Citations de Stanley Péan (29)
“En secouant la tête, Gemme se rappela soudain qu’il existait des hommes qui n’avaient nul besoin de se défaire de leur peau de tous les jours pour se conduire en véritables monstres.”
Attention à la vie que vous menez. Elle pourrai bien être la vôtre.
Bien malgré elle, la jeune femme sentait ressurgir dans sa mémoire le souvenir de ces hommes passés dans sa vie ces dernières années : ces Roger, ces Marcel, ces Denis dont elle méprisait la majorité ; les bellâtres dont elle s'était toujours demandé pour quelle raison ils avaient recours à ses services ; les époux infidèles qui déposent leur jonc sur la table de chevet avant et le remettent tout de suite après ; les timides et les inoffensifs qu'il fallait guider pas à pas ; les cons qui jettent des billets par terre pour vous obliger à les ramasser ; les malades qui veulent être giflés, mordus, piétinés ou fouettés ; les chiens sales qui dégagent une odeur de sueur et qu'il faut doucher avant ; les friqués prêts à dépenser une fortune pour le plaisir de ramener la négresse à son statut d'esclave ; ces trous-du-cul qui se croient tout permis parce qu'ils ont payé et qui s'imaginent parfois qu'ils auront le privilège de vous baiser au naturel, sans condom ; ces brutes qui essaient de vous étrangler avec une ceinture parce que ça intensifie l'orgasme ; mais aussi les pathétiques et les malheureux qui voudraient se faire dire « je t'aime », ou, pire, ceux qui ont l'ambition absurde de vous sauver...
Si j'ai bien compris, les gens, quand ils le regardent, voient la personne qu'ils ont envie de voir.
« On aurait dit qu’il n’avait pas de visage à proprement parler. Ou plutôt que ses traits étaient constamment en train de se réarranger. » (p. 49)
Stanley Péan est né à Port-au-Prince et a grandi au Québec. L’intrigue de son dernier roman, Bizango, se passe d’ailleurs à Montréal. Dans ce roman polyphonique, plusieurs personnages, délicieusement croqués se croisent : Andréa Belviso, la belle journaliste italienne, un brin carriériste et Jean-Phi, son directeur de l’information, aussi peu scrupuleux que lourdingue ; Lorenzo Appolon, le policier d’origine haïtienne et Marie Marthe, sa maîtresse-femme et surtout Domino, alias Gemme, une jeune haïtienne devenue malgré elle la « bitch Number One » de Chill-O, un michan gason mafieux, vaguement producteur de Hip-Hop, régnant en prince sur la petite pègre haïtiano montréalaise. Lire la suite sur La Plume francophone : http://la-plume-francophone.over-blog.com/article-stanley-pean-bizango-80480732.html
« 1. En Haïti, membre d’une société secrète dotée du pouvoir de se dévêtir de sa peau humaine et d’adopter toute autre forme de son choix, le plus souvent celle d’un animal volant ou rampant. 2. Victime d’un tel sorcier, condamnée à se métamorphoser en bête carnivore à la tombée de la nuit. » (p. 9)
En jetant ce coup d’oeil dans l’âme de son visiteur, il avait l’impression d’avoir ouvert une porte sur le chaos absolu de ces vies humaines auxquelles nul ne saurait donner un sens concret.
Et pendant une fraction de seconde, Papy Boko constata l’ampleur de la tristesse, de la douleur, de la solitude de cet être qui n’avait pas choisi d’être une outre à souvenirs éventés.
Quel chaos ! Comment peux-tu vivre avec tout ça dans ta tête ?
- Qui a dit que j’y arrive ? ” eut-il envie de répondre.”
Quelque part, très loin, une voix qu'elle n'avait peut-être qu'imaginée lui avait susurré je ne te toucherai pas, pas comme ces hommes te touchent, je ne te prendrai pas comme tu le voudrais sans doute, mais je te montrerai des choses telles que tu n'en as jamais vu, je t'emmènerai plus loin en toi-même que tu n'es jamais allée, encore que Domino n'aurait pu certifier que ces paroles aient été prononcées. Tout ce dont elle se souviendrait serait d'avoir été emportée par un cyclone de sensations, un maelström d'images et de sons inédits, à la fois violent et tendre, terrifiant et réconfortant, un orgasme à la puissance n.
Bizango, c'était le terme dont avait usé Papy Boko. Domino n'avait pas oublié ces contes qui avaient bercé son enfance en Haïti, ces récits fantasmagoriques où, la nuit venue, des messieurs en apparence normaux se dévêtaient de leur peau humaine pour révéler l'ignominie qu'ils n'osaient montrer à la lumière du jour. Et si ce n'étaient pas que des contes à tirer dans la grande cour à la brunante ? Et si de pareilles créatures déambulaient pour de vrai sur terre ? Et si son compagnon était l'une d'entre elles ? En secouant la t^te, Gemme se rappela soudain qu'il existait des hommes qui n'avait nul besoin de se défaire de leur peau de tous les jours pour se conduire en véritables monstres.
Et pour citer le pianiste Thelonious Monk, à qui l'on doit une centaine de compositions majeures du répertoire moderne, il faut, au moment d'entamer un chorus, avant de jouer la moindre note, s'assurer que celle-ci est véritablement préférable au silence.
Accablée par un soleil de plomb tout l'après-midi, Montréal au grand complet donnait l'impression de suffoquer dans la quête désespérée d'un peu de fraîche, d'un peu d'ombre, d'une ondée bienfaisante.
Sous une lune rouge comme un fruit mûr, Marie-Louise marche à grands pas. Elle suit sa route, légèrement vacillante. La brise s'insinue sous son manteau. Elle aurait peut-être dû accepter qu'on la raccompagne. Elle presse le pas. Elle se dit qu'elle imagine sûrement ces bruits de pas qui la talonnent. Cette ombre furtive au coin de son oeil. Elle accélère encore. Pourtant, elle se retourne. À travers le brouillard, elle devine une silhouette. Elle se met à courir. Plus vite, plus vite. Elle enfile une ruelle sur sa gauche. Soudain, elle sursaute. Deux yeux rouges, presque lumineux, la fixent dans la nuit. À cet instant retentit un cri bestial. Un grondement sinistre.
Vu le manque d'intérêt général, demain n'aura pas lieu
Elles sont couvertes de têtes de morts. Elles ne sont pas couvertes de nénuphars. Dans ma mémoire sont des lagunes. Sur leurs rives ne sont pas étendus des pagnes de femmes. Ma mémoire est entourée de sang. Ma mémoire a sa ceinture de cadavres! et mitraille de barils de rhum génialement arrosant nos révoltes ignobles, pâmoisons d'yeux doux d'avoir lampe la liberté féroce...
Que de sang dans ma mémoire ! Dans ma mémoire sont des lagunes. Elles sont couvertes de têtes de morts. Elles ne sont pas couvertes de nénuphars. Dans ma mémoire sont des lagunes.
Les années avais donné tort au romancier anglos-canadiens Hugh MacLennan ; le Canada n'est plus composé de deux solitudes, mais de nombreuses solitudes qui suivent dans la cité des routes à jamais parallèles.
Ne confond pas nationalisme et nazisme, ai-je objecté. Il m'a répondu qu'en Haïti, c'est justement des refrains sur la fierté nationale qui ont porté Papa Doc au pouvoir...
Dans sa tête résonnent toujours ces mêmes dissonances obsédantes, puis des cris d'hommes émasculés, de femmes violées, de bébés égorgés. Une véritable symphonie de la souffrance humaine. ( p.190-191)
Juste un peu bizarre : le moins qu'on puisse dire, dans les circonstances !