Le panorama du quartier de Ginza, dont je jouissais, la nuit, depuis mon toit, n'était sans doute pas étranger à mon état d'esprit. L'immeuble donnait sur l'avenue Ginza qui, vue du haut de ma tourelle, ressemblait à une longue vallée de lumière au fond de laquelle les allées et venues des voitures et des personnes formaient comme une rivière étincelante. Le bruit qui me parvenait du fond de ce courant lumineux était pareil au grondement d'un torrent rugissant. Au milieu de la nuit, la lumière et le bruit faiblissaient légèrement mais sans jamais s'éteindre entièrement. Je me trouvais en plein coeur de Ginza, et pourtant ce paysage et cette rumeur me donnaient l'impression d'avoir installé ma tente dans une plaine grandiose au bord d'un immense canyon et de vivre tout près d'un gouffre.
Comme toutes les villes construites autour d'un château , Edo comportait une Ville haute , réservée à l'aristrocratie, Yamanote, et une Ville basse, populaire , Shitamachi. De nos jours , la ligne de train Yamanote qui encercle le grand centre de Tokyo matérialise une séparation analogue entre les résidents du centre de la ville ( à l'intérieur de la ligne Yamanote ) et ceux qui doivent se contenter des faubourgs, voir de la banlieue.
Le printemps pare la montagne entière de ses fleurs de cerisier ; en été, le concert des cigales et le discret chant mélodieux des petites grenouilles kajika annonce le début de la journée, et un autre concert, celui des cigales tardives higurashi, en annonce la fin.
- Ne mélange pas tout. Le jazz, c'est le jazz, les femmes, c'est autre
chose !
- Quand on frotte une allumette, une petite flamme apparaît et puis elle grandit et progresse vers l'extrémité du bâton. Eh bien, voyez-vous, à chaque nouvelle allumette, l'expression de cette flamme est totalement différente !
- L'expression de la flamme ?
- Parfaitement ! Le bâton brûle et rougit, puis il se tord et se désagrège, petit à petit. C'est ce moment-là qui me fascine !
- Ah ?...
- Et puis, il reste le bout blanc que l'on tient encore entre ses doigts. C'est comme si la partie calcinée venait y puiser quelque chose. Quand on pose le tout dans un cendrier, ce qui était une seule et même allumette se retrouve dispersé en plusieurs morceaux qui ont changé de forme et de couleur, mais qui semblent tenter de retrouver une unité au fond du cendrier... Ca aussi, c'est un spectacle envoûtant !