Une existence qui n'a pas connu l'amour est une existence vide, de plus en plus creuse à mesure qu'elle avance sur la ligne du temps. (P. 182)
Bien qu’elle ne fût pas belle, et qu’elle n’eût de distingué que le prénom, Halim Bensadek vit en Nabila Mihanik la fille de ses rêves, celle qui devait devenir sa femme. Il lui parla tellement de sa beauté, de son raffinement et de son intelligence qu’elle finit par y croire, et quand cette croyance se transforma en évidence elle se mit à changer, renonçant à sa manière timide de marcher pour adopter un maintien qui mettait en avant sa distinction et la beauté de son corps, tant vantées par Halim. Elle avait adopté deux nouveaux critères vestimentaires : tout devait être court et moulant. Aussi laissait-elle une marque étrange dans l’esprit des garçons quand elle en croisait. Ils la suivaient des yeux, dans le plus grand étonnement et le plus grand silence, chacun essayant de comprendre ce qui lui arrivait en la voyant. Au bout d’une ou deux minutes d’hébétude et de surprise, ils explosaient de rire. Un rire mêlé de commentaires du type : “Qu’est-ce que c’était ? Me dis pas que c’était une fille !”
Sans doute exagéraient-ils, elle n’était pas si laide. Il est vrai qu’elle n’avait ni la poitrine, ni le fessier, ni les cheveux longs, ni la délicatesse qui auraient permis de la prendre pour une femme, et pourtant elle était incontestablement de sexe féminin. Sinon, comment sa mère aurait-elle pu savoir que c’était une fille ? Et comment Halim Bensadek aurait-il pu la reconnaître en tant que telle et tomber amoureux d’elle ?
- Et pourquoi fais-tu tout ça ?
- Parce qu'on était des amis de débauche et que j'aimerais bien qu'on devienne des amis de vertu.
Dieu n'a pas fait les religions pour favoriser certains hommes aux dépens d'autres. Son intention n'était pas de distinguer un peuple élu ou détenteur de la vérité, ni d'invalider des religions antérieures, mais bien de sauver l'homme du néant, de son orgueil et de sa volonté tenace de devenir lui-même Dieu.... (P. 110)
À vrai dire, c’était la première fois qu’il réussissait à dépasser son blocage avec les femmes car, à trente ans révolus, il n’avait jamais rencontré une seule fille, et ce n’était pas par austérité religieuse mais parce qu’il était simplement incapable de franchir le seuil du “Bonjour” dans une conversation avec une personne de sexe opposé. Dans sa quête acharnée visant à rencontrer et à sortir avec une fille, il avait renoncé à tout ce que peut exiger un beau jeune homme d’une femme, il avait exclu de son dictionnaire des mots comme “beauté”, “intelligence”, “distinction”… “Lumière” ou “couleur” ont-ils même un sens quand on est aveugle ? Malgré ses renoncements répétés, il continuait à avoir autant de chances avec les femmes qu’une prostituée a de la pudeur. Il en maudissait le jour où il avait eu sa première éjaculation.
Dès qu’il la rejoignait, il la prenait comme une bête, la tirait par ses cheveux couleur des blés et la traînait par terre. Elle poussait parfois des couinements de plaisir, des râles de douleur, plus souvent. Cette bestialité lui plaisait, elle l’y incitait :
— C’est tout ce que t’as ? Femmelette ! Porc… Chien… Pourriture…
Alors il la giflait violemment, parfois il la frappait à coups de pied, et elle ne se départait pas de son sourire, ce qui attisait sa colère à lui, et son sérieux. Il lui crachait dessus… mais elle se remettait à l’insulter et à le rabaisser jusqu’à ce qu’il la prenne à la manière d’une chienne.
— Oui, je suis une chienne, lui disait-elle. Tu fais de moi ta chienne, j’aime ça.
De toute manière cette nation est maudite, cette terre grisonnante n'a jamais trouvé un homme qui l'aime et qu'elle aime, un homme qui saurait la convaincre de ne plus écarter les cuisses devant le premier venu. Avec le temps elle a réussi à oublier qu'elle se fait violer depuis des dizaines d'années par le même type, elle a oublié le dégoût que celui-ci lui a inspiré dès le début. Le temps joue en faveur du violeur. Il peut donner à son acte toutes les apparences de la légitimité. Il peut même transformer cette histoire sordide en une belle histoire d'amour digne d'être racontée. (P. 152)
Pour être sûr d’entrer dans la légende, il avait écrit une lettre où il expliquait les raisons de son geste, et cette lettre, il se l’était envoyé, à sa propre adresse. Il estimait qu’elle mettrait au moins une semaine à arriver, il ne restait plus que quatre jours. L’idée était d’amener les journaux à parler deux fois de lui : une première fois quand ils évoqueraient son tragique suicide, et une seconde pour rendre compte de l’apparition de cette lettre qui viendrait en clarifier les raisons. Ce serait comme une missive venue du fond de son tombeau, portée sur les ailes de la mort.
Il n’était plus que l’ombre d’un mec maintenant, le souvenir de l’homme qu’il avait été : kif et alcool avaient ravagé une partie de ses capacités cérébrales, Nissa Bouttous et son père s’étaient chargés du reste.
Ce fut lui qui apprit à Nissa ce qu’est la prédation, ce que c’est qu’être une proie déchiquetée par son propre désir, qui lui apprit à être une femme insatiable, puis une pute. Tel fut-il, dans un passé proche, mais ce n’était plus à présent qu’un vague souvenir de virilité. Au mieux, la moitié d’un homme que l’abus de shit, de tabac, d’alcool et le peu de sommeil avaient rendu pareil à n’importe quel homo du quartier, qui ne pouvait avoir un début d’érection sans perdre aussitôt connaissance. Même sa chérie, Nissa, finit par se désintéresser de lui...