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EAN : 9782020371766
311 pages
Seuil (12/04/2005)
3.71/5   41 notes
Résumé :
" Comme chacun, j'ai voulu comprendre pourquoi ce procès me fascine. C'est en raison de la personnalité de Goldman. Certains en ont fait un héros des Possédés de Dostoïevski. i Je ne partage pas cette impression. Avec son mélange d'ambiguïté, il est banalement un homme du XXè siècle. Or, nous lui faisons un procès du XVè."
Maître Kiejman. Plaidoirie, 4 mai 1976.

Né à Lyon en 1944. 14 décembre 1974 : condamnation à la réclusion criminelle à vie... >Voir plus
Que lire après Souvenirs obscurs d'un juif polonais né en FranceVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (9) Voir plus Ajouter une critique
Pierre Goldman est né en 1944, moi en 1953, ce qui fait qu'étant mon aîné, il a été mon contemporain et que toute l'effervescence médiatique suscitée par son nom et ce que ce nom a pu entraîner dans son sillage, je l'ai suivi avec beaucoup d'intérêt et beaucoup d'assiduité.
D'autant qu'à l'époque où lui était ce qu'on qualifiait de révolutionnaire d'extrême-gauche, de guérilléro "sud-américain", j'empruntais des chemins proches ; la différence étant que j'ai eu moi le temps de "tiédir"... pas lui !

Ses procès et ses soutiens de gens de gauche célèbres comme Simone Signoret, je les ai suivis mais sans chercher à lire son bouquin, mélange d'autobiographie, de contre-enquête et de narration du procès qui l'a vu être condamné à la réclusion à perpétuité.
Si je ne l'ai pas lu, c'est que j'étais persuadé au coeur de ces années 70 de l'innocence de Goldman.
Et je m'en contentais.
Je ne serais d'ailleurs pas étonné avoir signé une pétition ou deux pour exiger sa libération...

Cinquante ans plus tard, c'est la lecture du livre de Nathalie Zajde - Enfants de survivants -, dans lequel cette psychologue se pose la question - et cherche à y répondre - " Pourquoi dans les familles juives, les enfants des rescapés de l'extermination nazie font-ils les mêmes rêves que leurs parents alors que ceux-ci ont gardé le silence sur le traumatisme qu'ils ont vécu ?-...er que parmi d'autres exemples, elle cite le nom et le "cas" de Pierre Goldman, c'est ce livre et son contenu qui m'ont convaincu qu'il fallait que je lise enfin cet ouvrage au titre si parlant et si questionnant à la fois – Souvenirs obscurs d'un juif polonais né en France -.

Comme je l'ai dit précédemment, Pierre Goldman est né en 1944, soit presque un an avant la fin de la guerre. D'Alter Mojszet Goldman né en Pologne à Lublin, et de Janine Sochaczewska, née elle aussi en Pologne à Lodz.
Ses parents, qui se sépareront assez vite, sont tous les deux des membres actifs de la Résistance et du PC lyonnais.
Son père et sa mère séparés, le jeune Goldman va être élevé par sa tante, puis sera repris quelques années plus tard par son père remarié, ne verra sa mère retournée en Pologne, qu'à de rares occasions.
Instable, se faisant renvoyer des lycées ou internats où il est placé, Pierre Goldman va très tôt emprunter un itinéraire politique ; révolutionnaire est le qualificatif qui le définit le mieux.
C'est d'abord l'UEC ( Union des étudiants communistes ), puis l'UNEF ( Union nationale des étudiants de France ) dans lesquels il lutte contre l'extrême-droite.
Dans le même temps, après avoir obtenu son bac, il s'inscrit en philo à la Sorbonne...dont il ne suit les cours que par correspondance.

Peu à peu il délaisse ses études, fréquente des lieux "interlopes", joue du couteau.
Arrivent les années sud-américaines.
Fasciné par la révolution cubaine, il s'embarque sur un cargo en Norvège, rejoint les USA, tente de passer la frontière mexicaine...avant d'être rapatrié manu militari ( premier séjour en prison ) au port où il rembarque pour l'Europe.
Après être passé volontairement à côté de Mai 68 ( c'est lui qui l'affirme ...), il parviendra à séjourner à Cuba avant de vivre une année parmi les guérilléros vénézuéliens.

