A QUELQU'UN
Hier, je t'ai vue en rêve, et c'était la deuxième fois
Mais six fois déjà j'ai rêvé de ton mari.
Même en rêve je ne peux parler longtemps avec toi
Mais avec lui je parle, je me promène dans mes rêves.
Les rêves sont contre moi. Ah,
Je doute de l'autre monde!
Quand je t'ai vue en rêve, je me suis aussitôt éveillé
Et j'ai mis bien du temps pour me rendormir.
Mais les rêves de ton mari s'éternisent
Et le lendemain, oh, j'ai mal à la tête...
Faut-il le dire? Une fois au moins je voudrais en rêve
Tuer ton mari, voir ce qui se passerait
Si j'en aurai quelques regrets.
Haruo Satô
Traduction d'Yves-Marie Allioux
Contre
Déjà, enfant
J’étais contre l’école.
Et maintenant
Je suis contre le travail.
Moi, d’abord, la santé
La droiture me répugnent.
Rien de tel que la santé, être droit
Pour rendre l’homme insensible.
Bien sûr, l’« âme japonaise », je suis contre.
Devoir, charité : je vomis.
Tous les gouvernements, je suis contre.
Les hommes de lettres, les artistes, je leur montre le cul.
Si on me demande pourquoi je suis né,
Je réponds sans hésiter : pour être contre.
Quand je suis à l’est,
Je veux aller à l’ouest,
Mon kimono est sens dessus dessous, ma chaussure droite à gauche,
Mes pantalons devant derrière, et je monte à cheval à l’envers.
Ce qui dégoûte les gens, voilà ce que je préfère.
Ce que surtout je hais : les cœurs à l’unisson.
Ce que je crois : être contre, c’est dans la vie
La seule chose magnifique.
Être contre, c’est vivre.
Etre contre, c’est se trouver soi-même.
(Mitsuharu Kaneko)
CONTRE
Déjà, enfant
J'étais contre l'école.
Et maintenant
Je suis contre le travail.
Moi, d'abord la santé
La droiture me répugnent.
Rien de tel que la santé, être droit
Pour rendre l'homme insensible.
Bien sûr, l'"âme japonaise", je suis contre.
Devoir, charité : je vomis.
Tous les gouvernements, je suis contre.
Les hommes de lettres, les artistes, je leur montre le cul.
Si on me demande pourquoi je suis né,
Je réponds sans hésiter : pour être contre.
Quand je suis à l'est,
Je veux aller à l'ouest,
Mon kimono est sens dessus dessous, ma chaussure droite à gauche,
Mes pantalons devant derrière, et je monte à cheval à l'envers.
Ce qui dégoûte les gens, voilà ce que je préfère.
Ce que surtout je hais : les cœurs à l'unisson.
Ce que je crois : être contre, c'est dans la vie
La seule chose magnifique,
Être contre, c'est vivre.
Être contre, c'est se trouver soi-même.
Mitsuharu Kaneko
Traduction d'Yves-Marie Allioux
UNE FEMME QUI NE VIENDRA JAMAIS
Un jour que souffle un vent d'automne
Devant le jardin et l'ombres des kakis
Je regarde un ciel clair comme de l'eau
Et vais à mon bureau
Oh, coups d’œil joyeux!
Voir les volubilis fanés
Chanter les merveilleuses roses de Chine
Et puis t'attendre en silence
Avec un beau et grand sourire
T'attendre ma colombe!
L'ombre des kakis se déplace
Dans un doux crépuscule
J'allume, reviens
Et la nuit comme toujours
Est un vrai clair de lune
Je nettoie le jardin comme on nettoie un bijou
J'en aime les fleurs qui sont des bijoux
Je célèbre les insectes, petites plûtes,
Je marche, je pense,
Penser, regarder le ciel,
Et puis encore nettoyer,
Oh, sans laisser une poussière!
Et dans cette solitude innocente
T'attendre, toi qui ne viendra jamais!
Joyeusement
Tristement
Corps et coeur
Aujourd'hui encore je suis prêt
Ah! A la fin de cette vie d'attente
Je ne sais quand, mais que je sois béni!
Je ne sais quand, mais que je sois récompensé!
Qu'enfin vienne un être véritable!
Traduction d'Yves-Marie Allioux
KAYOKO YAMASAKI
La lecture d’un conte de fées.
« Déchire les journaux, froisse-les doucement
pour laisser suffisamment d’air,
entre les lettres.
Range le bois pour qu’il soit comme
des mains, jointes pour la prière.
Allume-le avec une allumette. »
(Dans le poêle commencent à brûler
les photographies, les phrases
d’une publicité.)
« À présent, reprends ton souffle. Lis
un conte de fées, La flamme dans un coquillage,
par exemple. »
Ainsi notre père nous apprenait-il
à allumer le feu
et à maintenir la flamme.
Je ne savais pas que ce feu
brûlerait devant mes yeux,
à jamais.
La lecture d’un conte de fées est, en réalité,
un court répit pendant que tu allumes
le feu.
Lire un conte de fées, c’est se remémorer
ce qui n’a pas disparu
dans la flamme.
Kayako Yamasaki
Née le 14 septembre 1956. au Japon. Elle vit à Belgrade depuis 1981. Elle écrit de la poésie et des essais en japonais et en serbe. Elle est membre de la Serbian Literary Society.
