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Citations de Slobodan Despot (68)


Il est des pays où les autobus ont la vie plus longue que les frontières.
La succession de crises qui avaient frappé la Yougoslavie avait ôté à cet humble serviteur de la ligne 67 tout espoir de relève. L’éléphant métallique attendri par la sueur des corps, humanisé par l’usure, finit par exhaler son âme dans un crissement sinistre, à mi-course de la rocade autoroutière reliant les cités nouvelles de la plaine à la ville historique étirée sur son rocher. Les passagers, deux fois plus nombreux que le véhicule n’en pouvait accueillir, en prirent acte sans énervement. Les visages, jusqu’alors absents et figés comme dans un ascenseur, se détendirent, et la grappe de pendulaires se transforma soudain en une graillante réunion de famille. On pesta un peu contre les transports urbains, les Nations unies, le gouvernement ou le destin, puis l’on descendit s’adosser aux glissières de l’autoroute et fumer en attendant la dépanneuse.
Une femme se détacha du groupe et s’éloigna d’un pas vif en direction de la prochaine bretelle. Pour la plupart de ses concitoyens, un kilomètre de marche à pied relevait de la performance sportive et nécessitait sans doute une tenue appropriée. Cette personne déterminée n’aimait pas le fatalisme désinvolte tenant lieu de sens commun sous ces latitudes. Telle est la deuxième des trois circonstances qui auront concouru à susciter cette histoire — la première étant, bien entendu, la panne providentielle, quoique non improbable, de son autobus.
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Lynyrd Skynyrd. Sweet Home Alabama. Un morceau qui avait bercé son adolescence, et qu'il n'avait plus entendu depuis. En un instant, comme à l'heure dernière, il revécut toutes ses vacances d'été vagabondes, sous les tentes et dans les pins. On sautait avec trois sous en poche et le sac au dos dans des trains bondés pour n'importe quelle destination côtière, on se rassemblait au coin du feu autour de mauvaises grattes, on chantait faux des chants d'ici et d'Amérique. On était en Yougoslavie, un pays sûr, décontracté, prestigieux. On était non-aligné, ouvert au monde entier. On allait partout et sans visa. La jeunesse y faisait ce qu'elle voulait... Cocagne! Et lui, maintenant, il roulait sur cette autoroute déserte avec ce chien de garde qui allait peut-être le fusiller tout à l'heure, juste à cause de son origine.
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Slobodan Despot
PASSAGER CLANDESTIN: Jean-Blaise Reuge
Le réchauffement climatique menace les
ours polaires (mais surtout la littérature)

Les «bonnes causes» ont tout envahi. La politique, les médias, les milieux culturels. Le réchauffement climatique n’a qu’à bien se tenir. La littérature
aussi. Lequel des deux sera le premier éliminé?

On peut assez sûrement définir l’idéologie dominante comme l’ensemble des idées et croyances à propos desquelles il est dangereux d’exprimer une opinion dissidente. Par rapport à d’autres définitions de l’idéologie dominante (en termes de rapports de classe, notamment), souligner la notion de danger a l’avantage d’être directement compréhensible par chacun, de se rapprocher des effets de l’idéologie sur l’individu et son corps, d’accentuer le caractère brutal du phénomène considéré et surtout de permettre immédiatement de distinguer ce qui appartient à
l'idéologie dominante de ce qui relève d’autres systèmes minoritaires d’idées en compétition. La nature de ce danger peut varier, quoique de manière limitée, selon les époques et les régimes : en tous les cas, il implique un péril pour la vie. Risque de mort physique et expéditive, notamment en temps de guerre ou dans le contexte de régimes politiques très autoritaires. Risque de mort sociale par les attaques contre la réputation, le bashing, le shaming, les pressions contre l’employeur et autres techniques de cyberbullying
visant à exclure l’individu aux idées problématiques du corps social et lui retirer toute possibilité de subvenir à ses besoins, dans le cadre de nos régimes occidentaux post-démocratiques (laissons ici le débat sur la nature de ces régimes: post-démocratie, totalitarisme inversé, oligarchie de fait, démocratie illibérale, démocrature, etc.). À partir de ce critère de danger objectif, nous pouvons faire émerger les contours de l’idéologie dominante contemporaine, sortes de métacatégories, reliées entre elles par des liens plus ou moins explicites, en un système de pensée (lequel n’exclut pas l’émergence de contradictions, qui sont autant de points d’entrée pour qui entend analyser l’ensemble). Sans prétendre à l’exhaustivité mentionnons ainsi, et sans ordre particulier : croyance en un réchauffement climatique conséquence de l'activité humaine (réchauffisme), LGBTisme et négation du sexe biologique, COVIDisme, croyance en l’agression injustifiée et gratuite de l’Ukraine par la Russie, néo-féminisme agressif et victimaire. En l’état actuel des forces sociales, ces catégories constituent les cinq piliers de l’idéologie dominante occidentale en ce sens qu’il est dangereux pour tout un chacun, en particulier pour un individu jouissant d’une position de pouvoir (économique, politique, culturel, religieux, etc.), de prendre le contrepied du discours dominant, de ne pas avoir, sur ces objets, l’opinion que l’on se doit d’avoir.

