Citations de Polo Tonka (30)
– Benjamin, entrer dans l’ordre, c’est mourir à soi-même. Sans nous, tu n’existes plus. Si tu refusais cette mission, nous te retirerions tes crédits de recherche. Tu te retrouverais à la rue. Mais tout cela ne te menace pas vraiment puisque tu me fais confiance et que tu vas accepter cette mission.
Le visage de Benjamin se déchira. Il était plus qu’ahuri. Consterné ! Un coup de tonnerre ébranla les vitres. La violence des mots s’intriquait à celle des éléments. Le ciel, qui était gris, devint ardoise.
– Comment avez-vous pu me faire ça ? s’indigna Benjamin. Moi qui voyais en vous plus qu’un mentor. Un père !
– Je t’en prie, rappelle-toi ton initiation. L’alchimie moderne ne façonne plus comme autrefois des outils extraits de la nature, aux capacités surnaturelles, mais des esprits supérieurs, capables d’éduquer les puissants de notre monde. C’est pour cela que l’on parle, en ce qui nous concerne, d’alchimie spéculative.
– Je sais tout ça, Roger…
– Benjamin, il y a certaines vérités qu’il faut toujours garder en tête. Éduquer les grands de ce monde, infuser dans la société nos idées et la valeur de notre foi, ne se passe pas sans tourments. Depuis plus de deux siècles nous sommes le ciment des sociétés démocratiques. La liberté des peuples est notre fruit ! Mais le processus initiatique qui fait de nous des êtres supérieurs passe par son lot d’épreuves et de sacrifices.
L’ambiance des lieux le saisit à l’intime.
C’était dû, devinait-il, à l’histoire que l’alchimie avait écrite en ces lieux, à la nature spirituelle des bâtiments, la grandeur des institutions, à leur pouvoir aussi, mais surtout, sans qu’il en comprenne le fin mot, à cet étrange monument pourpre dont il ne voyait que les flèches nombreuses qui fusaient de son toit, dissimulées en partie par l’entrecroisement des branches nues des arbres du jardin. Laissant la fontaine de côté, il longea le boulevard Saint-Michel jusqu’à ce que son œil croise par hasard un symbole perché sur une grille fermée du bâtiment de l’École des mines. Une tête caprine de Baphomet le dévisageait de ses yeux métalliques.
Il se demanda par quelle coïncidence un symbole si funeste pouvait bien se trouver sur les grilles d’un grand monument français. Était-ce là une manœuvre occultiste : dissimuler la belle et glorieuse vocation du Temple en lui donnant des airs de ténèbres ?
Un vent frais secoua son visage. Dix minutes de marche plus tard, il découvrit l’objet de son voyage : la fontaine des Quatre Parties du monde, entourée de jets d’eau. Derrière la porte d’entrée d’un square elle posait, cernée de tortues marines qui crachaient des geysers, de poissons courbés vomissant une eau épaisse, verdie, gonflée d’écume.
L’ambiance des lieux le saisit à l’intime.
– Mais je venais vous faire part de mes récentes trouvailles, et voilà que vous bouleversez de fond en comble toutes mes perspectives.
– Tu vas découvrir un autre toi-même, reprit Roger. J’ai tout arrangé pour que tu trouves rapidement tes marques. Ce sera une double mission. Quand tu reviendras, tu ne te reconnaîtras plus. J’ai déjà pris vos billets. Vous décollez demain.
– Qu’est-ce qu’une fontaine de l’ère Haussmann peut bien avoir de si intéressant ?
– Les lieux sont chargés d’histoire. Et puis, ne crains rien. Tu trouveras sur place de nombreux amis, notamment la directrice de l’École des mines.
– Ce sont des membres de l’ordre ?
– En quelque sorte, oui. Disons plutôt : un ordre frère. Allons, tu vas découvrir l’une des plus belles villes du monde. Il n’y a pas de quoi se plaindre.
– Me direz-vous tout de même par quelle autorité l’ordre se permet d’interférer dans mes recherches ?
– Quand tu seras sur place, tu comprendras. Nous t’offrons une expérience unique. Montre-toi digne d’un tel honneur.
Le visage de Benjamin se déchira. Il était plus qu’ahuri. Consterné ! Un coup de tonnerre ébranla les vitres. La violence des mots s’intriquait à celle des éléments. Le ciel, qui était gris, devint ardoise.
– Comment avez-vous pu me faire ça ? s’indigna Benjamin. Moi qui voyais en vous plus qu’un mentor. Un père !
– Je t’en prie, rappelle-toi ton initiation. L’alchimie moderne ne façonne plus comme autrefois des outils extraits de la nature, aux capacités surnaturelles, mais des esprits supérieurs, capables d’éduquer les puissants de notre monde. C’est pour cela que l’on parle, en ce qui nous concerne, d’alchimie spéculative.