De retour en France, il va entrer dans la délinquance et le banditisme.
Lourdement armé de deux pistolets, il commettra trois braquages avant d'être soupçonné de la tuerie de ce qu'on a appelé " L'affaire Richard-Lenoir ".
Une pharmacie est attaquée, les deux pharmaciennes sont abattues de sang-froid, deux témoins sont grièvement blessés.

Dénoncé ( dit-il ) par un indic, il est arrêté et incarcéré.
Commence "L'affaire Goldman."

Dans son bouquin, Pierre Goldman, sans se livrer totalement, explique son obsession permanente de la mort, son manque d'amour pour la vie, sa relation à ses parents juifs, sa propre judéité.
Son parcours révolutionnaire et son entrée dans le monde du grand banditisme.
Puis il y a toute la partie consacrée à " L'affaire Richard-Lenoir -, dans laquelle il affirme son innocence et tente de démonter dans le détail tous les témoignages de ses accusateurs.

Ma surprise a été grande de réaliser en cours de lecture que je ne le "croyais plus"...
Vous vous ferez votre avis, mais une fois l'impression de puzzle rassemblé autour des faits, ma conviction intime, dont Goldman disait qu'elle était " l'implacable rouage de la machine qui juge, laquelle n'est seulement que l'apologie et la logique idéologiques des préjugés moraux, culturels, politiques, sociaux...", j'ai plus que douté de l'innocence de celui qui fut, à son deuxième procès, innocenté.
Mais son ami Régis Debray n'a-t-il pas dit en 1992 : " Quand on s'est rêvé Manouchian, on ne peut se voir affubler la peau d'un petit malfrat butant deux pharmaciennes pour piquer dans la caisse, sans se faire porter absent. Goldman ne pouvait pas plus se supporter coupable que disculpé." 
Michaël Prazan, n'a-t-il pas lui-même mis cette innocence en doute dans son livre intitulé - Pierre Goldman, le frère de l'ombre -...
Et ce que j'ignorais, c'est la confession de son principal témoin, Joël Lautric qui, dans son livre - Mémoires d'un parjure – confesse "avoir livré un faux témoignage lors du procès d'Amiens : Goldman l'aurait quitté ce jour-là à 18 h et non à 20 h."
Plus que troublants, et ce ne sont pas les seuls...

Je suis ravi d'avoir fait une incursion dans les années de ma jeunesse, retrouvé cette énigme qu'est Pierre Goldman, truand, ( assassin ?), révolutionnaire.
Retrouvé celui qui, comme Mesrine, rêvait et a projeté d'enlever Jacques Lacan, Jean-Edern Hallier...
Avait planifié la guérilla urbaine à la façon d'Action Directe, mais qui reste un enfant de la guerre, un "enfant de survivants", comme les appelle Nathalie Zajde, un homme qui disait " vouloir se libérer de la meurtrissure d'être juif ", qui affirmait "avoir fait le pacte de rater sa vie ", souffrir d'une obsession maladive de la mort.

Pierre Goldman a été assassiné le 20 septembre 1979... sans qu'on sache exactement si le commando de tueurs était composé de sbires de la police d'extrême-droite, des services secrets français, du GAL, du SAC, de la DST, des RG ou du "milieu"...
Quoi qu'il en soit, Godman reste à l'image de ces années d'OAS, de 68, et des années 70 où un Mesrine faisait autant parler de lui que les membres d'Action Directe ou d'un certain Robert Boulin... une ombre questionnante.
Une lecture intéressante dans le cadre dont j'ai parlé. L'homme et l'auteur sont brillants, d'une extrême intelligence, pas forcément convainquants et quelquefois un peu "intellectualisants".
Notons que durant son incarcération, Pierre Goldman a obtenu une maîtrise d'espagnol, une licence de philosophie et qu'il avait comme horizon universitaire un doctorat de philosophie.