Six de ses recueils de poésie ont été publiés en japonais: Tori No Tameni ( To Birds , 1995); Ubusuna, Rodina ( Homeland, Rodina, 1999); Bara, Mishiranu Kuni ( Rose, Unknown Country , 2001); Hisoyaka Na Asa ( Hidden Morning , 2004); Atosu, Shizukana Tabibito ( Atos, Silent Travellers , 2008); Miohayami ( Miohayami , 2010) et Six In Serbian: Skriveno Jutro ( Hidden Morning , 2001); Rodina Ubusuna ( Homeland, Ubusuna, 2004);Rivière Sanovnik ( Dream Book, River, 2005); Storm Bank ( Stormy Hill , 2008), Fleurs d'eau ( Fleurs et eau , 2015); Côte légère ( The Shore of Light , 2016). Elle a traduit des œuvres de nombreux poètes serbes (Desanka Maksimović, Stevan Raicković, Miloš Crnjanski, etc.) et des romans de Danilo Kiš: Rani jadi ( Early Sorrows , 1995); Encyclopédie des morts ( L'Encyclopédie des morts , 1999); Jardin, cendres ( Garden, Ashes , 2009).
Elle a écrit l'étude de la poésie japonaise Avantgarde (Belgrade, 2004). Elle est également l'auteur de quelques recueils d'essais en japonais: Beogurado nisshi ( A Poetry Diary from Belgrade, Tokyo, 2014); Pan à Noichigo ( fraises pain et sauvages , Tokyo, 2018).
Elle a remporté le prix annuel de la traduction vers une langue étrangère 1995/96. (Serbian PEN Center, Belgrade), le prix Yomiuri de littérature (Tokyo, 2015), le prix Milica Stojadinović Srpkinja pour la poésie serbe (Novi Sad, 2015) et le prix Veselin Lučić pour l'œuvre littéraire (Belgrade, 2017).
LES JOURS DE FROID
Choisir les légumes, le riz, la viande et
le poisson, préparer le repas pour la famille,
le servir.
Faire la cuisine, je médite sur cet acte quotidien,
simple, mais parfois
très dramatique.
Je me souviens des journées froides, où
il a été difficile de trouver un
œuf, une pomme de terre.
Le choux coûtait plus cher
qu’un frigo, qu’une
tête humaine.
Les fruits d’alors, aujourd’hui invisibles,
je les pose dans mes paumes pour
évaluer leur poids.
Je veux juste sentir la lumière de la poire
des bois. Ce qui a nourri
nos enfants.
HOTEL BELVOIR
Une queue de brume qui pend sur le lac de Zurich
Les collines soudainement enveloppées des gravillons de l’averse
Jusqu’au tonnerre clamant son allégresse à coup de lueurs et de
tambours
Des moineaux de Suisse bien accordés dont le chant fuse par intervalles
(Ici tous les moineaux savent chanter
Au Japon ils ne font que gazouiller)
Monde inchangé depuis la nuit des temps
Là les eaux du lac reflètent des trouées de ciel bleu
qui pour gagner un mètre à peine se débattent
On dirait vraiment des voix humaines
(Hi no yuigon, 1994, Kashin-sha)
Kayako Yamasaki
L’escalier, deux anges
À Stefan et Daïana
Nous sommes venus
pour
offrir un brin d’amour
avec nos petites mains que
nous avons ouvertes
le jour de notre naissance.
Avec des pleurs vigoure
Nous sommes venus
pour
offrir un brin d’amour
avec nos petites mains que
nous avons ouvertes
le jour de notre naissance.
Avec des pleurs vigoureux,
avec un sourire silencieux,
la vie s’appuie
sur
la vie :
nous montons
l’escalier.
Quand on nous enlève l’eau et
quand on nous
éteint la lumière
nous nous tenons
les mains.
La vie prête l’oreille
à la vie :
sans
voix nous
montons.
Ce matin, les anges
retournés
au ciel,
dans le noir brillent
les traces de petits pieds.
Aussi montons-nous
l’escalier
depuis lequel
ils
£se sont envolés.
Kayako Yamasaki
UNE HISTOIRE DU BOIS
Notre maison disparaît.
La maison, qui a enduré une tempête
de fer et un déluge
couleur de rouille.
La maison, qui n’a pas brûlé
dans le feu,
qui n’a pas été effacée
par l’eau.
Elle a resplendi sur nous
d’une lumière verte.
Nous croyions,
comme des enfants, qu’elle
était là,
pour toujours.
Près du fleuve elle
se tenait
seule.
Sans jardin et
sans portail.
Elle n’avait
ni portes
ni fenêtres.
Ni murs, ni
toit. Dedans
il n’y avait pas
de foyer.
Construite des seuls
rayons de soleil :
elle nous abritait et
nous protégeait. Oui,
des fauves
des bois.
L’eau émeraude
coule à travers
le ciel
du soir,
comme
le conte de fée que
nous aimions tant.
Kayako Yamasaki
Le sablier, la main
Nous tombons sans bruit. Nous sommes des grains de sable.
Nous tombons, rouges, pâles.
Le paradis et l’enfer sont enfermés
dans un récipient en verre.
Lorsque le dernier grain tombe,
le paradis reste vide.
Notre silence, commencé en enfer,
n’intéresse personne.
Mais, quand une main invisible
retourne le sablier,
le paradis et l’enfer
s’inversent immédiatement.
Nous tombons vite, mesurons le temps
enfermé dans du verre, s’écoulant
vers l’enfer.
Nous tombons sans bruit, nous sommes des grains
de sable fin.