Les exemples de ce que les médias de grand chemin, à la fois producteurs et amplificateurs de l’idéologie dominante, appellent dérapages, c’est-à-dire des prises de position jugées non conformes à l’idéologie dominante, sont révélateurs: il est à la fois fascinant et terrifiant de voir la manière avec laquelle des personnalités ayant franchi la ligne jaune, que l’on qualifiera ensuite de controversées, sont passées à la broyeuse sociale, bien souvent sans chance de sortir indemnes d’un combat contre un adversaire à la fois puissant, sans visage et parfaitement immoral. Fort logiquement, s’il s’avère dangereux d’opposer un contre-discours à l’idéologie dominante, le fait d’appuyer, servir et défendre celle-ci permet d’obtenir un certain nombre de gratifications et avantages. Avantages matériels parfois, par exemple
sous la forme d’un emploi dans le pléthorique et très subventionné secteur de la «transition énergétique», dans le «culturel», dans l’administration de quelque municipalité de gauche ou sous la forme d’un mandat électif, mieux payé, plus
prestigieux et moins contraignant qu’un vrai emploi obtenu à la régulière sur le marché compétitif du travail. Avantages et gratifications plus symboliques, mais non moins réelles, le plus souvent : invitations à prendre la parole, honneurs, récompenses et autres prix, courbettes et sentiment rassurant d’œuvrer pour le camp du bien.

Venons-en à la littérature. On voit apparaître depuis quelque temps sur les rayons des derniers libraires — le fait s’amplifie à mesure que s’amplifie le matraquage idéologique — une production nouvelle et qui prétend empoigner les métacatégo-
ries dominantes dans une démarche artistique.