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Révolutionnaire au quartier latin à la fin des années soixante, guérillero à Cuba et au Venezuela, gangster, ami de truands, coqueluche des intellectuels de gauche, figure des boites de nuit parisiennes, Pierre Goldman est presque l'antithèse de son frère cadet.
En avril 1970, il est accusé du meurtre de deux pharmaciennes lors d'un hold-up à Paris. le gauchiste romantique devient meurtrier de deux femmes pour de l'argent. Étrange revirement. D'ailleurs, une bonne partie de la gauche n'y croit pas. Et pour cause : Pierre Goldman est innocent. Il sera pourtant condamné à perpétuité puis acquitté et libéré plus tard, après avoir rédigé ce livre. (Pour info : sa liberté sera de courte durée. Pierre Goldman aura une mort à la hauteur du mythe qu'il s'est forgé). « Souvenirs obscurs d'un juif polonais né en France » est un témoignage d'abord, puis une profonde analyse. C'est un livre écrit en prison pour sa défense dans l'affaire pour laquelle il a été condamné à tort à la prison à perpétuité. Sans pathos aucun, c'est un écrit digne, froid, enchaînant faits bruts et analyses méthodiques des raisons pour lesquelles il fut d'abord accusé puis condamné.
La première partie du livre est une sorte d'autobiographie. Homme énigmatique, fort intelligent et dévoué à ses idées, Pierre Goldman est sans attaches environ. Il a pourtant un père, une voire deux mères, des frères, des amantes de passage, mais rien d'assez solide pour le faire dévier de ses buts. C'est un militant communiste, un vrai, un antifasciste, de ceux qui prennent les armes et renoncent au confort pour embarquer seuls sur un paquebot en partance pour Cuba. L'histoire de ses parents est une sorte d'obsession pour lui. Il se sent même coupable de n'avoir pu, à cause de son jeune âge, porter les armes durant la résistance. C'est un homme entier, fasciné par la lutte et par l'exemple parental. N'importe si on ne partage pas ses convictions, il reste cette ferveur indéniable, ce sain élan, cette sorte de sacrifice qui au fond n'en n'est pas un. Pour lui, être quelqu'un c'est se battre, c'est envisager une guérilla urbaine dans Paris, c'est la révolution. le reste n'est que pose bourgeoise, confort bête, désoeuvrement. C'est dans son sang juif : son père fut résistant, et pas un résistant de la dernière heure. Un vrai résistant qui a risqué sa vie au surplus d'accumuler les périls : juif et communiste, ainsi que sa mère. Ils l'ont d'ailleurs eu dans une période où « il ne fallait pas faire d'enfant ». Goldman est un enfant mort-né ou tout comme. Dès sa naissance pendant l'occupation, il fut comme traqué et menacé de mort. Goldman adulte m'est cependant attachant, ou plutôt fascinant. Élevé dans une bonne famille juive apte à lui offrir des études supérieures et doté d'une belle intelligence, il choisit pourtant un autre chemin. L'extrême gauche l'attire suprêmement, voilà. Sa vie ne lui est rien, ou si peu, par contraste avec la cause. La vie lui est tellement dérisoire qu'il joue la sienne au poker pratiquement, ou à la roulette russe, qu'il finit par commettre des braquages comme ça, pour rien : ni pour la cause ni à cause d'un réel manque d'argent. Il joue, c'est tout. Il vole pour le plaisir environ, et parce qu'il hait les bourgeois. Il ira aussi attaquer Lacan à son cabinet, et puis renoncera quand il sera face à lui : il l'admire. On ne braque pas une arme sur un homme admirable. Goldman a ses propres principes : il renonce aussi à voler une crémerie artisanale. C'est également un jeune homme brillant. Séduisant et cultivé, un peu bagarreur dans l'âme et excellent orateur, fort charismatique, Goldman est un leader, l'un des principaux dirigeants de la lutte antifasciste de la fin des années 60. Refusant de faire son service militaire, il part à l'étranger clandestinement, en déserteur, mais pas par lâcheté : il va rejoindre un groupe révolutionnaire pour combattre en Amérique latine. Lorsqu'il revient à Paris, il s'amuse de petits braquages.
Et puis il y a l'affaire du boulevard Richard Lenoir pour laquelle on l'arrête. Il n'y était pourtant pas, n'a jamais tué quelqu'un. On l'accuse formellement pourtant. On le reconnaît même. Les témoins le jureraient.
La seconde partie raconte l'arrestation, l'instruction, et c'est le début d'une avalanche de mauvaise foi qu'il énumère froidement, d'hypocrisie humaine et de manque cruel de professionnalisme de la part de tous les acteurs d'une arrestation et d'un procès. Goldman est innocent, il le sait. Il est pris dans les filets de la machine judiciaire, victime de la somme des manques de rigueur de tous les acteurs de l'instruction et du procès, ou peut-être de leur excès de zèle : il est le coupable idéal, c'est tout. N'importe qu'il soit innocent : il est juif, déserteur, guérillero, braqueur et communiste. Cela suffit à faire de lui un meurtrier. Aussi, c'est avec une étrange curiosité qu'il lit et écoute les témoignages de ceux qui prétendent l'avoir reconnu le soir du double meurtre. Sans haine pourtant, mais avec hauteur. En première ligne, Quinet, jeune gardien de la paix, qui est entré dans la pharmacie tel un chérif, selon ses dires. Seulement, des témoins prétendent que non, que l'assassin est sorti avant qu'il ne puisse entrer. Ce cher monsieur aurait vu l'assassin en pleine lumière, il lui court après ensuite, le rattrape sur un terre-plein. le gardien de la paix se fait tirer dessus à bout portant par le meurtrier. Il dira « je suis foutu », puis « c'est