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Citations de Pierre Goldman (54)


Vint mai 1968. Il me semblait que les étudiants répondait dans les rues, à la Sorbonne, le flot malsain d'un symptôme hystérique. Sous des formes ludiques et masturbatoires, ils satisfaisaient leur désir d'histoire. Je fût choqué qu'ils ne prennent que la parole et s’en réjouissent. À l'action ils substituaient le verbe. Je fût choqué qu'ils mettent l'imagination au pouvoir. Cette prise de pouvoir était une prise de pouvoir imaginaire.
[…]
L'art du régime ne fut pas d'être violent. Il fut plutôt de savoir maintenir l'affrontement dans des limites pacifiques. J'espérais pourtant que de cette onanisme collectif, délirant, sortirait une situation révolutionnaire. La présence des ouvriers, leurs grèves, était en effet d'un ordre différent.
[…]
Il fallait donner au peuple une preuve de sang, substituer au discours indécent, qui suintait du quartier Latin, la démonstration éclatante d'une solidarité authentique ou serait scellée l'unité des étudiants et des travailleurs. Je pensais que l'acte central de la tactique gouvernemental était de maintenir à tout prix cette paix désordonnée, qui passait pour une guerre civile et à laquelle est contribué à donner cette fausse apparence.
Je fus regarder comme un fou, un mythomane.
Il m'arriva de traverser le quartier Latin au moment des tumultes les plus durs, et je m'amusais d'y voir les manifestants se prendre pour des combattants. J'allais, une nuit, à la Sorbonne. L'excitation qui y régnait me parut pornographique. Cette ambiance m’offusquait.
La mort d'un militant et l'assassinat d'un ouvrier n’entraînèrent aucune riposte appropriée. Dans les manifestations et les défilés, on hurla désormais : « où sont nos morts ? » Au risque de choquer, qui met d'ailleurs indifférent, je dirais que ce slogan m'inspire un dégoût profond. J'y voyais le signe de la nature infantile du mouvement étudiant. Il restait dans l'enfance politique, mais réclamait que son jeu fut pris au sérieux. Et que, du sérieux historique, on lui attribue les ornements distinctifs : des morts.

P. 74-76
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Je partis, un soir. Ma mère vint à la gare, accompagnée de mon ami latino-américain. Quand le train s'ébranla, elle pleura doucement. Je ne l'ai plus revue et je crois qu'elle pensait qu'elle ne me reverrait plus. Que sa vie était faite d'hommes qui partaient vers la violence et y disparaissaient. Dans cette violence, elle avait été. Elle n'y était plus, sauf à s'en souvenir dans le deuil et à me voir telle une figure qui, dans le présent, surgissait de son passé. Pour la première fois je compris que j'aimais ma mère, cette femme, que j'étais son fils et que cet amour était de toujours partir et que notre proximité absolue était dans cette errance qui me séparait d'elle et où je la cherchais.
p. 61-62, Points Seuil 1975.
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"Est-ce qu'on peut dire le silence, est-ce qu'on peut dire les larmes lentes et secrètes après l'extinction des feux, parfois, est-ce qu'on peut dire l'amitié des voyous et des assassins, des voleurs, est-ce qu'on peut dire la détresse, la fierté, la superbe des vieux caïds enfermés, qui répètent inlassablement la litanie de leurs exploits passés, ou qui n'en parlent jamais, est-ce qu'on peut dire l'attente et le temps, est-ce qu'on peut dire le claquement quotidien des barres de fer sur les barreaux, quand les matons en effectuent la sonde, est-ce qu'on peut dire Monsieur le directeur j'ai l'honneur de solliciter de votre haute bienveillance, est-ce qu'on peut dire Goldman avocat, Goldman parloir, Goldman extrait, Goldman dentiste, Goldman échange-fouille, Goldman passager-hôpital, Goldman visite médicale, Goldman prétoire, est-ce qu'on peut dire les femmes qu'on regarde du fourgon cellulaire, et qui tordent le plexus de douceur, de douleur, est-ce qu'on peut dire les revues pornographiques je veux pas oublier comment c'est fait un sexe d'une femme, est-ce qu'on peut dire l'humiliation de se masturber, est-ce qu'on peut dire la terreur de l'absence progressive de désir, d'érection, est-ce qu'on peut dire les avocates, bonjour maître, elle a un sexe sous sa robe, est-ce qu'on peut dire l'excitation des transports au Palais, avec escorte spéciale, réservés aux prévenus considérés comme dangereux, est-ce qu'on peut dire le regard des gendarmes, c'est un tueur, est-ce qu'on peut dire le regard des autres détenus, est-ce qu'on peut dire SHS, HS, MS, AS, DPS, Super Haute Surveillance, Haute Surveillance, Mœurs Spéciales, À Surveiller, Détenu Particulièrement Signalé, est-ce qu'on peut dire les durs qui reviennent du parloir brisés, éteints, silencieux, parce que leur femme ne viendra plus, est-ce qu'on peut dire les portes des cellules qui retentissent, la nuit, sous les coups furieux d'un détenu affolé qui n'en peut plus, est-ce qu'on peut dire les pendaisons, est-ce qu'on peut dire y'en a un qui s'est accroché il est mort en déchargeant, est-ce qu'on peut dire les promenades, est-ce qu'on peut dire les dimanches et les jours de fête, pas de courrier, pas d'avocats, pas de parloirs, rien, est-ce qu'on peut dire les matons, la haine et la sympathie, le mépris, l'estime, la méfiance, est-ce qu'on peut dire chef ça va pas en ce moment je deviens fou, est-ce qu'on peut dire l'amère chaleur et la chair de poule de ces misérables dialogues qui consolent, le soir, au moment de la fermeture des portes, après le courrier, avant la nuit, est-ce qu'on peut dire descendez de la fenêtre non j'ai le droit de respirer, est-ce qu'on peut dire la prochaine fois que j'vous prends à parler au tuyau j'vous aligne, alignez-moi si vous voulez vous voulez peut-être que je parle aux murs, est-ce qu'on peut dire le sang qu'on va donner quatre fois par an pour boire un quart de vin et respirer l'odeur des femmes, des infirmières, est-ce qu'on peut dire les cellules de Super Haute Surveillance, l'isolement, la solitude ? Est-ce qu'on peut dire la solitude ?"

