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Payot - Marque Page - Stéfanie de Velasco - Lait de tigre.
Noura dit toujours qu'il faut vivre de manière à ce que rétrospectivement notre vie ressemble à un poème. Elle n'a jamais dit que ce devait être un poème joyeux, juste un poème.
- Višegrad, je dis, c'est plutôt beau. Comme vie et grave.
- Oui, dit Amir, c'est ce qu'on croit. Mais c'est toujours comme ça, les lieux où ils s'est passé des choses horribles ont toujours de beaux noms, soit drôles, soit beaux, tu l'avais pas remarqué ?
- Oui, c'est ce que j'ai pensé de Fukushima.
- Ou Dachau, dit Amir. Dachau, ça ressemble à "T'as chaud", non ? Ça rend la chose encore pire, tu vois, c'est comme pour la poésie, ce qui est grave et ce qui est drôle se mélangent, la vie aime ce genre de choses.
- Tu crois ?
- Oui, c'est fait exprès. C'est comme ça, la vie. Quand quelque chose est beau, il faut qu'il y ait autre chose qui le détruise, sinon c'est pas la vie.
A vrai dire, maman est toujours allongée sur le canapé. En général, elle a les yeux fermés, mais quand je rentre à la maison, il lui arrive de les ouvrir et de demander : « Où étais-tu ? » Lorsqu’elle ouvre les yeux, elle a toujours l’air terriblement fatiguée, comme si elle avait fait un très long voyage et atterri par hasard sur le canapé, chez nous, dans le salon. Au fond, je crois qu’elle n’attend pas vraiment de réponse ; Moi, au contraire, j’aimerais bien savoir où elle était, où elle part toujours en voyage derrière ses yeux fermés, pendant toutes ces heures qu’elle passe allongée seule sur le canapé. Le canapé de maman est une île sur laquelle elle vit. Et cette île a beau se trouver au milieu de notre salon, un épais brouillard l’enveloppe. On ne peut pas accoster l’île de maman.
« J’ai un caillou dans ma chaussure. J’aime bien avoir un caillou dans la chaussure, c’est comme si quelqu’un m’accompagnait, quelqu’un qui parcourt le monde avec moi. »
Tout a une fin, sauf la saucisse qui en a deux.
- C'est fou, dit Jameelah en versant du Mariacron dans la bouteille, il y a quelques mots en Allemagne qui sont vraiment magiques. Quand tu les dis, le monde s'arrête. "Nazi." Le monde te dévisage et s'arrête.
(...) les mots existent seulement parce qu'on y croit, sinon ils n'existeraient pas, ovni c'est comme Dieu, et Dieu existe seulement parce que les gens y croient. p.55
Sauf que parfois il faut que la musique soit forte, même si après on a les oreilles qui sifflent pendant des jours et des jours, la musique n'est jamais assez forte, parce que parfois elle doit empêcher qu'on entende la vie, et aujourd'hui je n'ai vraiment pas envie d'entendre la vie. p. 164
Et je me demande si c'est possible que ce ne soit pas le temps qui s'écoule qui nous fait vieillir, mais plutôt les choses qui nous arrivent, celles qui nous font désespérer et que nous devons malgré tout laisser nous traverser, que nous le voulions ou non, parce qu'elles sont simplement plus grandes et plus fortes que nous, parce que la vie est toujours plus grande et plus forte, je me demande si ce n'est pas tout ça qui nous fait vraiment vieillir. p.203
- tu te souviens de ce que Jasna a crié sur le balcon, de ce qu'elle a dit à sa mère avant de sauter ?
- oui, elle a dit : "D'abord tu me jettes ici dans ce monde et ensuite tu m'abandonnes."
- je crois que c'est vrai, dit Jameelah.
- Quoi ?
- Qu'on est jeté dans ce monde. Je veux dire, personne ne te pose la question, personne ne te demande si tu as envie.
Il faut absolument que j'arrête de fumer, mais en même temps c'est vraiment une idée merdique, je suis encore beaucoup trop jeune pour avoir ce genre d'idée.
Je pense à sa collection de pornos sous le plancher et à ce plaisir qu'il prend à se tripoter les pieds en regardant la télé, voilà ce que ça signifie pour lui le chez-soi, exactement comme quand il inspecte le papier toilette avec lequel il s'est torché après avoir chié, franchement, à quoi bon discuter avec un type comme ça.