………………………………..
C'est la logique même
………………………………..
Ainsi,
l'horloge parlante
nous répondrait
chaque fois qu'on
[l'interrogerait :
« au quatrième top
il ne sera exactement
aucune heure
ni minute
ni seconde ! » …
………………………………..
Qu'on se dépêche
d'instituer
les jours sans heures
sous peine
d'être amenés
peut-être
à instituer
des heures sans jour,
des nuits sans lune
et des heures sans quartier…
………………………………..
On peut toujours
commencer,
pour s'entraîner
par des minutes
sans secondes
ou des soixante secondes
par deux minutes
ou… enfin
ce qu'on voudra,
mais qu'on fasse
quelque chose !
………………………………..
C'est urgent
et pressé.

N° 101 – Vendredi 12 avril 1940
p.1115

Impôts

Àmon ami Bugette.
Fraternellement.

Rencontrant
récemment
en même temps
que dernièrement
un mien ami
qui
occupe
le poste enviable
de questeur
dans une usine
de joints de culasse,
je lui posais
ex-abrupto,
in petto
et à brûle-ton-pourpoint,
cette question :
« Que pensez-vous
des
impôts ? »
…………………………………………
- Les impôts ?
répondit-il,
c'est tout un poème !
Méditant
sur cette réponse,
j'en conclus,
étant donné que
les impôts
sont
tout un poème,
qu'il était bien inutile
que je me creuse
pour en écrire un autre.
…………………………………………
C'est pourquoi
j'ai mis
comme titre :
« Les impôts »,
en me dispensant
de tout commentaire,
puisque tout le poème
y est inclus.
…………………………………………
C'est tout
pour
aujour-
d'
hui.

N° 104 – Vendredi 3 mai 1940
p.1145

Nous voulons que, lorsque nous appellerons un taxi et que nous demanderons au chauffeur : "Etes-vous libre?", celui-ci puisse nous répondre fièrement : "Oui, je le suis!".

Si le fa dièse devenait si bémol

Ce serait
tout simplement
terrifiant,
car pareil
bouleversement
réduirait
à néant
les traditions
et les conquêtes
de l'harmonie
universelle
et préétablie…
………………………………………….
Heureusement
il n'en est pas question ;
d'après nos renseignements
le fa dièse
n'a nulle intention
révolutionnaire,
et le si bémol,
content de son sort,
estime
que par les temps qui courent
mieux vaut demeurer
un bon petit modeste bémol
que de tenter le risque
de devenir
un présomptueux dièse.
………………………………………….
Ainsi donc
pareille éventualité
n'étant pas à envisager
chacun de nous
peut tranquillement
dormir
sur ses deux oreilles
ou sur celles de son voisin
si les siennes
sont indisponibles.

N° 83 – Vendredi 8 décembre 1939
p.959

En dépit des attaques !...
Au mépris de la calomnie !
Sans souci des menaces !
Nous répéterons sans relâche et sans faiblesse ce qui a besoin d'être dit ; nous n'arrêterons de dire ce qu'il faut répéter que le jour où tout ce que nous aurons dit n'aura plus besoin d'être répété.

Sous la conduite de leur président les membres de la S.D.L. rendent visite à…
l'Homme qui ne fait rien !
…
Le professeur Houn-Houn Hass Quechimist ne nous a pas leurrés. L'homme est là, immobile, les bras ballants, le regard absent, vautré sur sa chaise, et il ne fait absolument rien… C'est hallucinant, car, chez cet homme, le rien prend une proportion inconnue jusqu'ici chez les humains… J'ai déjà vu des gens qui ne faisaient rien, mais à ce point là… jamais…car non seulement il ne fait rien, mais on sent confusément qu'il a envie d'en faire encore moins…

N° 48 – Vendredi 7 avril 1939
p.595

L'invitation au voyage géométrique

Puisque le monde
est devenu
fou,
pourquoi
n'irons-nous pas
porter nos pas
ailleurs,
plus loin encore
que là-bas,
au pays de l'abstrait ?
………………………………………………….
Prenons à notre droite
la première
bissectrice
venue,
nous bifurquerons
à la perpendiculaire
qui nous mènera
de rectangle
en isocèle
et d'équilatéral
en scalène…
………………………………………………….
puisque la relation
harmonique
veut que la droite
indéfinie
passe par deux points
définis
nous irons
du côté
où le carré
opposé
à un angle aigu
est égal à la somme
des carrés
des deux autres côtés,
moins deux fois
le produit de l'un des côtés,
moins deux fois
le produit de l'un des côtés
et moins aussi
les 15 %
de contributions exceptionnelles
………………………………………………….
De cône
en tronc de cône,
de dièdres
en trièdres,
de courbes en sphères,
d'hyperboles
en paraboles,
d'ellipses en segments,
nous irons
loin du bruit,
inscrire nos initiales
là
où
s'inscrivent
les polygones réguliers
et l'octogone
dont l'apothème
se prolonge
jusqu'au cercle…
………………………………………………….
Peut-être alors,
dans le calme
froid
des théorèmes,
trouverons-nous
l'ultime félicité,
encore
que je ne sais plus qui
a dit
que la paix
et le bonheur
sont deux lignes parallèles
qui ne se rencontrerons
jamais !
C.Q.F.D. !!!

