AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet

3.73/5 (sur 11 notes)

Nationalité : Suisse
Né(e) à : Fribourg , le 15/08/1845
Mort(e) à : Paris , le 06/07/1917
Biographie :

Victor Tissot est un homme de lettres et de presse suisse né le 15 août 1845 à Fribourg et décédé le 6 juillet 1917 à Paris. Il a joué un rôle dans le façonnement de l'imagerie régionale gruérienne.

Fils de Joseph Tissot, de Cottens, notaire et juge au Tribunal de la Sarine, Victor Tissot étudie au collège Saint-Michel, à Einsiedeln et Sion, puis il fréquente les facultés de Droit de l'université de Fribourg-en-Brisgau, Tübingen, Leipzig, Vienne et Paris. À Paris, il collabore à la rédaction du dictionnaire Larousse, à la rédaction de l'encyclopédie universel des contemporains de Gustave Vapereau ainsi qu'au Courrier français de Auguste-Jean-Marie Vermorel. Après une année de vie parisienne, il est nommé en 1867, professeur à l'Institut Thudichum, près de Genève. Dans le même temps, il entre à la Gazette de Lausanne (1868), où il lance, en 1871, un supplément littéraire hebdomadaire. Il est rédacteur en chef de la Gazette de Lausanne de 1870 à 1873, période de guerre où il prit parti des vaincus. Plus tard, il revient à Paris (1874) où il dirige notamment l'Almanach Hachette (1893) et inaugure, en 1891, le nouveau supplément littéraire du Figaro, journal dont il sera rédacteur en chef de 1888 à 1893. À la même époque, il fonde le journal Lectures pour tous. Il écrit également des récits sur la Suisse et l'Allemagne, qui connaissent un succès considérable. Il doit sa célébrité à son roman Voyage au pays des milliards (la Prusse), qui fut vendu en quelques semaines à 50 000 exemplaires. Grand voyageur devant l'Éternel, il revient régulièrement en Suisse ; il finit par s'installer dans la maison de Chalamala, bouffon du comte Michel, à Gruyères (Suisse). Il possédait également le chalet La Marmotte à Montbarry qui fut incendié en 1905. De 1911 à 1914, il édite l'Almanach de Chalamala, virulent opuscule contre l'autoritarisme du gouvernement cantonal en place. À l'approche de son décès, il décide de léguer sa fortune, ses considérables collections et sa bibliothèque à la ville de Bulle, dans l'optique de la création d'un musée.

L'histoire donnera suite au projet, sous la forme du Musée gruérien et de la Bibliothèque publique de Bulle, d'abord installées rue Victor-Tissot, puis relogées dans un bâtiment moderne en 1978.

+ Voir plus
Source : Wikipedia
Ajouter des informations
Bibliographie de Victor Tissot   (16)Voir plus

