La vérité, comme la mort, vous rattrapait toujours à un moment ou à un autre et elle était rancunière.
— Monsieur Paulsen, si vous vous en sentez capable, je souhaiterais que vous répondiez à quelques questions concernant la nuit dernière.
— Pas de problèmes. Mais je ne vous promets rien. Un tiers de mon cerveau a été dévoré par l'alcool, un autre est rempli d'images de Naomi Campbell et j'ai bien peur que le salopard qui m'a frappé ait endommagé le dernier tiers. Mais essayez, on ne sait jamais...
— Vous êtes toujours aussi drôle après avoir frôlé la mort ?
— Tout à fait ! Je mets un point d'honneur à améliorer mon sens de l'humour après chaque agression fatale. Je compte bien me marrer autant que possible !
— Espérons que cela ne se reproduise pas, alors !
- Arrête ! Tu te moques royalement de mes intérêts ou de ceux de qui que ce soit, car sinon, tu aurais traité tes éditeurs et ton agent avec un peu plus d'égards. Tu n'en as rien à faire de ce que ton comportement a fait à ma carrière, tu as juste besoin de moi. On n'est plus sur le même bateau depuis longtemps. Moi, je suis sur ce foutu rafiot qui tente d'avancer, mais toi, tu es une espèce d'algue dégoûtante au fond de l'eau qui retient tout ce qui passe et l'entraîne au fond pour le noyer. Il est hors de question que je me noie avec toi, Gab, alors arrête de m'appeler !
Gabriel n'écoutait déjà plus les conversations qui l'entouraient. Il était absorbé par la vue qu'il avait derrière la vitre de la voiture. Pour une raison qu'il ne s'expliquait pas, il avait la désagréable impression que quelque chose n'allait pas ou n'était pas à sa place, mais il n'aurait su dire quoi. Il n'était pas quelqu'un de superstitieux, il n'aurait jamais pu faire son métier s'il l'avait été. Or cette impression ne l'avait pas quitté depuis qu'il était descendu du ferry et il n'aimait pas cela, d'autant plus que la vie lui souriait enfin à nouveau.
- Quoi de neuf, Madame Bell ? J'ai l'impression que vous êtes plus jolie que jamais, vous avez fait quelque chose pendant mon absence ?
- Monsieur Paulsen, vous êtes incorrigible ! dit la vieille femme, pince-sans-rire. Je suis bien trop vieille pour me laisser embobiner. J'en ai connu de plus retors que vous !
- Je ne vous crois pas ! Je suis le plus coriace d'entre tous, je vous aurai à l'usure.
Elle éclata de rire.
Gabriel avait longtemps fait comme eux, il recueillait des légendes urbaines et des manifestations surnaturelles dans les maisons hantées, mais lui n'y croyait pas un seul instant. Il s'en inspirait largement pour écrire ses romans fantastiques. C'est tout. Mais les chasseurs de fantômes filmaient en général de prétendus phénomènes paranormaux pour des émissions de seconde zone très populaires ces dernières années.
« Voilà ce dont il avait besoin. Un but à atteindre. C’était tout. Gabriel avait le coeur un peu plus léger à cette pensée. Il savait ce qu’il lui restait à faire. Il devait se motiver et surtout se débarasser de cette horrible gueule de bois qui retenait ses idées dans une sorte de coton douloureux. Et pour y remédier, il n’y avait qu’un endroit… »
Gabriel s'exhorta à ne pas s'affoler, ou en tout cas pas davantage, car il savait pour l'avoir écrit dans la totalité de ses livres, quand on panique on devient stupide et quand on devient stupide, c'est le début de la fin.
Vivre avec Martin, c'était comme vivre avec une agrafeuse. Barbant, mais utile. Oui, car il fallait reconnaître que Martin effectuait sa part du ménage et parfois (souvent) un peu plus, et puis il payait le loyer à temps.
Il adorait écrire, c'était sa façon de comprendre le monde, de la fuir aussi !