(Lu par Lola Lafon, dans le "Book Club" d'aujourd'hui. Terrible et magnifique).
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Une autre raison m'avait toujours interdit d'écrire : je voulais écrire ma vie dans la vie, l'y inscrire, qu'elle soit un roman. Elle ne le fut pas et de l'avoir écrite sans la romancer ne la transforme pas en roman.
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Le propre d'un préjugé est de s'exercer inconsciemment. L'essence d'une influence inconsciente est précisément qu'il n'est pas possible de s'en arracher par un décret de conscience. La nature de toute idéologie dominante consiste dans "l'illusion" où est son adepte d'en avoir fait le choix conscient et lucide, de pouvoir, par l'exercice magique du libre arbitre, s'en extraire à tout moment.
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Mais le racisme du procès s'exprima autre part. Il s'exprima dans les effluves signalétiques dont j'eus à affronter les relents putrides pendant plusieurs jours. En effet, à quoi se résume le "c'est un mulâtre" de Quinet, le "c'est un Méditerranéen basané, espagnol ou portugais", de Trocard, le "c'est un Méditerranéen basané" de Quinet, Lecoq, Ioualitène ? A quoi se résume le "c'est Goldman je le reconnais à ses yeux sournois et à son nez" de Quinet ? [...]
A quoi se résume ce passage d'un coupable mulâtre à un coupable juif entouré de nègres ?
A ces quelques lignes de Céline : "Tout de même, il suffit de regarder, d'un peu près, telle belle gueule de youtre bien typique, homme ou femme, de caractère, pour être fixé à jamais... ces yeux faux à en blêmir... ce sourire coincé, ces babines qui se relèvent : la hyène... Et puis tout d'un coup ce regard qui se laisse aller, lourd, plombé, abruti... le sang du nègre qui passe."
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(Le deuxième jour du procès, un travailleur algérien était venu déposer dans l'affaire du payeur. Il était désorienté, cherchait instinctivement le banc des accusés et s'exprimait avec un très fort accent maghrébin. J'avais alors regardé Quinet : il manifestait une claire hilarité raciste de policier, naturelle. Cela m'avait confirmé dans ce que j'avais "déduit logiquement"* : Quinet était raciste. Il aurait été très difficile qu'il ne le fût pas.)

* Et, j'ose le dire, "a priori".
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De fait, ils étaient tous là : c'était la fin d'une génération qui allait être célébrée dans le rite judiciaire.
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La mascarade préparait les pompes de sa représentation absurde.
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Cette génération dramatique et absurde, j'y avais appartenu intégralement, mais je m'en étais enfui, volontairement, avec acharnement.
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"Je suis innocent parce que je suis innocent."
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Ce genre de "présentation du suspect" en vue d'une éventuelle reconnaissance par les témoins est d'ailleurs éminemment douteux : il se présente comme une devinette.
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Tant il est vrai que la marge est faible entre un mulâtre, une sorte de mulâtre et un Méditerranéen très basané, boulevard Richard-Lenoir, le soir.
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(Il est toutefois probable qu'elle a vraiment assisté à la fuite de l'assassin mais qui sait ? Qui sait, puisqu'elle appartient, elle aussi, au voisinage des faits, donc peut avoir fondé ses dires sur le bavardage plus ou moins bien informé qui, dans le voisinage, a suivi le crime.)
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Je commençai à m'intéresser au propos des magistrats qui nomment l'instruction une "manifestation de la vérité". J'y vis un exercice philosophique dont l'enjeu était vital, voire mortel, ce qui lui donnait du sérieux, de la gravité : arracher la gangue d'apparences trompeuses qui occultait mon innocence. Je pris goût à la langue française dans la langue juridique et son obsession centrale : capter avec précision les objets, situations et faits qu'elle a pour mission de rendre clairs.
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Il avait, ce héros, un visage d'abruti, rose.
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Il me sembla que j'étais au centre d'une machine qui allait m'écraser, doucement.
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J'ajouterai également que la première fois que je séjournai dans une clinique psychiatrique - j'y étais allé non pour me soigner, mais pour visiter un ami qui en était l'administrateur - je me munis d'un pistolet.
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L'usage judiciaire est que le "curriculum vitæ" d'un inculpé prenne fin à son arrestation. La pratique des juges est parfois lourde d'une profonde signifiance.
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W. était à mes yeux le plus grand écrivain d'Amérique latine, encore qu'il n'eût jamais rien écrit, pour cela même peut-être.
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