un mulâtre qui a fait le coup ». Propos qu'il niera ensuite en « reconnaissant » Goldman comme l'assassin. Ainsi que tous les autres témoins. Et voilà ce que j'admire : alors qu'il est incarcéré, innocent, jugé et condamné, qu'il a le soutien de la presse et des intellectuels de gauche, il lui aurait été facile de tomber dans un pathos pitoyable, d'évoquer une incarcération aussi rude qu'injuste, de gueuler toute son indignation. C'eût d'ailleurs été un moyen efficace. Lâche, indigne, mais efficace. Goldman ne le fait pas. C'est avec un froid détachement qu'il évoque sa non culpabilité, et c'est avec philosophie qu'il parle de sa détention. Il y a, après tout, passé sa licence de philosophie. Il aime assez la solitude que lui procure la prison. Il peut lire, écrire et même y enseigner. Seulement, il n'a pas tué. Il n'a jamais tué, voilà pourquoi il écrit : pour un rétablissement de la vérité tout autant que pour pointer du doigt le piètre travail des enquêteurs, les approximations et mensonges des témoins, la bêtise des jurés qui se sont laissés influencer, pour tenter d'expliquer la plausibilité psychologique qui conduit un individu à travestir une réalité, toute une machine judiciaire infernale et bête. Il n'était pas ce soir-là dans cette pharmacie, pas plus qu'il n'a une fois dans sa vie tiré sur un homme. Et pourtant c'est à lui d'en apporter les preuves, ce qu'il va faire de manière méthodique et consciencieuse, sans affect et à la manière d'un scientifique tout à fait détaché. Jamais non plus il ne donne le nom de l'indicateur qui l'a dénoncé à tort. Il le connaît pourtant, il sait qu'il l'a fait. Il ne le citera pas : question d'honneur. D'ailleurs, pourquoi aurait-il besoin de le faire ? Dans un monde rationnel, dépourvu de préjugés et de passions, dans un monde où chacun ferait son travail méticuleusement, seule l'éclatante vérité triompherait. Goldman est à la fois un idéaliste et un grand lucide. Il voudrait que ce fût ainsi et sait pourtant que non, ou l'apprend à ses dépens.
Goldman, c'est aussi celui qui refuse que l'on politise son innocence. Il reçoit le soutien des juifs ainsi que des gens de gauche. S'il en est touché dans des moments de faiblesse, son esprit refuse catégoriquement que son nom entache l'une ou l'autre des communautés ou fasse figure de martyr. Vraiment, on peste, tout au long du livre, sur sa façon bornée et noble de refuser de l'aide. Il se tire une balle dans le pied, et par sa plus belle qualité : c'est par droiture et intégrité qu'il refuse, et aussi parce qu'il se sait innocent. Jusqu'au bout il pensera que la vérité finira par triompher, que le reste est une sorte de théâtre, de jeu de témoignages de soutiens, parfaitement inutile quand on est innocent. Grossière erreur : il a jugé son contemporain à l'aune de ce qu'il est lui. Il a cru que chacun donnait comme lui une valeur absolue à la vérité. Non, un procès est un théâtre, où la culpabilité ou l'innocence de l'accusé importent peu au fond. Ce qui compte, c'est le pathos, la mise en scène, les témoignages et tout ces rituels ridicules qui viennent se substituer aux faits bruts.
Le tout est très bien écrit, dans un beau style, plutôt froid et à la manière d'un rapport scientifique ou d'une thèse, sans lyrisme ni poésie. C'est à la fois une autobiographie et une analyse documentée, la démonstration argumentée d'une instruction et d'un procès mal menés. C'est un travail de vérité plutôt que de littérature, et pourtant c'est écrit avec une telle volonté d'exactitude que c'est sublime de froideur et d'implacabilité. Et je songe à plusieurs vrais écrivains qui pourraient écrire ce genre de livre s'il leur arrivait la même mésaventure. Eux aussi se tireraient probablement la même balle dans le pieds en restant intègres, incapables de faire pleurer à dessein de s'attirer des sympathies, trop résolus à rester eux-mêmes quoi qu'il en coûte, trop dignes et assurés de leur bon droit, qui, dans une société idéale, devrait suffire à les disculper.
Ah ! Devrais-je parler du frère cadet, que j'admire infiniment ? Goldman en parle succinctement et une seule fois dans le livre, évoquant après son retour du Venezuela ses deux jeunes frère devenus des étudiants chevelus et passionnés de Rock. Jean-Jacques, lui, ne s'est jamais exprimé au sujet de son frère. On peut même imaginer que ce drame familial l'a tout à fait convaincu de se méfier de la presse, de toujours s'en tenir à l'écart. On saura juste que le titre « Puisque tu pars » est une sorte d'hommage à ce frère abattu à sa sortie de prison.
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C'est une lecture très convaincante, dans l'objectif principal de son auteur : faire la démonstration de son innocence. Convaincante mais non déterminante, en ce qui me concerne, éveillant encore plus de questions que de réponses quant à la personnalité de Goldman et l'affaire à laquelle il s'est trouvé mêlé.
Cela tient sans doute, en partie, à l'admiration intellectuelle (presque un trouble) qui m'a saisie immédiatement.
Peut-être parce qu'à rebours du mot de Pascal ; dans ce récit, "on découvre un auteur, au lieu d'un homme". C'est-à-dire, quelqu'un dont l'intelligence (ou tout du moins les facultés d'observation) dépasse l'ordinaire, qui ne peut être de ce fait autre chose que "suspect" parmi les hommes de vouloir être plus qu'un homme.
Et y réussissant dans la mesure où l'échec du dépassement de la condition humaine peut en être également, parfois, le magnifique témoignage (ou martyre).