Antipresse, n°401
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Il est des pays où les autobus ont la vie plus longue que les frontières.
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A mesure que les anciennes républiques fédérées se détachaient, dans le sang ou non, je réduisais mon parcours. Les lieux sécessionnistes, je les évitais désormais : ils m'inspiraient une sorte d'aversion.
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Même les livres, sur l'étagère, lui étaient familiers. Les classiques du marxisme qu'on avait oublié d'enlever comme on avait omis de les lire. Ce Lounatcharski, qui était-ce déjà ? Et Ilya Ehrenbourg ? Peut-être avait-il écrit des choses valables, malgré tout ? Comme partout, il y avait tout Andrić, Krleža, Thomas Hardy et le complet Pearl Buck, en serbo-croate : le trésor commun d'un grand pays qui s'était volatilisé en quelques mois. Et puis des couvertures en slovène, plus neuves, plus clinquantes. Il ne comprenait plus les titres. La Yougolavie était reliée de toile passée, brune ou marine. La Slovénie nouvelle, brochée et glacée. C'était dans l'ordre des choses.
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Ses yeux s'emplirent d'un bleu oublié depuis tant d'années : le bleu adriatique, plus bleu et plus dense à la fois que tous les bleus de la terre ! Les maquis descendaient vers la mer électrisée par la bora comme des troupeaux de moutons confluant vers l'abreuvoir.
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- La Serbie ? Rien. Elle s'est frappé la poitrine, elle a envoyé promener le monde entier. Mais elle nous a lâchés en un clin d'œil. Je ne voyais pas venir autre chose, de toute façon. Les gens ne savent plus rien faire pour autrui. Même pas mourir.
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- Pas étonnant, ils avaient derrière eux l'Allemagne, le Vatican, les Etats-Unis..
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Il était de leur sang, de leur tribu : raison suffisante pour finir comme eux sous ce régime grotesque qui s'obstinait à rejouer son passé dans une mascarade sanglante sur laquelle le monde entier fermait les yeux.
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Il était jeune instituteur dans la Krajina, en 1941, lorsque le Royaume de Yougoslavie éclata et que les Croates, déjà, raccrochèrent leur train d'indépendance au train de la puissance du moment, le III°Reich. Tandis que les Serbes, eux, repris par leur folie habituelle, s'étaient mis en tête de faire dérailler à eux seuls ce même train blindé qui venait de soumettre toute l'Europe. Le 27 mars 1941, un groupe d'officiers avait destitué le régent qui avait osé pacifier avec l'Axe.
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Il l'avait déjà connu une fois, cet abandon. C'était même pour ne plus jamais le revivre qu'il s'était peu à peu éloigné de la société des hommes, leur préférantcl'honnête indifférence des abeilles.
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Jasenovac, c'était le célèbre centre de concentration croate où les Oustachis, durant la Seconde Guerre mondiale, avaient massacré à l'arme blanche des populations entières de Serbes de la Krajina et de Bosnie. Chaque famille, dans la région de ses racines, avait vu quelqu'un des siens finir à Jasenovac. Les néomartyrs. C'étaient le nom que donnaient à ces malheureux les prêtres orthodoxes, évoquant une ville entière engloutie dans les fosses et le limon de la Save. Un afflux de Chrétiens suppliciés comme le monde n'en avait, soulignaient-ils, jamais vu depuis deux mille ans.
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Le ton affecté des voix signalait les émissions croates. Qu'il s'agisse de cuisine, de vie pratique ou de sport, tout servait de prétexte à une célébration de la culture "européenne" menacée par la rustrerie des serbo-communistes d'outre-Danube. Les animateurs s'appliquaient à parler la langue nouvelle que l'Etat avait promulguée afin de marquer les distances d'avec l'idiome serbe. Le mot "Europe" dans leur bouche sonnait comme une damnation pour tous ceux qui n'en étaient pas.
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Les noms qu'il avait lus sur la carte et qu'annonçaient peu à peu les panneaux - Erdut, Dalj, Borovo, Vukovar - lui étaient aussi familiers que celui de sa propre rue. Or il n'avait jamais mis les pieds en ces lieux, ni même dans toute cette campagne comprise entre Save et Danube.
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Ils roulaient dans la plaine slavonne entre deux allées de peupliers embrasés par le couchant, avec le Danube immense et invisible sur leur gauche.
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Durant le trajet depuis le centre ville, il l'interrogea sur son père et sur le sort de ses proches en Krajina, répandit son mépris sur les "nazillons " croates et fustigea le gouvernement d'Eltsine pour avoir trahi les frères serbes.
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Les enfants de Nikola K. n'en revenaient pas. A quoi servaient-ils, tous ces organismes aux noms mystérieux dont les drapeaux flottaient dans les rues de Belgrade et dont les gros 4×4 passaient en trombe sans se soucier des feux ?
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Les représentants locaux des ONG se montraient particulièrement procédurier et froids. Ils semblaient faire de l'inhumanité un attribut de fonction. Les étrangers, eux, ne comprenaient pas bien la situation, répétant les propos frivoles et lénifiants qu'on entendait sur les télévisions à l'Ouest.
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Oyez ! Nous avons de quoi vous mater, désormais ! Nous avons suffisamment de canons et d'obus pour tailler en pièces toute votre république de va-nu-pieds ! Nous gaspillons même, et c'est exprès, car on mesure la fortune des États à la splendeur de leurs feux d'artifice. Nous sommes riches, riches du soutien de nos alliés, des pays les plus riches du monde ! Vous ne luttez pas contre nous, imbéciles, mais contre tout l'Occident dont nous sommes le cordon sanitaire face à votre souillure balkano-communiste !
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