N° 73 – Vendredi 29 septembre 1939
p.863-864

Gloire et déchéance
du bouton-pression

A mon cher ami
Raymond Blanchet
aux armées

Sic transit !
Tout passe,
comme disait
l'homme
qui avait
fait
le pari d'avaler
douze œufs durs
pendant
que sonnaient
les quatre coups
de 6 h.45 !
……………………………………………..
Qui se souvient encore
de la vogue insolente
du bouton-pression,
qui régna en potentat
omnipotent
pendant des lustres
et des lampes-pigeon
sur la haute
et la basse couture ?...
Vainqueur
de l'agrafe
qu'il détrôna
le bouton-pression
jouit durant
de longues années –
qui d'ailleurs ne
dépassaient pas
d'une heure
les plus courtes –
d'une renommée
qui n'avait
d'équivalent
que ce qui l'égalait.
……………………………………………..
Les boutons,
alors,
paissaient paisiblement
en troupeaux
dans les souples pâturages
de la passementerie ;
toujours sous pression,
ils décidaient
en dernier ressort
de l'ouverture
et de la fermeture
des effets
auxquels
ils étaient affectés
en qualité
de garde du corps,
……………………………………………..
Las !
un jour
apparut,
fulgurante et impérative,
dans le ciel du progrès
la fermeture éclair,
qui éclipsa
le pauvre bouton,
lequel perdit sa pression
et son prestige
par la même occasion.
……………………………………………..
Pauvre bouton-pression !
Il avait son charme
pourtant,
mais il eut le
tort
de croire
que comme la bière
il pourrait demeurer
aussi longtemps qu'elle
à la pression.
…………..
Erreur d'appréciation !
Errare humanum est !
Errare humanum ouest !
Errare humanum nord !
Errare humanum sud !
Pauvre bouton-pression
de Panurge !

N° 82 – Vendredi 1er décembre 1939
p.949-950

Le droit d'humer

Nous avons des droits
Imprescriptibles,
intangibles
et indéfectibles.
Tous ces droits
sont réglementés
et codifiés,
afin que nul
n'en abuse.
Ainsi
l'a voulu
la sagesse
du législateur
……………………………………….
Mais qui
s'est jamais préoccupé
de réglementer
le droit d'humer ?
……………………………………….
A l'heure actuelle
chacun peut
à sa guise
et à son gré
humer
comme il l'entend,
sans souci
de gêner
son voisin !
……………………………………….
Ce n'est pas juste.
Certes
le droit d'humer
est un droit naturel.
Mais il y a humer
et humer ;
Il y a surtout la façon d'humer
qui vaut mieux
que ce que l'on hume.
……………………………………….
Humer
discrètement,
c'est bien ;
mais humer à tout bout de champ
et inconsidérément,
ça ne vas pas.
……………………………………….
Le droit d'humer
doit donc requérir
l'attention des spécialistes
du code.
……………………………………….
Humons, humons,
certes
mais humons bien,
suivant
les fortes traditions,
afin que notre
pays
conserve sa réputation
de pays où l'on hume
le mieux.

N° 103 – Vendredi 26 avril 1940
p.1136-1137

Des clous sur l'eau

Il n'y a
pas
de pas-
sages cloutés
sur les cours
d'eau…
Pourquoi ?
On a autant
besoin
de traverser
une rivière,
un fleuve
ou une
flaque d'eau
qu'une
rue
ou un
boulevard !
……………………………………………………………..
D'ailleurs
cette lacune
existe
en puissance
depuis
longtemps
et l'on retrouve
la trace
de cette absence
dans l'"Enéïde",
où il est écrit
au chapitre six
du livre neuf :
" Si le vent fait gémir le haut de
[la mâture,
en traversant les mers, prends
[bien garde aux voitures",
……………………………………………………………..
Donc,
aux temps antiques
on se rendait
déjà
compte
de l'utilité
des passages
cloutés
aquatiques
et lacustres,
……………………………………………………………..
Il serait
grand temps
de s'en occuper.
……………………………………………………………..
Vous me direz
qu'il est très difficile
de faire tenir des clous
à la surface de l'eau ;
rien n'est plus simple
que de les placer
au fond,
ce qui permettra
de traverser
à pied
sec,
avec peut-être
un peu de flotte
au-dessus
de la tête,
mais rien
n'est
parfait
en ce bas
monde !

