Sébastien Destremau

C'est brutal, l'amour, quand ça vous tombe dessus. Presque autant que lorsqu'il vous tourne le dos.

C'est beau, l'aventure. Ça n'a aucune utilité. Ça ne mène nulle part, si ce n'est à côtoyer la pureté et l'innocence des premiers jours du monde.

Je n'ai aucune idée de quoi demain sera fait. C'est à la fois mon moteur, et mon fardeau.

A moi de décider. La mort dans l'âme, c'est toujours mieux que la mort tout court.

Ma cuisine se résume à une petite bouteille de gaz plaquée contre une cloison. On a laissé du jeu dans les fixations pour que ce mini réchaud puisse épouser les mouvements du bateau. Une franche réussite : il se balance tellement que, dès que j'allume le gaz, j'ai peur de foutre le feu à ma cabine. Et quand j'ai fini de réchauffer ma soupe, il en reste autant dans ma casserole qu'il y en a sur les murs alentours.

Je ne compare pas Marine aux mères de mes enfants. Je dis simplement qu'un tour du monde à la voile, c'est le Club Med à côté de la vie conjugale. J'ai besoin de rentrer chez moi - et je suis chez moi partout et nulle part - et de savoir que je peux faire ce que je veux, quand je veux, où je veux. Que personne ne me dise "Tu peux aller chercher du pain ? Tu as pensé à sortir la poubelle ?" C'est ma liberté. Elle m'a coûté beaucoup. Mais c'est tout ce que j'ai.

Sûrement qu'il y a des jours où tout me manquera et les heures s'étireront à l'infini. Peut-être même que je vais m'ennuyer, par moments. Ça ne me dérange pas. C'est bien de s'ennuyer. Aujourd'hui, tout le monde a peur de s'ennuyer. Même les enfants, on les suroccupe pour éviter qu'ils passent leur temps à rêvasser. Mais c'est quand il rêvasse qu'un enfant devient créatif! Il prend un bout de papier, un bout de bois, il va s'inventer un jeu, il va s'inventer un monde. Je suis prêt à m'ennuyer. J'ai envie d'imaginer des choses, de créer des histoires. Moi aussi, je veux m'inventer un monde...

Je ne suis riche que de ma folie.

En m’éloignant de tout, j’ai la sensation paradoxale d’approcher au plus près la vie réelle.

je me sens tout petit. Et c’est ça qui est grand

j’ai compris qu’il n’y avait pas de meilleure façon de me retrouver que de me perdre en mer.

Impossible d'écrire quoi que ce soit de sensé durant ces deux dernières semaines. Je n'ai quasiment pas trouvé le sommeil. J'ai mis le bateau à l'arrêt une bonne dizaine de fois, j'ai fait des ronds dans l'eau pour caler mes capteurs d'angle de barre, j'ai passé mes jours et mes nuits dans le placard obscur situé au sous-sol du pont arrière. J'ai vissé, dévissé, vidangé, scié, colmaté, bidouillé. J'ai transformé du douze volts en vingt-quatre vols, et du vingt-quatre volts en cinq volts. J'ai branché et j'ai court-circuité. Puis, j'ai repris de zéro, j'ai écouté Jean-Gui, je n'en ai fait qu'à ma tête, j'ai hurlé ma joie, pleuré ma rage, j'ai invectivé mes outils, mon batau, le Terre entière : rien n'y a fait. Mon cerveau m'a soufflé toutes sortes de solutions qui jamais ne marchaient.

C'est beau, l'aventure. Ça n'a aucune utilité. Ça ne mène nulle part, si ce n'est à côtoyer la pureté et l'innocence des premiers jours du monde.

Je suis le dernier. Le dernier des dernier. Je ne sais même pas si les lampions seront encore allumés pour mon arrivée aux Sables-d'Olonne. Je m'en fiche. Je m'en suis passé pendant quatre mois. Ce n'est pas après ça que je cours. C'est quand l'obscurité tombait et que ma vie défilait que j'ai compris ce que j'étais allé chercher si loin, si seul. Là-bas. Au sud du sud. Et tout au fond de moi-même

Ça fait combien de temps que je campe dans ma tour d'ivoire? Je n'ai pas attendu d'être sur mon bateau pour me couper de tous ces gens que j'aime. Je regarde au loin l'immensité qui s'étale à perte de vue. Ça fait combien de temps que je suis seul au monde?

Je ne cours pas contre les autres mais contre moi-même.