étiquettes

Citations et extraits (11) Voir plus Ajouter une citation
C'est vraiment une jouissance et une ivresse que de voyager dans la steppe, où la terre verte et le ciel bleu unissent leurs deux immensités ! Mais ce n'est pas à la veille de l'hiver qu'il faut parcourir ces vastes plaines. L'automne les assombrit de teintes tristes, qui leur prêtent un faux air de maladie et de souffrance.
Le triomphe de la steppe est au printemps, qui la couronne de rayons et de verdure. Alors, les tiges montent en fusées et retombent en pluie de perles et d'étoiles, de boutons et de fleurs. L'écorce des arbres se déchire, pareille à un corsage trop étroit, et sous la fine dentelle des premières feuilles, les bourgeons mettent de jolies pointes roses, comme des seins vierges de jeunes filles. Les oiseaux de passage reviennent, traversent les airs en longues troupes, s'abattent au bord des étangs et des rivières débordées. Du milieu des flots grossis par la fonte des neiges et qui, peu à peu, s'abaissent, les îles du Dniepr émergent de nouveau, laissant flotter dans le courant les longues branches des saules, comme des chevelures de femmes noyées. Debout sur les kourganes (tombeaux préhistoriques), on aperçoit de grands aigles, dans une immobilité héraldique, tandis que des éperviers planent en décrivant lentement des cercles noirs dans l'azur. Au-dessus d'un ravin, des outardes défilent en caravane précédées de leurs éclaireurs. Des tourbillons de corneilles passent comme une nuée sombre, chassée par un coup de vent, et s'en vont bien loin, s'abattre sur les maigres bouquets d'une oasis d'arbres perdue dans le verdoyant désert. L'air vibre, tout rempli de cris harmonieux ou stridents, de chants d'oiseaux, de bourdonnements d'abeilles, de sussurrements d'insectes, de grincements de sauterelles. Au crépuscule, les cailles jettent leur note monotone et les perdrix font entendre leur appel. Un concert formé de mille voix, des aubades et des sérénades délicieuses, réveillent la nature, cette belle aux champs dormant qui, toujours aussi jeune, rouvre les yeux au milieu de son palais restauré et refleuri.
La transition des neiges de l'hiver aux fleurs de printemps est si prompte, si brusque, qu'on dirait la naissance d'un monde nouveau, l'épanouissement subit d'une terre vierge sous la chaleur fécondante du soleil. Il y a dans les airs et dans les herbes une fête nuptiale charmante, un embrassement d'amour universel, des noces ailées et voltigeantes d'abeilles, de papillons, d'oiseaux; une montée de sève générale, une ripaille effrenée de baisers, une immense étreinte sur le lit frais et parfumé des herbes et des fleurs nouvelles ! On n'entend que battements d'ailes, frôlements d'écailles, roucoulements, gloussements et bêlements d'êtres pâmés. Tout s'agite, tout chante, tout aime et soupire dans une poussée de passion, dans une exubérance de vie, dans un élan fougueux de douce union. Et, au milieu de ces tendresses chantées, de cette musique de mélodies printanières, une volupté ineffable s'échappe de la terre chaude et frémissante de tant de caresses, monte dans l'air, vous envahit, vous trouble et vous grise !
Commenter  J’apprécie          44
Victor Tissot
Un des intendants du comte, arrivé de Kiev dans la soirée, rapportait les nouvelles du jour et racontait les derniers exploits des nihilistes.
- On continuait, disait-il, à opérer des arrestations en masse, mais le grand maître de police avait passé un vilain quart d'heure. Des individus à la figure grimée l'avaient forcé à monter dans un fiacre que conduisait un des leurs déguisé en cocher. Mené dans un endroit écarté, le haut fonctionnaire avait été roué de coups; après quoi, on l'avait obligé de donner, par écrit, quittance des horions reçus.
À Kharkiv, on avait procédé de la même manière à l'endroit du gouverneur général, mais celui-ci avait été gardé en otage. Un uniforme de fonctionnaire s'était présenté devant le gouverneur et lui avait dit :
- Monsieur le procureur m'envoie prier Votre Excellence de se rendre auprès de lui.
- Qu'y-a-t-il donc de si urgent ? demanda le gouverneur général.
- Nous sommes sur les traces des assassins du prince Krapotkine, et la présence de Votre Excellence parait absolument nécessaire.
- C'est bien, j'y vais, fit le gouverneur.
Et il sonna un domestique.
- Pourquoi Son Excellence sonne-t-elle ?
- Je veux faire atteler.
- Ce n'est pas nécessaire, M. le procureur a envoyé sa voiture, pour emmener son excellence.
- Ah, c'est bien, partons.
Le gouverneur monta dans la voiture, et depuis on ne l'a plus revu; les nihilistes l'ont mis sous séquestre.
- Ce sont les fruits des réformes libérales ! s'écria un grand vieillard sec, rasé de près, au visage long et jaunâtre, aux grandes dents et au menton carré, portant un habit bleu foncé à boutons d'or. Vous en verrez bien d'autres !... Autrefois, dans notre Sainte Russie, on ne savait pas ce qu'était un révolutionnaire, un nihiliste ! Il n'y avait que deux classes d'hommes : les nobles , groupés autour du tsar, et le peuple. Aujourd'hui, les écoles, les universités, les concessions faites à l'esprit libéral de l'Europe, ont créé une nouvelle classe turbulente, jalouse, mécontente, un Tiers-État composé de fils de popes et de marchands, tas de gens à demi-instruits, d'employés subalternes, d'artistes et d'hommes de lettres que la misère aigrit et qui, par haine contre ceux qui possèdent, se jettent dans les aventures révolutionnaires... Ce sont là les nihilistes, il ne faut pas les chercher autre part... La civilisation nous a désorientés. Elle nous a perdus, parce que nous n'avons pas de principes traditionnels, parce que nous n'avons tiré notre éducation politique que des livres, et de quels livres ! De ceux des philosophes allemands comme Schopenhauer, Hartmann, et des socialistes français comme Fourier et Proudhon !...