N° 99 – Vendredi 29 mars 1940
p.1100-1101

ODE
au savon noir

O savon noir !
Savon obscur, Savon paria
Voué à
L'anonymat…
Pour toi ma lyre
Chante et s'étire
Comme celle
de Tityre
ou le flûtiau de Waldeck-Rousseau.
Savon noir,
Je te rends hautement
Et dignement
L'hommage auquel tu as droit et qu'on te
dispute si chichement sous je ne sais quel
prétexte puéril et insuffisant…
Savon noir,
Savon des nuits,
qui blanchit,
sans bruit,
sans éclat,
sans fracas,
Avec le seul souci
Du devoir accompli,
Tiers-Etat des lessives,
Prolétaire sans parfum,
Mercenaire des savons,
Poursuis ton chemin,
O savon noir !
Couleur de soir,
sans qui le blanc ne serait
que ce qu'il est !

N° 54 – Vendredi 19 mai 1939
p.658

Panne de rimes

Je suis en panne de rimes !
quelle chose ridicule
Et douloureuse
à la fois…
J'avais pourtant
au départ
fait mon plein
De rimes
sinon riches
Tout au moins
convenables
Et sachant se tenir
De manière possible
au bout des phrases…
……………………………………….
Et puis brusquement
au détour d'une ligne
Plus rien !
La panne sèche quoi
qui vous laisse pantois,
Le stylo inquiet
Les yeux dans le vague
Et le vague dans le cerveau !
……………………………………….
Ah ! Monsieur Jean Zay,
Pourquoi
ne faites-vous pas installer,
Tout au long
Des routes
Que fréquente le poète,
Des distributeurs de rimes
Où, moyennant quelques
[décimes,
On trouverait
De l'alexandrin-tourisme
Ou du super-distique ?
……………………………………….
Je suis en panne de rimes.
Quel pêcheur de lune
Viendra me dépanner ?
Vais-je être contraint
De rentrer chez moi
En prose ?
……………………………………….
S.O.S.
S.O.S.
Une rime à amour
Et une à bonheur
Sauverait mon honneur.
S.O.S S.O.S…

N° 66 - Vendredi 11 août 1939
p.779

DEUX ET DEUX

pourraient faire trois…
Si on le voulait,
pourquoi
deux et deux
ne feraient-ils pas trois ?
………………………………………….
Il suffirait
de changer
simplement
les principes
fondamentaux
qui, depuis
des temps immémoriaux,
régissent la loi des nombres…
………………………………………….
Qu'un jour,
la fantaisie
d'un esprit
révolutionnaire
vienne
se manifester
sous l'austère coupole
de l'Institut,
et ça
y sera !
………………………………………….
Donc,
si on le voulait,
deux
et
deux
pourraient
faire trois,
six
et
six,
vingt quatre
et
ainsi de suite !...
………………………………………….
Vous me direz
peut-être
que, sans bruit
et sans
bouleversement,
c'est déjà
chose faite,
puisque
chez nos amis de Hollande,
de Suisse,
d'Amérique
et d'ailleurs encore,
le chiffre 1
devient
7, 8, 9 ou 10
de par
les principes
qui dirigent
la loi du change…
………………………………………….
Chut !
ça,
c'est une autre
paire
de manches,
comme disait
Rudyard
Kipling
les jours
où il en avait
assez de dire :
"Ca c'est une autre
histoire !..."

N° 94 –Vendredi 23 février 1940
p.1057

Berceuse inutile

J'ai appris
avec beaucoup de mal
et avec un professeur
une fort jolie berceuse.
…………………………………………..
C'est une berceuse
honnête
qui a
tout ce qu'il faut
pour faire correctement
son métier
de berceuse ;
…………………………………………..
il y est question
de conte de fées,
de compte courant
et de conte
à dormir
debout,
ce qui est bien naturel
pour une berceuse…
…………………………………………..
Seulement, voilà,
je ne sais
qu'en faire,
de ma berceuse ;
certes,
je connais des bébés,
mais ils sont
presque tous,
pour l'instant,
au moins
de la deuxième réserve !...
…………………………………………..
J'irais
bien,
à la rigueur,
la chanter
à mon
voisin de palier,
mais ça
ne servirait à rien,
étant donné
qu'il est
somnambule
et en voyage
au Cambodge
par surcroît.
…………………………………………..
Qu'est-ce que
je
vais
bien pouvoir
fabriquer
avec cette berceuse
qui me reste
sur les bras
et dans la gorge ?...
…………………………………………..
Tant pis,
je vais me la chanter
à moi-même,
si ça ne m'endort pas,
ça
réveillera
toujours
les voisins.
…………………………………………..
Après tout,
une berceuse,
si on la hurle,
n'est pas tellement
faite
pour provoquer
le sommeil !

N° 92 – Vendredi 9 février 1940
p.1037

Des centaines de petites annonces ont paru dans l'irremplaçable journal de Pierre Dac, L'OS à MOELLE. Voici les meilleurs, insolites, surprenantes, toujours drôles, fidèle reflet du déconcertant humour loufoque qui a fait de Pierre Dac le grand maître des absurdités hilarantes.

   
   
Cannibale mélomane cherche
travail dans opéra-bouffe.


p.45

   
   
Indécis recherche bascule
de précision pour peser le
pour et le contre.


P.84