Tanella Boni "Les Idées mènent le Monde" à Pau - 2017
J’ai trouvé un mot
Qui ne ressemble à aucun autre
Je ne l’ai pas inventé
Je l’ai croisé par hasard
Au détour d’une promenade
Le mot m’a fait un signe de la main
J’ai dit bpnjour au mot
Dont j’ignorais le sens
Je lui ai raconté mon envie
De retrouver les images
Qui m’habitent et créent mon monde
Le mot m’a tourné le dos
J’ai aperçu la forme d’une échelle
Dans le monde des petites choses
Le bon feu ne coûte rien
Il brûle il réchauffe
L’amour vaut tout l’or du monde
Allume une étincelle au coin de ton oeil
Et traverse le désert vide d’humains
Comme si la vie fleurissait
À toutes portes et fenêtres
Pour connaître les règles
Du monde impersonnel
Dont la violence écrase
Ta frêle présence
N’attends pas que la flamme
S’éteigne en toi.
Ce temps intérieur est le mien
On y rencontre de petites musiques
Tissées fil à fil
Comme un pagne de coton fait main
Chaque plante
Chaque fibre y trouve sa place
Chaque insecte y apporte son chant
Et les tisserins à midi
Le souffle du beau temps
Ce temps noué à mes tripes
Rassemble l’essentiel de mes bagages
Je pose le pas sur d’autres terres
en emportant avec moi
Celle qui ne me quitte pas
Les vents contraires connaissent
L’endurance de tes pas
Sur une rive éloignée de tes lieux
Mais quelle eau quelle terre
Auraient pu accueillir ta présence
Quand tu pars en voyage
En compagnie d’humains
Délaissés sur le trottoir de la vie
Une femme qui marche
Ne cherche pas son pays
Ici ou là-bas
Ce pays reste gravé sur sa peau
Je suis né à l'ombre du silence
Là où les humains
A la peau de sel et de sable
Baignée de lumière et de poussière
Les yeux ouverts aux quatre vents
Marchent au rythme de leurs rêves
Un petit d'homme dormait au clair soleil
A la lumière des yeux du monde
Qui refusait de voir des visages
Sur la mer des traversées
Un visage sans aucun doute
Pas une plume d'oiseau un presque-rien
Perdu sur une plage entre deux continents
Le visage de l'innocence
Echoué sur la plage des horreurs oubliées
Autant en emportent les rêves
Tout départ est aussi un retour
Tu pars avec tes rêves
Tu pars avec ta vie tes souvenirs
Comme un dromadaire au pas lent
Tu portes tes bagages sur le dos
A bout de bras
D'escale en escale
Jusqu'au retour
Ton premier départ
En pays étranger
_ Seules les littératures venant des pays pauvres m'intéressent !
_ Des pays pauvres ?
_ Disons ceux du Sud, selon l'expression consacrée par les critiques...
_ Je vois. Vous vendez donc à Paris des livres exotiques, ceux qui permettent aux Occidentaux d'aller en vacances en restant assis à leurs bureaux, dans un train ou un métro et aux femmes dans leurs cuisines ! Peut-être bien des scènes d'amour inédites.
Parfois, je suis tentée de fermer les yeux.
Mais non, il faut les garder ouverts !
(La Croix L'Hebdo 31, 8 mai 2020)
Les héros ne meurent jamais.