Deux kilomètres plus loin, la route montait dans une forêt. J'avais changé de province. Je m'arrêtai, attachai ma mobylette au tronc d'un jeune Tilleul et partis à pied à travers champs. Ici, dans deux mois, les Cyclamens fleuriraient. Je grimpais en trébuchant entre des Noisetiers, quelques Chênes, des Platanes dépouillés, les premiers Sapins, pour arriver dans une clairière qui fleurait le champignon. Le ciel était d'un gris plombé, mais la marche m'avait réchauffé. Je posai mon sac et me laissai tomber sur le sol humide. A présent j'avais envie de pleurer, (...)
Pour réveiller l'idée de jardin qui dort en vous, adressez-vous à de grands livres. Faites preuve de respect, et donc abandonnez tout sentiment d'infériorité en vous libérant des préjugés qu'on vous a inculqués à l'école. N'oubliez pas qu'un livre est grand parce qu'il parle aussi de vous. Prenez possession du jardin de Calypso dans l'Odyssée. Perdez-vous dans celui d'Armide, dans la Jérusalem délivrée, explorez celui de Marsilio dans le Roland Furieux (...) les deux textes de l'Antiquité indispensables pour comprendre le rapport sacré entre l'homme et le monde végétal sont Les métamorphoses d'Ovide et les Géorgiques de Virgile. (p.150)
Aucun spectacle n'est plus douloureux que la destruction délibérée de la beauté, car la beauté par nature est désarmée. (p.116)
Un jardin est un endroit où un homme cultive des arbres, des buissons, des fleurs et des légumes par besoin et par plaisir. Le jardin ressemble à celui qui l'a conçu. Il reflète ses aspirations, ses compétences, ses folies, ses vertus.
(p. 9)
Personne, désormais, du moins dans son entourage, ne supportait plus de fleurs qui ne fussent blanches. "Les couleurs, c'est lassant, vulgaire..." Je me suis levé et je suis parti. De retour au jardin, j'ai contemplé avec tendresse une touffe de crinums blancs, en pensant au triste destin auquel je les avais arrachés en les achetant à la pépinière voilà quelques mois. Ils semblaient si heureux , caressés par les branches chargées de fleurs cuivre et jaune citron d'un vieux rosier chinensis Mutabilis et entourés de petites capucines orange grimpant sur les feuilles glabres.
Le bon goût sème ses ravages partout. Mais dans un jardin, c'est Gengis Khan. Sans doute parce que rien dans la nature n'est aussi beau que les arbres et les fleurs. Observez une feuille de chêne vert ou des pétales de narcisse. Avez-vous souvent l'occasion d'admirer un organisme vivant aussi délicat et complexe, de caresser ce que vous pourriez prendre pour un objet et qui en réalité palpite d'une vie mystérieuse? Observer une fleur, c'est comme observer une vie qui s'abandonne (la fleur ne s'enfuit pas comme le feraient une grenouille ou un papillon) tout en restant impénétrable. Aucune corrélation n'est plus discordante qu'entre la beauté et le bon goût.
C'est comme si on voulait mesurer les animaux, les dieux ou les êtres humains, trois catégories qui se ressemblent curieusement, au mètre étalon du bon goût. Car son exercice est la négation même du jardinage. Il voudrait contrôler, castrer et dessécher ce qui, dans la nature, aspire à atteindre sa forme et déborde de fertilité, de surprise, de lymphe.
Ces jardinets parlent la langue du grand jardinage. Héritiers de ces potagers urbains qui depuis le haut Moyen âge permirent aux villes de survivre, ils sont actes de solitude et de courage. Ils révèlent le besoin que l'homme a de la terre, son besoin de la remuer, de la toucher, son besoin de retourner aux racines. (p.86)