Jouir de
Sarah Barmak
Grâce à la pornographie, nous avons également appris à mobiliser en priorité la vue au moment des rapports sexuels, et ce au détriment des quatre autres sens, tant et si bien que les stimuli érotiques reçus par le toucher et le goût perdent de leur influence. Et nous l'avons fait avec tellement d'application que certaines personnes en oublient tout bonnement que le sexe n'est pas un acte principalement visuel. S'il doit être classé, il s'apparente sans doute bien davantage à un acte de toucher à l'aveugle, à un dialogue entre masses et postures, positions et textures, zones humides et sèches, convexe et concave. C'est l'animal en nous qui s'éveille, ses sens qui s'aiguisent, sa vue qui se brouille et ses yeux qui se ferment, ses mollets qui se tendent, sa poitrine qui s'élargit. C'est le sang dans nos veines qui se met à gronder. La vidéo nous empêche de vivre le sexe de manière profonde. Ce qu'elle nous offre, c'est du safe sex, du sexe protégé, qui se déroule dans un laboratoire cérébral exempt de toute vulnérabilité, loin de l'espace instable qui s'insinue entre deux corps humains. C'est du sexe flanqué de termes comme "haute définition", "amateur" ou "caméra cachée", qui cherchent à donner à l'affaire un semblant de vérité et l'illusion de l'immédiateté. Mais, ce sexe-là, il ne prépare ni les hommes, ni les femmes à la rencontre avec un être humain, un être vrai et vulnérable. Il ne les prépare ni à se révéler dans leur corps imparfait, ni à se délecter de tous les plaisirs que ce même corps imparfait peut leur offrir.
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