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Invitée : Tristane Banon - Romancière & essayiste
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Puis il y a eu l'accident, le trois tonnes qui percute mes certitudes, l'homme qui devient méchant. C'est celle d'après ça qu'ils appellent catin, celle qui apprendra à dissocier le corps de l'esprit, car c'est le seul moyen de s'en remettre, peut-être, de supporter en tout cas.
Mon téléphone sonne, ne fait que sonner, je vis dans le sas d'entrée d'un magasin. Le jour, la nuit, ça ne s'arrête pas. Les amis soutiennent, certains s'en vont, comme celui qui m'écrit, alors que je n'ai rien fait, rien dit : "Que ce soit vrai importe peu, faire ça est honteux, c'est une flèche plantée dans le dos de la gauche, tu n'en sortiras pas grandie"... L'ancien ami est journaliste. Il y a encore quelques jours, il déjeunait chez moi, s'asseyait sur ma chaise, caressait mon chien, appréciait un repas que je lui avais cuisiné. Alors quoi ? De quoi suis-je responsable ? Je me suis juré le silence, pourtant je l'appelle, je ne peux pas croire ce que je lis. Comme il ne répond pas, je laisse un message, m'insurge, faire " ça ", c'est faire quoi ? Rester terrée chez soi, un " chez-soi " qui n'est même pas chez moi ? Ne pas répondre aux sollicitations ? Se taire ? Refuser les interviews, les directs, les semi-directs, les différés, les enregistrés, les d'ici, les d'ailleurs, les du monde entier ? Faire " ça ", c'est faire quoi ? Ne rien faire, se faire toute petite, minuscule, une poussière ? Tu t'en fous de la poussière, comme de l'amitié que tu balayes au nom de la gauche qui souffre. Et moi ? As-tu pensé que je pouvais souffrir de tout ce cirque, que j'étais innocente ? Que je n'avais rien demandé, ni il y a huit ans, ni depuis deux semaines, pas même répondu que je ne voulais pas répondre, pas même confié un morceau de mot sur lequel un journaliste pourrait prendre appui pour écrire ? Faire " ça ", c'est faire quoi ? Exister ? Depuis le 15 mai, c'est la seule chose que j'ai tenté de continuer à faire. Vivre, ou plutôt survivre. Pardon.
Mais maman, elle ne va pas y arriver sans papa, elle dit qu'elle va y arriver, mais je ne la crois pas.
Je voudrais lui parler, lui chanter une berceuse, l'emmener loin en licorne, la faire voler sur un albatros, je voudrais tout plutôt que de la sentir si triste. Si seulement je pouvais au moins dire quelque chose, si je pouvais articuler quelques mots, je lui murmurerais comme elle, mais en y croyant vraiment, je lui répéterais : "Tout va bien se passer".
Je ne sais pas pourquoi je suis si pessimiste. Quand je vois le paysage apparaître et qu'il ne reste presque plus de pièces à y ajouter pour finir la boîte de mille cinq cents, quand j'ai passé des jours et des heures la nuque baissée pour reconstituer tous les bleus du ciel ou de la mer, alors je découvre toujours qu'il en manque un morceau, et ce morceau, c'est toujours le soleil, ou une étoile, ou autre chose d'aussi essentiel.
Maman a peur. J'essaie de ne pas l'effrayer, je lui montre que je suis en pleine forme. Je remue les bras quand on me le demande. Puis les jambes. Je crie un peu, mais pas trop fort, maman est encore fragile, je ne veux pas la casser, j'en ai besoin pour longtemps.
L'aube est arrivée trop vite, mais Martin ne s'inquiète pas de la disparition d'hier. Il veut des lendemains à la fin de chaque jour et, quand je me réveille, je ne suis plus seulement une maman, je redeviens Sasha.
L'ancien gros a pris de la hauteur. Il s'est glissé dans un costume de presque président. Il dit qu'il pense à "l'homme" et là, je pense qu'il oublie babouin... l'homme-babouin. C'est plus exact et il le sait.
J'ai fait le vœu de silence, pourtant, je voudrais tant le voir, face à l'une de ces caméras qu'il chérit, me redire ses accusations droit dans les yeux. Je ne pensais pas qu'il serait si difficile de me taire, que les vautours mangeraient ma vie comme des charognes, transformeraient les contours de la vérité, la modèleraient selon leurs envies et leurs besoins, dès lors qu'ils ont compris que, même s'il fallait que je me ronge les doigts jusqu'au sang, je ne leur ferais pas la joie de me prêter à leur cirque ridicule. Les jugements ne doivent pas être rendus devant les caméras. Seuls les juges condamneront les coupables. Je sais que l'on peut se perdre à ce jeu-là, et je n'ai d'autre excuse, pour avoir parlé lors de ce dîner cathodique, que la volonté de me décharger auprès de ceux qui avaient le pouvoir de faire le travail à ma place, d'empêcher le bourreau de nuire en creusant ce que je me sentais incapable de dévoiler moi-même. C'était lâche, je le sais. Je n'ai pas honte de cette lâcheté-là, j'étais juste une jeune femme de vingt-sept ans qui voulait se reconstruire, sans pour autant laisser le crime impuni. Mon erreur a été de croire qu'il y avait peut-être des super-héros autour de la table, ou devant l'écran. Des super-héros pour combattre les forces du mal. Je me suis trompée.
Pour maman, je veux le papa parfait, et ne plus jamais sentir tout son intérieur qui s'effrite, même de dehors. Dedans, Maman, c'est un jolie maison, mais les murs tiennent comme ils peuvent, et le papa que je vais lui trouver, il va falloir qu'il cimente, qu'il colmate, qu'il consolide tout ça, parce que là c'est sens dessus dessous. Je n'y suis plus, mais je le sais, j'ai bien vu le bazar que c'était quand j'en suis partie. Ce papa-là, faudra qu'il soit en béton armé !
J’ai lu sur Internet que la société concevait les femmes comme des êtres incomplets tandis que les hommes, eux, se suffisaient à eux-mêmes. J’essaie de comprendre cette affirmation. Une femme n’est considérée comme entière qu’avec des enfants, au moins un, et un amoureux quand ce n’est pas un mari. Sans quoi on la perçoit comme un être en devenir, en formation. Petite chenille deviendra papillon, peut-être. L’homme, lui, est d’emblée entier.