Prix des collégiens Québec 2014 - Stanley Péan .
“En secouant la tête, Gemme se rappela soudain qu’il existait des hommes qui n’avaient nul besoin de se défaire de leur peau de tous les jours pour se conduire en véritables monstres.”

Bien malgré elle, la jeune femme sentait ressurgir dans sa mémoire le souvenir de ces hommes passés dans sa vie ces dernières années : ces Roger, ces Marcel, ces Denis dont elle méprisait la majorité ; les bellâtres dont elle s'était toujours demandé pour quelle raison ils avaient recours à ses services ; les époux infidèles qui déposent leur jonc sur la table de chevet avant et le remettent tout de suite après ; les timides et les inoffensifs qu'il fallait guider pas à pas ; les cons qui jettent des billets par terre pour vous obliger à les ramasser ; les malades qui veulent être giflés, mordus, piétinés ou fouettés ; les chiens sales qui dégagent une odeur de sueur et qu'il faut doucher avant ; les friqués prêts à dépenser une fortune pour le plaisir de ramener la négresse à son statut d'esclave ; ces trous-du-cul qui se croient tout permis parce qu'ils ont payé et qui s'imaginent parfois qu'ils auront le privilège de vous baiser au naturel, sans condom ; ces brutes qui essaient de vous étrangler avec une ceinture parce que ça intensifie l'orgasme ; mais aussi les pathétiques et les malheureux qui voudraient se faire dire « je t'aime », ou, pire, ceux qui ont l'ambition absurde de vous sauver...
Stanley Péan est né à Port-au-Prince et a grandi au Québec. L’intrigue de son dernier roman, Bizango, se passe d’ailleurs à Montréal. Dans ce roman polyphonique, plusieurs personnages, délicieusement croqués se croisent : Andréa Belviso, la belle journaliste italienne, un brin carriériste et Jean-Phi, son directeur de l’information, aussi peu scrupuleux que lourdingue ; Lorenzo Appolon, le policier d’origine haïtienne et Marie Marthe, sa maîtresse-femme et surtout Domino, alias Gemme, une jeune haïtienne devenue malgré elle la « bitch Number One » de Chill-O, un michan gason mafieux, vaguement producteur de Hip-Hop, régnant en prince sur la petite pègre haïtiano montréalaise. Lire la suite sur La Plume francophone : http://la-plume-francophone.over-blog.com/article-stanley-pean-bizango-80480732.html
Attention à la vie que vous menez. Elle pourrai bien être la vôtre.
« On aurait dit qu’il n’avait pas de visage à proprement parler. Ou plutôt que ses traits étaient constamment en train de se réarranger. » (p. 49)
« 1. En Haïti, membre d’une société secrète dotée du pouvoir de se dévêtir de sa peau humaine et d’adopter toute autre forme de son choix, le plus souvent celle d’un animal volant ou rampant. 2. Victime d’un tel sorcier, condamnée à se métamorphoser en bête carnivore à la tombée de la nuit. » (p. 9)
Si j'ai bien compris, les gens, quand ils le regardent, voient la personne qu'ils ont envie de voir.
En jetant ce coup d’oeil dans l’âme de son visiteur, il avait l’impression d’avoir ouvert une porte sur le chaos absolu de ces vies humaines auxquelles nul ne saurait donner un sens concret.
Et pendant une fraction de seconde, Papy Boko constata l’ampleur de la tristesse, de la douleur, de la solitude de cet être qui n’avait pas choisi d’être une outre à souvenirs éventés.
Quel chaos ! Comment peux-tu vivre avec tout ça dans ta tête ?
- Qui a dit que j’y arrive ? ” eut-il envie de répondre.”
Bizango, c'était le terme dont avait usé Papy Boko. Domino n'avait pas oublié ces contes qui avaient bercé son enfance en Haïti, ces récits fantasmagoriques où, la nuit venue, des messieurs en apparence normaux se dévêtaient de leur peau humaine pour révéler l'ignominie qu'ils n'osaient montrer à la lumière du jour. Et si ce n'étaient pas que des contes à tirer dans la grande cour à la brunante ? Et si de pareilles créatures déambulaient pour de vrai sur terre ? Et si son compagnon était l'une d'entre elles ? En secouant la t^te, Gemme se rappela soudain qu'il existait des hommes qui n'avait nul besoin de se défaire de leur peau de tous les jours pour se conduire en véritables monstres.
Quelque part, très loin, une voix qu'elle n'avait peut-être qu'imaginée lui avait susurré je ne te toucherai pas, pas comme ces hommes te touchent, je ne te prendrai pas comme tu le voudrais sans doute, mais je te montrerai des choses telles que tu n'en as jamais vu, je t'emmènerai plus loin en toi-même que tu n'es jamais allée, encore que Domino n'aurait pu certifier que ces paroles aient été prononcées. Tout ce dont elle se souviendrait serait d'avoir été emportée par un cyclone de sensations, un maelström d'images et de sons inédits, à la fois violent et tendre, terrifiant et réconfortant, un orgasme à la puissance n.