Simon R Green interviewed at C2E2
Quelle horreur si nous ne retenions du don de la vie que les meilleurs façons de détruire et de tuer !
- Et vous, capitaine ? En quoi croyez-vous ?
- L’argent, la bière fraîche, et une hache au tranchant affûté. (Hawk garda le silence un moment avant d’ajouter.) J’ai été élevé en chrétien, mais c’était il y a bien longtemps.
- En chrétien ? (Le sourcil de Dannielle se souleva.) Enfin, il faut de tout pour faire un monde.
— Ceux-là risquent de ne pas apprécier.
— Ouais, admit Taggert. N’est-ce pas malheureux que tous ces riches nobles et courtisans aient parfois à subir un léger désagrément, comme nous autres, les gens ordinaires ?
Elle adressa à Doyle un large sourire puis s’éloigna et le laissa à son devoir ; le sourire flotta sur ses lèvres un court moment. De temps à autre, elle prenait de petites revanches sur les nobles pour toutes les fois où ils les avaient raillés, elle et son père, sous prétexte qu’ils ne possédaient pas de sang. Le tout pour l’amour du devoir bien fait, bien sûr…

— Incroyable, dit Fisher en secouant la tête. C’est Félicité qui est devenue reine de la Forêt ? Cette catin ? Il n’y a ni Dieu ni justice…
— Je crois comprendre que vous ne vous entendiez pas ?
— J’ai eu des mycoses plus agréables. Félicité était, et a dû rester, une saloperie de la pire engeance, sans aucun principe et encore moins de scrupules. Elle a fait tout ce que j’ai fait, et sans doute bien pire, et n’a jamais été inquiétée le moins du monde. La plupart du temps, elle se débrouillait pour faire porter le chapeau à quelqu’un d’autre, et les conséquences avec. Moi, parfois. Elle a couché avec tout ce qui respirait, a comploté avec n’importe quelle personne assez sotte pour lui faire confiance, et n’a jamais travaillé de sa vie. Elle avait des serviteurs qui la suivaient, au cas où elle ferait tomber quelque chose.
— Eh bien… Harald et elle avaient beaucoup de points communs, on dirait.
— C’est une femme vile, malfaisante et repoussante ! Elle n’est pas plus apte à régner sur le Royaume de la Forêt que l’un des Quatre Cavaliers de l’Apocalypse. Et encore, ceux-là feraient sans doute moins de mal, à long terme.
- La Cause est très bonne pour les réformes politiques, mais la structure sociale a encore de belles années devant elle.
- J’aimerais bien lui réformer la structure, moi, murmura Fisher. De préférence à la masse.
J’aurais dû faire ça des années plus tôt. Mais les affaires me prenaient tellement de temps, je n’ai même jamais eu l’occasion de me marier, ni de m’amuser. Mais quand j’ai appris que j’allais mourir, tout est devenu limpide. Pourquoi passer sa vie à gagner de l’argent, s’il faut tout laisser à des parents ingrats ? Alors j’ai tout dépensé pendant que je le pouvais. Ça, je ne me suis privé de rien. Vers la fin, je me suis même demandé si la fête n’allait pas me tuer avant la maladie. (Appleton soupira, satisfait.) Je me suis plus amusé en mourant qu’en vivant.

C’était le printemps à Haven, et tout le monde s’en fichait. Partout dans le monde, l’heure était à l’amour, à la vie et au renouveau – une renaissance joyeuse pour tous les êtres vivants. Partout, sauf à Haven, la fameuse pomme pourrie des Bas Royaumes, cité sombre et retorse au fin fond des terres du Sud où épées et sorcellerie, religion et politique, vie et mort étaient autant de denrées dans le commerce quotidien. Sise à l’intersection d’une dizaine de routes commerciales florissantes, la cité-État de Haven avait prospéré au fil des ans, comme la grande fleur splendide d’une plante vénéneuse, et toutes sortes de gens ou de créatures venaient y chercher secrets et mystères. On trouvait tout, à Haven, si on était disposé à payer le prix – qui se comptait en or ou en vies, et comprenait presque toujours votre âme. Haven – la ville de tous les rêves, mais surtout de tous les cauchemars. Un endroit de merveilles et d’horreurs, et de tout ce qui se trouvait entre les deux. Des yeux affamés vous observaient depuis l’ombre des ruelles. Pas toujours humains. Pas toujours vivants.
— On applique la loi.
— Et la justice, on en fait quoi ?
— On est à Haven. Et puis la loi est censée permettre la justice.
— Et quand ce n’est pas le cas, à cause des pouvoirs qui possèdent la loi et les tribunaux ? Que fait-on ?
Fisher le regarda, exaspérée.
— Tu connais déjà la réponse, Hawk. On fait ce qu’on peut, quand on peut, et on espère que personne ne nous verra enfreindre ou contourner la loi pour rendre justice.
— Ça ne suffit pas, Fisher. Loin de là.

- Vous étiez le conseiller politique de Blackstone. Nous avons beaucoup entendu parler de ses nombreux ennemis, mais jusqu'ici personne n'a été fichu de nommer, déclara Hawk. Et vous ?
Dorimant haussa les épaules.
- Ce n'est pas un secret, capitaine Hawk. Il y a Geoffrey Tobias, qui représentait les Hauteurs au Conseil avant que William s'empare de son siège aux dernières élections. Les frères DeWitt, qui perdront beaucoup d'argent si le projet de loi de William est voté. Ils possèdent des biens immobiliers sur les docks ; leurs bâtiments sont dans un état lamentable, ils n'ont ni l'argent ni le désir d'effectuer les réparations qu’exigera la nouvelle loi. Il y a également Hugh Carnell, le cehef des Conservateurs : un vieux bougre acariâtre, mauvais comme une teigne, qui déteste les changements en général et les changements instaurés par William en particulier. Je pourrais continuer longtemps comme ça, mais pourquoi me donner cette peine ?
— Qu’est-ce que ça fait d’être le champion du roi, Gawaine ?
— À mon âge, c’est plutôt risqué, répondit sèchement le chevalier. Non que je ne sache apprécier l’honneur qui m’est fait, mais j’aurais pu me contenter d’un rôle moins dangereux, comme de collecter les impôts d’une seule main, ou de combattre un dragon avec les bras liés dans le dos.