Goldman, à l'aise dans le langage, excelle sans avoir l'air de s'appliquer.. (et pourtant, il s'applique !)
Il maîtrise en particulier l'art de la parenthèse.., art inexistant s'il en est puisqu'il s'agit simplement de laisser le "maniaque", le douteur, l'emmerdeur (que recèle tout écrivain un tant soit peu capable) prendre le contrôle... et, sinon, délirer dans le texte, au moins, l'approfondir.
Il y est à l'aise, comme l'on peut se sentir à l'aise, en un milieu dangereux, vivant, empoisonné... Il se débat et analyse, dans le même temps, dans l'emploi des mots, des modes, des temps verbaux ce qui se trame, souvent malgré nous, dans le langage (sa venimosité latente ou évidente).

Il démonte "l'affaire Richard-Lenoir".
Le lecteur, séduit, intéressé, médusé, écoeuré par ce qui semble avoir été (au moins en partie et non seulement pour des raisons politiques mais idéologiques, c'est-à-dire inconscientes) une "machination".
Au lieu de preuves formelles, de relations de cause à effet ; un raisonnement par analogie, relations de contiguïté, des témoignages contradictoires révélant unanimement, par contre, la forte impression (physique, raciste) que laisse le suspect Goldman sur ses accusateurs.

Néanmoins, malgré l'indignation tonitruante, le voisinage d'un certain star-system, le brillant des personnalités voulant lui manifester son soutien ; l'ombre qu'habitait Pierre Goldman le recouvre finalement entièrement comme un fait exprès...




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Pierre Goldman avoue en incipit avoir écrit ce livre en écoutant en prison, des cassettes de musique cubaine que Chris Marker a enregistré pour lui, la paternité du récit est aussi la sienne dit-il:
Il signe par là une forme d'hommage au souffle de vie porté par cette musique, il rend aussi un hommage vibrant à l'amitié, lui si peu prodigue de sentiments et de sensiblerie. Pierre Goldman est tout entier dans ce paradoxe entre le solaire et l'obscur, sa vie s'inscrit dans un déchirement fondamental.
Il écrit ce livre en prison après avoir été condamné à la réclusion criminelle à perpétuité pour quatre vols à main armée dont un homicide volontaire pour le braquage sanglant de la pharmacie du boulevard Richard Lenoir le 19 décembre 1969. Ce récit autobiographique est un cri: pour clamer son innocence et rappeler comment et pourquoi sa vie ne s'inscrit pas dans ce type de meurtre.
Le regard de Pierre Goldman sur sa vie est celui d'un homme blessé. Dans les conditions mêmes de sa naissance dans un pays occupé par les nazis où il était condamné à mourir, dans ses toutes premières années marquées par les déchirements et le départ de sa mère pour la Pologne dès 1945. Nul ne guérit de son enfance, Pierre Goldman, plus que tout autre en sera marqué au fer.
Ainsi porte t-il une judaïté douloureuse, exempte de tout attachement religieux, forgée dans une diaspora millénaire, faite de résistance et de combats.
« J'étais seulement un juif exilé sans terre promise. Exilé indéfiniment, infiniment, définitivement. »
Sa vie est une quête sans fin. Recherche de tout ce qui a conditionné son existence même : la résistance et le combat les armes à la main, besoin d'absolu, rejet de la sujétion sous toutes ses formes. Nous le suivons donc, de son insoumission militaire, à son départ vers les Amériques, façon Corto Maltese, nous partons avec lui au Vénézuela parmi les guérilleros et partageons son retour en France désenchanté et perdu , dans cette plongée nihiliste vers les braquages, les nuits sans fin et l'arrestation en 1970 pour les meurtres commis dans la pharmacie du boulevard Richard Lenoir.
Alors que Pierre Goldman évoque son passé sans emphase, dans une sobriété économe d'effets et de pathos, l'accusation de meurtre à son encontre, l'instruction de l'affaire et le procès font l'objet d'un récit minutieux dans lequel chaque élément à charge contre lui est examiné.
Il examine les témoignages et l'instruction avec une précision minutieuse, fait preuve d'une virtuosité philosophique exceptionnelle, pour démonter témoignages et instruction au crible d'un raisonnement logique rigoureux et brillant.
