Son père la détestait. Elle ne parvenait pas à se souvenir, de toute son enfance, de toute son adolescence même, d’une parole gentille venant de lui. Il l’avait toujours tenue pour responsable du décès de sa mère et ne le lui avait jamais pardonné. Perle savait bien que ce qu’il ne supportait pas non plus c’était qu’elle soit une fille : avec elle, le nom des Beaupuy allait s’éteindre. Mais elle n’y était pour rien ! Et rien ne l’empêcherait, si elle avait des enfants un jour, de leur donner son nom à elle !
Elle comprenait la rage de son père. Comment ne pas se révolter contre le destin, qui avait voulu que sa première épouse, sa mère à elle, meure d’une infection sans lui avoir donné de fils, et que la seconde, Colombe, ne soit pas tombée enceinte ?
— Une fille, reprit-il, amer. Voilà tout ce que ta mère m’a laissé. Une fille ! Qui va diriger l’entreprise ? Qui prendra la tête de la bijouterie ? Toi, peut-être ? Toi ? Une fille !
Lila avança encore un peu et apreçu un homme, à genoux sur le sol en train de vomir. Elle plissa le nez de dégoût mais l'observa : elle s'attendait à ce qu'il se relève mais il restait dans la même position, la tête baissée, immobile. S'était-il endormi ? Prête à repartir, Lila lui jeta un dernier coup d'œil et le vit s'étaler, le visage enfoui dans le sable souillé.
Seules les personnes les plus riches et les plus raffinées pouvaient réserver dans l’établissement, et Perle s’était laissé dire par ses collègues que la direction avait donné comme consigne de refuser les clients qui ne semblaient pas suffisamment distingués. Pour loger à l’Impérial, il fallait montrer patte blanche.
— Mais s’il ne s’occupe pas de son fils, pourquoi il veut en avoir la garde ?
— Il pense que ce sera pire avec sa mère.
— Et sa mère, tu l’as vue ?
— Non. La gouvernante de la maison dit qu’elle n’est pas venue rendre visite à Émile depuis plus d’un an.
— Pauvre gosse…
Un homme aussi superficiel que cruel.
Son père ne l’aimait pas. Il ne l’avait jamais aimée et se trouvait pris au piège : il n’avait pas pu la déshériter, comme il en avait toujours eu l’intention, mais il s’était arrangé pour retarder au maximum le moment où elle pourrait disposer de ses biens.
Perle savait qu’elle n’était pas jolie et qu’il serait plus raisonnable de sa part d’accepter la proposition inespérée qui lui était faite. L’idée de pouvoir enfin s’appuyer sur quelqu’un de solide et de respectueux la tranquillisait.
-… Elle est merveilleuse, n’est-ce pas?
-Certainement.
L’émotion serrait la gorge d’Adam. Oui. Rose était merveilleuse. Généreuse. Belle. Courageuse. Sensuelle. Son cœur se brisa. Il avait tout gâché.
-Jérémy…
-Sois sympa, Rose, arrête de pleurnicher. Imagine-moi en train de te sucer en pleurant, ça te plairait? Allez, va te coucher, décidément, tu n’es plus bonne à rien…