Le pouvoir et l'argent
Pour ce numéro d'Apostrophes consacré au pouvoir et à l'argent,
Bernard PIVOT a réuni, Jean BOISSONAT , et
Michel ALBERT ("Crise, crack, boom"),
Stéphane DENIS ("
Le roman de l'argent"),
René REMOND ("Notre siècle"), Robert MAXWELL. -
Stéphane DENIS, chroniqueur
politique, a trouvé intéressant de suivre des hommes d'affaires ainsi que des hommes politiques et a tenté de décrypter...
Il décida de faire tout ce qu'un homme marié ne peut faire : fumer au lit (il allait racheter des cigares), dîner devant la télévision, écouter de la musique toutes portes ouvertes. Il irait au cinéma et mangerait des pâtes tous les soirs si ça lui faisait plaisir. Et naturellement il boirait un bon coup, la journée terminée et l'ordinateur gavé de prose subtile et inspirée. Il regarderait les matches de tennis, il se lèverait tard et pourrait enfin installer le téléviserur au pied de son lit. (extrait d'une fille rangée)
Au cours de sa carrière, le président avait épuisé plusieurs nègres sans jamais parvenir à acquérir ce style bien à soi qui caractérise les hommes d'Etat.
Peuplé "d'à cet égard" et de "s'agissant de", son mode d'expression était reconnaissable à cent mètres mais ne lui avait, jusqu'ici, pas apporté la consécration littéraire sans laquelle aussi, en France, c'est à peine si on a gouverné.
Le lendemain, Renzo de’ Lanzi, lecteur, espion et alchimiste, écrivit que Rome était prise. Le sac de la cité divine avait commencé ; malgré les leçons de son maître, il ne pouvait deviner qu’il allait durer un an et frapper de stupeur toute la Chrétienté. Le duc de Bourbon fut tué l’un des premiers en dressant une échelle. Un coup d’arquebuse le jeta à terre ; on le porta dans la chapelle Sixtine au chant des lansquenets et longtemps l’on put lire, sur un mur de la Chambre d’Heliodore, ces mots gravés au couteau : Hic Bourbo. Il n’y a rien à ajouter. (Page 84 et fin)
- Tu vas t'évader. En échange de l'abandon d' une bonne part de tes biens, tu gagneras un autre pays ou t'attendra une nouvelle vie. Il te restera un petit quelque chose.
- Ce sera toujours ça. Tu ne peux pas m' en dire davantage ? Dans un scénario, l'évasion est une mine inépuisable, mais je doute qu'on y réussisse autant dans la vie réelle.
Je ne me voyais pas scier les barreaux et descendre le long d'une échelle de corde. D' ailleurs ma cellule était au rez-de-chaussée.
- Contente-toi de faire ce qu'on te dira, dit George. Cela a été assez long et compliqué à mettre au point...
"... : qu'est-ce que c'est, une sœur ?
Il y a une part d'injustice. Vous êtes embarquée pour la vie avec une personne qui est en gros la moitié de vous. Elle habite chez vous. On devrait pouvoir souhaiter qu'elle s'en aille et en même temps ne pas perdre une minute de sa présence. Elle vous manque autant qu'elle vous est insupportable - mais pas en même temps.
Mais vous habitez chez elle et vous n'avez pas envie de déménager."
J’étais un peu vexé de ne pas avoir l’air d’un amant, mais le directeur était le premier à me le dire : j’avais l’air d’un garçon de bonne famille, j’étais comme eux. Eux, c’étaient les gens riches, les gens de ce monde où j’étais entré par la grâce d’une révolution qui leur avait fait tellement peur que Renaud Lesguidières avait, à tout hasard, fait filer en Suisse le plus gros de ses liquidités. Cela prouve que les révolutions ont des effets heureux – mais pas pour ceux au nom desquels on la fait.
D’abord, il y a des femmes qu’on ne peut refuser, ensuite, il y avait Agathe.
Elle avait vingt ans de plus que moi, ce dont je me fichais bien. Je crois même n’y avoir jamais pensé. Les autres femmes, les filles de San Remo, étaient charmantes, belles, excitantes, tout ce que l’on voudra ; Agathe était Agathe.
Elle venait me voir quand elle le pouvait, roulant à toute vitesse sous les tunnels de la Riviera, dans sa décapotable Mercedes.
C’est en voulant changer mes dollars en francs que j’eus l’idée de jouer sur les monnaies. Le directeur du casino m’avait payé en dollars, aucun de ses clients n’acceptant de lires. J’avais le choix entre les porter à la banque, les changer au bureau des Champs-Élysées, ou les conserver en espérant qu’ils fassent des petits. La première formule me faisait payer une commission exorbitante, la seconde m’infligeait un taux pour touristes, la troisième était paresseuse. C’est Agathe qui me donna la solution. Elle accompagnait son mari aux États-Unis ; elle prit mes dollars et me donna des livres sterling. Je conservai les livres quinze jours, les vendis, achetai des dollars, répétai l’opération jusqu’à ce que la livre perdît cinq points.
Je m’aperçois que j’utilise le nous pour la deuxième ou la troisième fois. Il signifie, bien sûr, que je suis marié. Isobel est ma troisième épouse (on doit dire femme aujourd’hui, mais troisième femme me ferait l’effet d’un harem avec rang d’âge, prime à l’ancienneté et arrivée incessante de chair fraîche et épuisante). La première était aussi géniale que moi, mais au lit. La seconde, une excellente maîtresse de maison. Isobel est une cuisinière mondialement connue et je crains que ses tirages ne dépassent les miens. C’est aussi une personne très calme, qui parle peu et s’occupe en permanence de son jardin.
Mon père était chauffeur de taxi. Il travaillait pour les casinos de la Côte, qui aiment savoir à qui ils confient leurs clients. Il partait en fin de matinée et ne revenait qu’au petit matin. J’ignore ce qu’il faisait de ses après-midi. Je suppose qu’après s’être garé à l’ombre sous un tamaris, il faisait la sieste jusqu’au coup de feu du soir. C’était un dormeur formidable. Je l’ai vu les yeux fermés dans les endroits les plus invraisemblables, et je l’entends encore me dire : pas maintenant, mon petit, et n’oublie pas de fermer la porte.