Au delà du témoignage, le livre de Pierre Goldman met en scène un homme qui assume sa complexité et sa solitude dans un contexte où ses déchirements ne parviennent pas à trouver d'exutoire.
Un portrait exceptionnel.
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C'est un livre coup-de-poing que ce témoignage écrit par Pierre Goldman pour sa défense dans l'affaire du boulevard Richard Lenoir. A la lueur de ce récit, on suit le parcours de cet homme énigmatique mais non moins attachant, pris dans les filets de la "justice" . Pour ma part, il a été victime d'un système judiciaire faisant de lui le "coupable idéal" sans preuves tangibles. Sa trajectoire qui se termine tragiquement nous fait prendre conscience que l'existence d'un homme (en l'occurrence, Pierre Goldman sera assassiné quelque temps après son acquittement) peut être ainsi bouleversée par une erreur judiciaire. J'ai compris aussi à la lecture de ce livre la défiance de son (demi-) frère Jean-Jacques tout au long de sa carrière vis-à-vis de la presse et des médias.
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Citations et extraits (35) Voir plus Ajouter une citation
"Est-ce qu'on peut dire le silence, est-ce qu'on peut dire les larmes lentes et secrètes après l'extinction des feux, parfois, est-ce qu'on peut dire l'amitié des voyous et des assassins, des voleurs, est-ce qu'on peut dire la détresse, la fierté, la superbe des vieux caïds enfermés, qui répètent inlassablement la litanie de leurs exploits passés, ou qui n'en parlent jamais, est-ce qu'on peut dire l'attente et le temps, est-ce qu'on peut dire le claquement quotidien des barres de fer sur les barreaux, quand les matons en effectuent la sonde, est-ce qu'on peut dire Monsieur le directeur j'ai l'honneur de solliciter de votre haute bienveillance, est-ce qu'on peut dire Goldman avocat, Goldman parloir, Goldman extrait, Goldman dentiste, Goldman échange-fouille, Goldman passager-hôpital, Goldman visite médicale, Goldman prétoire, est-ce qu'on peut dire les femmes qu'on regarde du fourgon cellulaire, et qui tordent le plexus de douceur, de douleur, est-ce qu'on peut dire les revues pornographiques je veux pas oublier comment c'est fait un sexe d'une femme, est-ce qu'on peut dire l'humiliation de se masturber, est-ce qu'on peut dire la terreur de l'absence progressive de désir, d'érection, est-ce qu'on peut dire les avocates, bonjour maître, elle a un sexe sous sa robe, est-ce qu'on peut dire l'excitation des transports au Palais, avec escorte spéciale, réservés aux prévenus considérés comme dangereux, est-ce qu'on peut dire le regard des gendarmes, c'est un tueur, est-ce qu'on peut dire le regard des autres détenus, est-ce qu'on peut dire SHS, HS, MS, AS, DPS, Super Haute Surveillance, Haute Surveillance, Mœurs Spéciales, À Surveiller, Détenu Particulièrement Signalé, est-ce qu'on peut dire les durs qui reviennent du parloir brisés, éteints, silencieux, parce que leur femme ne viendra plus, est-ce qu'on peut dire les portes des cellules qui retentissent, la nuit, sous les coups furieux d'un détenu affolé qui n'en peut plus, est-ce qu'on peut dire les pendaisons, est-ce qu'on peut dire y'en a un qui s'est accroché il est mort en déchargeant, est-ce qu'on peut dire les promenades, est-ce qu'on peut dire les dimanches et les jours de fête, pas de courrier, pas d'avocats, pas de parloirs, rien, est-ce qu'on peut dire les matons, la haine et la sympathie, le mépris, l'estime, la méfiance, est-ce qu'on peut dire chef ça va pas en ce moment je deviens fou, est-ce qu'on peut dire l'amère chaleur et la chair de poule de ces misérables dialogues qui consolent, le soir, au moment de la fermeture des portes, après le courrier, avant la nuit, est-ce qu'on peut dire descendez de la fenêtre non j'ai le droit de respirer, est-ce qu'on peut dire la prochaine fois que j'vous prends à parler au tuyau j'vous aligne, alignez-moi si vous voulez vous voulez peut-être que je parle aux murs, est-ce qu'on peut dire le sang qu'on va donner quatre fois par an pour boire un quart de vin et respirer l'odeur des femmes, des infirmières, est-ce qu'on peut dire les cellules de Super Haute Surveillance, l'isolement, la solitude ? Est-ce qu'on peut dire la solitude ?"

