Il était midi et demi quand un taxi déposa Héctor devant l’immeuble de la poste. Ce bloc vétuste protégeait un entrelacs de ruelles labyrinthiques, sorties indemnes de la vague de design qui s’était abattue sur les quartiers environnants, comme El Born : des rues où les gens pendaient encore leur linge au balcon et où on pouvait presque dérober celui du voisin d’en face ; des façades difficiles à réhabiliter par manque de place pour les échafaudages ; des rez-de-chaussée, auparavant abandonnés, où proliféraient désormais des épiceries pakistanaises, des boutiques de vêtements ethniques et quelques bars aux murs faïencés. C’était là, rue Milans, au deuxième étage d’un immeuble étroit et crasseux, que le docteur Omar avait son « cabinet ».
« Quelques jours avant les événements, je t’aurais dit que c’était un homme tranquille. Jamais un mot plus haut que l’autre. Efficace. Têtu mais patient. Un bon flic, quoi… Du style consciencieux, genre fin limier. Et brusquement, clac, il pète un plomb et devient fou furieux. Pour tout te dire, ça nous en a tous bouché un coin. On a déjà assez mauvaise presse comme ça sans qu’un inspecteur perde les pédales de cette façon. »
« Entrez, inspecteur. »
Il reconnaît la voix. Lente, avec un accent étranger indéfinissable.
« Asseyez-vous, s’il vous plaît. »
Il obtempère. Ils sont séparés par une table ancienne, en bois, sans doute ce qu’il y a de mieux dans cet appartement délabré, dans cette pièce qui sent légèrement le renfermé.
« Je vous attendais. »
« Tu vas faire du mal à tous ceux qui essaient de surmonter ça. À Enric, à sa femme, à leur fille. À moi. Je tenais beaucoup à Marc, moi aussi : c’était plus qu’un neveu pour moi. Je l’ai vu grandir. »
Elle se redressa brusquement. Elle saisit la main de Fèlix et la repoussa.
« La douleur est parfois inévitable, Fèlix. »
Ils se serrèrent la main.
« Et rappelle-toi. »
Savall pressa légèrement la main de son subordonné.
« Pour Castells, c’est officieux. »
Héctor lui lâcha la main, mais la phrase résonna dans son cerveau, comme une de ces grosses mouches qui s’obstinent à donner de la tête contre un carreau.
« Vous êtes un type franchement intéressant, inspecteur. Bien plus que la plupart des policiers. D’ailleurs, vous n’aviez jamais pensé finir comme représentant de l’ordre. Non, ça j’en suis sûr.
— Arrêtez vos foutaises. Je suis venu chercher des réponses, pas écouter vos conneries.
Savall avait les yeux cloués au sol.
"La justice est un miroir à deux faces"
Il leva lentement le visage et poursuivit :
"D'un côté il reflète les morts, de l'autre les vivants. Lesquels des deux te semblent avoir le plus d'importance"
Hector secoua la tête. Face à son supérieur debout devant lui, il observa cet homme qui l'avait épaulé dans les moments difficiles et chercha en lui même la reconnaissance qu'il lui devait, la confiance qu'il lui avait toujours inspirée.
"La justice est un concept diffus, Lluis, nous sommes d'accord. C'est pour ça que je préfère parler de vérité. Il n'y a qu'une seule vérité, pour les vivants et pour les morts. C'est la seule chose que je suis venu chercher ici"
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Ça fait longtemps que je n’ai pas pensé à Iris et à l’été où elle est morte. Je suppose que j’ai essayé d’oublier tout ça, de la même manière que j’ai surmonté les cauchemars et les terreurs de l’enfance.
« Manquait plus que ça, marmonna le commissaire dès que le fébrile avocat eut quitté le bureau. Les journalistes vont encore nous mordre aux mollets comme des vautours. »