– Je sais tout ça, Roger…
– Benjamin, il y a certaines vérités qu’il faut toujours garder en tête.
Un air mystérieux s’était emparé de son visage.
– Quelque chose ne va pas ? s’inquiéta Benjamin.
– J’ai une communication pour toi, chuchota Do’Haley. C’est, il glissa vers l’oreille de son protégé, c’est au nom de l’ordre.
– Il est inutile de me parler en secret, Ingrid est au courant de cet aspect de ma vie. C’est l’une des premières choses personnelles dont je lui ai fait part.
– Mille excuses, madame. Je ne savais pas.
Il se passe quelque chose derrière moi. Quel est ce bruit qui vient de la rue ? Les réverbères sont allumés. Il doit être environ deux heures du matin. Une réunion se préparerait-elle ? Je sens le sous-sol s’agrémenter d’une rumeur humaine, plus sourde que le métropolitain. Ils avancent dans la terre, ils convergent. Quel mystère m’est encore inconnu ? Quels symboles n’ai-je su interpréter ? Zodiaque, Hadès, les poissons des Herméneutes. Et les déesses des vases canopes ! Elles gardent mieux qu’un trésor. Elles gardent la salle où… Ce n’est pas possible. Il faut aller voir. Il faut à tout prix les en empêcher.
Combien de balustrades de vieux immeubles portent ostensiblement les symboles que nous utilisons pour nous faire connaître ! Pentacles, tridents, croix et roses ou serpents, monades hiéroglyphiques, acacias et rameaux enrubannés, jusqu’aux dieux païens stylisés, cachés dans des arabesques anodines.
Certains prétendent que l’éternelle Souwayz, devenue Suez avec son canal et sa compagnie, n’est rien d’autre qu’un palindrome intentionnel dissimulant Zeus et les mystérieuses ambitions de ses fondateurs.
L’Université de Chicago joue-t-elle double jeu ? Je n’ai pas assez d’éléments pour l’affirmer. Invisibles, ils sont toute une armée. À chacun de mes pas je les croise.
La nuit est tombée depuis longtemps. J’ai dû quitter mon appartement du boulevard Montparnasse. Les servants du prince me recherchent. Qu’ont-ils trouvé ? Je ne sais pas. La fontaine a certainement livré ses derniers secrets. Et dire que j’étais si près du but ! Et dire qu’elle était en grande partie la raison de ma venue !
Je m’appelle Benjamin Todd.
Que j’étais naïf quand je suis arrivé à Paris !
Mon maître m’avait expliqué : « Tu trouveras beaucoup de relations sur place, notamment à l’École des mines. »
D’un certain point de vue, il avait raison.
Parce que je suis membre de l’ordre du Troisième Pouvoir, beaucoup de portes se sont ouvertes devant moi. On dit de nous dans la capitale : « Paris est un livre ouvert à qui sait regarder, et eux, ils savent regarder. »
C’est on ne peut plus vrai !
La souffrance peut être un délice parce que le malheur est un sentiment plus accessible et plus reposant. Car une fois le malheur arrivé, il est facile à cultiver et, donc, procure une stabilité profonde au cœur de l'âme. Alors que le bonheur est beaucoup plus fragile. Il faut de durs efforts et beaucoup de patience et de sagesse pour apprivoiser le bonheur.
Un fou est plutôt un sain d'esprit qui s'ignore.
Ces déchirures intérieures permanentes sont plus éreintantes que le traitement chimique qu'elles imposent. Et Dieu dant qu'un neuroleptique peut être vécu comme un boulet. Ainsi puis-je me vivre seul quand ma famille m'entoure, m'imaginer en contact avec l'au-delà alors que je me crois athée, me penser génial et au même moment me savoir sot. Ainsi puis-je haïr et aimer à la fois, craindre et désirer une seule et même personne et croire en Dieu, en Satan, en ma double qualité de créature et de personnage de roman.
Il y a encore l'avenir, auquel je ne souhaite pas penser, sur lequel j'ai tracé de larges croix de pastel gras. Si mes parents devaient mourir, je serais seul au monde. Et on me dit qu'ils mourront un jour.
Alors je me cramponne à l'écriture et à ce brûlant espoir de me faire éditer un jour.
Jamais jusqu'ici je n'avais su mettre en mots cette intuition qui me pressait au coeur des côtés, cette peur de n'exister que par la volonté d'un autre.
Monsieur del Dongo, ce ne sont pas vos pensées qui sont dangereuses, mais l'état dans lequel vous les accueillez.
Ainsi, dans mes heures les plus sombres, l'adversaire devient partenaire et, du fond de la grisaille où la souffrance me transperce, il sait se faire tombeau. Une tomb, oui. c'est cette fonction qui me le rend si précieux. Quelqu'un à qui je peux dire ce que je cache même à Dieu.