(Lu par Lola Lafon, dans le "Book Club" d'aujourd'hui. Terrible et magnifique).
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Vint mai 1968. Il me semblait que les étudiants répondait dans les rues, à la Sorbonne, le flot malsain d'un symptôme hystérique. Sous des formes ludiques et masturbatoires, ils satisfaisaient leur désir d'histoire. Je fût choqué qu'ils ne prennent que la parole et s’en réjouissent. À l'action ils substituaient le verbe. Je fût choqué qu'ils mettent l'imagination au pouvoir. Cette prise de pouvoir était une prise de pouvoir imaginaire.
[…]
L'art du régime ne fut pas d'être violent. Il fut plutôt de savoir maintenir l'affrontement dans des limites pacifiques. J'espérais pourtant que de cette onanisme collectif, délirant, sortirait une situation révolutionnaire. La présence des ouvriers, leurs grèves, était en effet d'un ordre différent.
[…]
Il fallait donner au peuple une preuve de sang, substituer au discours indécent, qui suintait du quartier Latin, la démonstration éclatante d'une solidarité authentique ou serait scellée l'unité des étudiants et des travailleurs. Je pensais que l'acte central de la tactique gouvernemental était de maintenir à tout prix cette paix désordonnée, qui passait pour une guerre civile et à laquelle est contribué à donner cette fausse apparence.
Je fus regarder comme un fou, un mythomane.
Il m'arriva de traverser le quartier Latin au moment des tumultes les plus durs, et je m'amusais d'y voir les manifestants se prendre pour des combattants. J'allais, une nuit, à la Sorbonne. L'excitation qui y régnait me parut pornographique. Cette ambiance m’offusquait.
La mort d'un militant et l'assassinat d'un ouvrier n’entraînèrent aucune riposte appropriée. Dans les manifestations et les défilés, on hurla désormais : « où sont nos morts ? » Au risque de choquer, qui met d'ailleurs indifférent, je dirais que ce slogan m'inspire un dégoût profond. J'y voyais le signe de la nature infantile du mouvement étudiant. Il restait dans l'enfance politique, mais réclamait que son jeu fut pris au sérieux. Et que, du sérieux historique, on lui attribue les ornements distinctifs : des morts.

