Pluie sur le toit de zinc
Depuis ma plus tendre enfance c’est la même sonorité
Les gouttes de pluie qui ricochent sur les branches de mélèze
frappent le toit par intermittence de petits martellements secs
Ce bruit n’a pas la moindre ressemblance avec de la musique,
c’est en cela qu’il m’est doux
J’ai apporté les fleurs dans la petite maison que mon père a fait bâtir il y a soixante ans,
pour les disposer dans un pot de faïence blanche rafistolé avec du fil de fer
Après ma mort j’aimerais bien me souvenir de la trame de ce jour
Une fois que j’aurai oublié tous les mots
Les prés qui grimpent en pente douce vers les montagnes sont parfois sillonnés d’étroits sentiers,
et entre les arbustes ça et là des fleurs sont ouvertes
Vues de loin elles n’attirent pas le regard,
mais quand on s’en approche pour les cueillir elles sont toutes d’une beauté délicate
Le chemin qui mène à Kurabuchi
Le chemin qui mène à Kurabuchi est tout de lacets et de courbes
Au nord une suite de petites montagnes,
au sud le cours d’une rivière qu’on devine dans un bruit d’eau
Solitaire
Quand j’écoute la Pavane pour une infante défunte,
je me demande si je n’aurais pas mieux fait de vivre toujours tout seul
Et je me vois cuire des pancakes à la farine de sarrasin,
les arroser de sirop d’érable
et les manger, tout seul
Des amis ? Je n’en ai aucun
Et bien sûr ni femme ni maîtresse
Je ne me souviens pas du nom d’un seul de mes cousins
Si je ne déteste pas aller sur la tombe de mes parents,
c’est parce que tous les deux sont morts
Vais-je donc me masturber
Vais-je plutôt me payer une fille
Allons-nous faire ça sans relâche jusqu’au matin
dans toutes les positions possibles ?
Je n’ai fait que poursuivre des papillons de mots splendides,
rien d’autre
Gamin ignare
Mon âme de nouveau-né,
toujours candide au point d’ignorer qu’elle a blessé les autres,
s’achemine vers le chiffre cent
La poésie ?
Ridicule !
Quarante ans d’écriture incessante avec mes versets pour seul appui
Si l’on me demande : « Au fait, tu fais quoi dans la vie ? », « Poète » est la réponse la plus rassurante
Cela dit, c’est curieux
Quand je larguais une femme est-ce que j’étais poète ?
Quand je mange les patates grillées que j’aime, est-ce que je suis poète ?
Des hommes d’entre deux âges comme moi, poètes ou non, on en trouve à la pelle
Près de mon lit le téléphone, lien terre à terre avec le monde,
mais je n’ai envie de parler à personne
Ma vie ? Du plus loin que je m’en souvienne, des occupations à ne plus savoir qu’en faire
Ni mon père ni ma mère ne m’ont appris à parler de la pluie et du beau temps
L’extrémité de mes pieds me semble étrangement loin de moi
Mes cinq orteils comme cinq inconnus qui n’auraient jamais été présentés
se serrent, faussement indifférents, les uns contre les autres