Citations de Tsering Yangzom Lama (53)
Il y a eu tant d'évènements depuis. Des aubes et des aubes que tes yeux n'ont pas vues. Des villes et des collines que tes pieds n'ont pas arpentées. Ma découverte d'une chose nommée "océan", que tu n'as jamais contemplée. Je veux tout te montrer. Je veux te raconter tout ce que tu a manqué - de ma vie, de ce que j'ai fait et de ce que j'ai subi, moi ta cadette, l'espoir du camp, celle dont plus personne ne parle. Même si cette histoire est fragmentée, je veux que tu la connaisses. Dis-moi seulement si tu m'entends.
Est-ce qu’elle pleure ? demandé-je.
-On dirait.
-Je me demande ce qu’il s’est passé.
-La vie d’une femme est une suite d’épreuve.
-Mais vous êtes un spécialiste, qui parle d'un pays colonisé. Vous vous rendez bien compte que vous avez le pouvoir d'orienter le discours dominant, non ? Bien plus que n'importe quel Tibétain. Aux yeux du monde universitaire, aux yeux du public exterieur à la communauté, vous êtes l'arbitre de la vérité, objectif et éclairé.
( p.200)
La dernière fois que je t'ai vue, tu partais chercher du bois pour le feu. Dans les ultimes instants du jour, j'ai regardé ton dos disparaitre entre les arbres. A chaque battement de paupières, tu t'estompais davantage, jusqu'à ce que je ne distingue plus aucune forme semblable à la tienne.
Je repose le pilon, et fixe les casseroles devant moi. Une tasse de thé presque terminée, du riz à laver et à égoutter (...) mes corvées viennent seulement de commencer, et il y en aura d'autres. Jour après jour, pendant des années à venir, j'écraserai de l'ail, je préparerai le thé (...) Pendant ce temps, les hommes feront des projets. Ils observeront nos Saints comme ils observent nos corps, et ils choisiront quoi déplacer où, qui s'approprier, qui envoyer loin. Ils choisiront qui devra s'instruire, et qui devra rester ignare.
Contemplant une dernière fois le visage de Mo, j'allume une cigarette entre mes lèvres, et la place dans ma bouche. J'ai été heureuse ici, me dis-je. Elle m'a montré qu'une femme pouvait connaître le bonheur en vivant seule.
p. 335 :
« Derrière ma sœur, une branche dorée se balançait dans le vent, chargée de feuilles éclatantes. Elle s’était abaissée pour me protéger de la pluie et de la grêle qui s’apprêtaient à tomber. N’ayant plus rien à craindre, plus rien qui nous accable, ma sœur et moi avions commencé à nous élever, en commençant par nos talons, puis nos hanches, décollant peu à peu du lit jusqu’à ce que nos orteils gigotent dans l’air. Observant les montagnes si lointaines, qui reflétaient la lumière du soleil en direction de chez nous, j’avais décidé de nous y emmener. J’avais agrippé la main de ma sœur pour l’entraîner vers les crêtes argentées. »
Voici un passage de la pages 230-231 :
« Ici, cela fait onze ans que nous transportons le Saint de maison en maison pour qu’il veille sur nos malades, nos nouveaux-nés, nos fiancés… Je pense encore à lui de temps en temps. À l’extase mystique qui a fleuri dans mon corps quand je l’ai vu pour la première fois au bord de la rivière. Au sentimznt de liberté que j’éprouvais à ses côtés. À la façon dont je me sentais liée à lui aussi. »
Ce que tu souhaites pour toi-même, efforce-toi de l’obtenir sans hésiter, sans douter. Ne laisse aucun être, aucune force t’en empêcher. C’est pour cette liberté que nos parents ont laissé leur corps sur les sentiers de montagne.
Sa main tremble. Je la recouvre de la mienne, pour apaiser son coeur et le mien.
Chaque fois que je ferme les yeux, je le sens m'observer, et me rappelle ce que j'avais éprouvé face à lui lors de notre rencontre; la façon dont mon corps entier avait tressailli, comme si quelque chose à l'intérieur de moi avait besoin d'être délogé.
- C'est étrange, non, comme quelques fractions du passé semblent se dilater dans notre esprit, alors que tant d'autres s'évaporent?
Un fantôme vient de ressurgir de mon passé. Il se tient de l'autre côté de la route, devant une enfilade de boutiques de souvenirs. (...) Je l'aurais pris pour un étranger, si je n'avais pas jeté un coup d'oeil à son visage.