P. 74-76
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Je commençai à m'intéresser au propos des magistrats qui nomment l'instruction une "manifestation de la vérité". J'y vis un exercice philosophique dont l'enjeu était vital, voire mortel, ce qui lui donnait du sérieux, de la gravité : arracher la gangue d'apparences trompeuses qui occultait mon innocence. Je pris goût à la langue française dans la langue juridique et son obsession centrale : capter avec précision les objets, situations et faits qu'elle a pour mission de rendre clairs.
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Ainsi, dans cette vie, je me préserve de l'estime comme d'une chaleur visqueuse. Je crois que j'ai décidé de regarder passer le temps les yeux grands ouverts, d'attendre, simplement, qu'il passe, sans que rien vienne troubler le regard que sur ce passage blessant je porte. J'ai décidé aussi, et c'est un pacte avec deux amis, mais un pacte silencieux, de rater ma vie. Le désir de la réussir m'inspire un profond dégoût.
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Je partis, un soir. Ma mère vint à la gare, accompagnée de mon ami latino-américain. Quand le train s'ébranla, elle pleura doucement. Je ne l'ai plus revue et je crois qu'elle pensait qu'elle ne me reverrait plus. Que sa vie était faite d'hommes qui partaient vers la violence et y disparaissaient. Dans cette violence, elle avait été. Elle n'y était plus, sauf à s'en souvenir dans le deuil et à me voir telle une figure qui, dans le présent, surgissait de son passé. Pour la première fois je compris que j'aimais ma mère, cette femme, que j'étais son fils et que cet amour était de toujours partir et que notre proximité absolue était dans cette errance qui me séparait d'elle et où je la cherchais.
p. 61-62, Points Seuil 1975.
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Vidéo de Pierre Goldman
Son procès en 1976 a défrayé la chronique de l'époque, il était proche des intellectuels les plus importants de son temps, son assassinat a choqué la France et ses funérailles ont réuni près de 20 000 personnes en 1979. Pierre Goldman était une figure majeure de la gauche radicale de la France des années 1970 mais son histoire s'est quelque peu diluée au fil du temps. Jusqu'à aujourd'hui et la sortie en salle du Procès Goldman.
Le film de Cédric Kahn raconte spécifiquement son passage devant les Assises d'Amiens, devant lesquelles il a été acquitté du double-meurtre qui l'avait condamné à perpétuité en première instance. Mais sa vie ne se résume pas qu'à ce fait divers qui avait polarisé la France de l'époque. Personnalité trouble et complexe, fin écrivain pour une partie de l'intelligentsia française, révolutionnaire raté et bandit provocateur pour d'autres, le demi-frère de Jean-Jacques Goldman n'en finit pas de fasciner pour sa part d'ombre autant que pour son destin d'anti-héros.
#pierregoldman #jeanjacquesgoldman #leprocèsgoldman
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