La discussion glissait sur un terrain dangereux. Il n'est pas prudent, même à huis-clos, de toucher à ces questions qui, en Russie, sont du domaine exclusif de la police. Le vide se fit aussitôt autour de celui qui parlait. C'était un ancien maréchal de la noblesse, propriétaire d'un immense domaine dans les environs de Kiev.
Commenter  J’apprécie          20
Je rassemblais mes paquets à la hâte et je descendis du wagon.
Il était deux heures du matin.
Un fiacre - était-ce bien un fiacre ? - horrible, délabré, estropié, démantibulé, attelé d'un cheval - était-ce bien un cheval ? - se détachant en squelette attendait, seul, devant la gare. Tout autour, rien, pas une maison, pas de lumière autre que le petit lumignon mourant des réverbères à huile pendus à leur poteau ça et là.
- Où est Berditschew ? demandai-je au cocher juif qui s'était approché de moi, et qui, agitant sa barbiche rousse d'un air méphistophélique, m'offrait ses services.
- Là-bas...
Il me montre un point invisible, évanoui dans les profondeurs flottantes de la nuit.
- Combien de temps faut-il pour y arriver ?
- Si Votre Honneur ajoute un bon pourboire au prix de la course, nous y serons dans un quart d'heure.
- Partons.
- Où faut-il vous conduire ?
- À l'hôtel.
J'aurais été bien embarrassé de lui donner une adresse. Qui est-ce qui est jamais allé à Berditschew ?
L'isvotchtchik monta sur son siège, fouetta sa hardidelle : "Ekh ! Ma !"
Elle s'ébranla en trébucha, et un craquement sourd, un bruit de ferraille fêlée, se fit entendre dans le fond de la voiture, qui n'était apparemment pas plus solide que la pauvre bête qui la traînait.
La pluie avait défoncé le chemin; de larges et profondes ornières s'ouvraient comme des trous noirs, comme des fossés où nous risquions de verser. L'eau des flaques, près des réverbères coiffés de leur chapeau de fer-blanc, avait des teintes sales et dégoutantes de vomissements et de sang coagulé. Sur quelques unes, plus larges, d'une teinte glauque, l'ombre mouvante du cheval aux hautes jambes grêles et au cou branlant, faisait danser une silhouette maigre et hérissée de bête fabuleuse, apocalyptique.
Pas un bruit. pas une horloge lointaine qui jetât dans l'espace sa note rassurante et familière. Nous traversions des terrains vagues, vides comme le néant.
Le cou tendu, l'oeil aux aguets, serrant entre mes jambes ma seule arme : un parapluie, je suivais avec méfiance les mouvements de mon cocher. Il me semblait qu'au lieu d'aller droit devant lui, il prenait un chemin compliqué de détours, qu'il cherchait des endroits écartés, et que dans sa marche louche de rôdeur de nuit, il s'isolait comme pour un rapide coup de main. La route s'allongeait, s'allongeait, agrandie par la nuit, la solitude et le silence. Tout à coup, mon imagination échauffée crut distinguer un bois. Je me préparais à une défense vigoureuse quand une éclaircie au ciel me montra, entre deux nuages, la face blême et railleuse de la lune éclairant les premières maisons de Berditschew. Maisons affreuses, ignobles, éborgnées, basses et plates, affaissées de vieillesse et de maladie, croulantes, aux murs de terre glaise fendus et ouverts, sur lesquels coulait, comme le pus verdâtre d'un abcès, un livide rayon lunaire.
Nous descendîmes à gauche. D'un côté, des terrains vagues s'étendaient parsemés de pierres blanches semblables à des ossements lavés par la pluie. On eût dit un charnier sur la place des exécutions. Près d'un mur défaillant, un réverbère à poulie dressait son cauteleux profil de potence. La rue continuait, ébauchée. Entre les fentes et les interstices des hautes clôtures de planches mal jointes, on apercevait des pans de ciel où, pareil à un paquet de loques, des nuages humides et grisâtres pendaient. Plus loin, quelques arbres levaient leurs branches dépouillées, dans une attitude suppliante, comme des bras maigres de mendiants ou de prisonniers.
D'un pas d'enterrement, nous gravîmes une pente boueuse, parallèle à une grande place vide, et nous nous engageâmes de nouveau entre deux rangées de maisons ensevelies dans une paix morte de cimetière.
Les roues de la voiture cessèrent tout à coup de geindre et de craquer. Nous étions arrêtés devant une bâtisse de mauvaise apparence, au-dessus de la petite porte de laquelle une lanterne aux vitres brisées accrochait comme une aigrette sa flamme rouge et tremblotante.
- C'est l'hôtel, me dit l'isvochtchik en sautant à terre. Et il appela, en cognant aux contrevents.
Au bout de quelques minutes pârut un domestique, un chandelier de fer à la main, les yeux caves et brouillés de sommeil, les cheveux ébouriffés, la chemise déguenillée, dans une tenue malpropre de garçon d'écurie.
Il prit ma valise et me conduisit par un escalier de bois gluant et glissant de boue, au premier étage, où, dans l'étroit couloir, deux domestiques dormaient étendus à terre, comme deux gros chiens. Il poussa une porte et me fit signe que c'était ma chambre.
Entre quatre murs de prison, je vis une table boiteuse, une chaise de paille, un canapé de cuir éventré, montrant ses entrailles de crin, un petit miroir fendu, criblé de tâches de rousseur, et un petit bois de lit qui n'avait qu'une paillasse.
- Et les draps ? demandai-je.
- Comment ?... Monsieur ne voyage pas avec sa literie ? fit d'un air étonné le polowai (garçon d'hôtel).
- Non, je voyage à l'européenne.
- C'est différent... Je vais aller voir si nous avons encore des draps, mais le prix de la chambre sera plus cher. C'est affiché.
Il me montra un carré de papier collé au mur, sur lequel était indiqué ce que coûtait la chambre avec ou sans lit complet.
Il y a trente ans, les lits étaient encore inconnus dans les auberges de campagne : on étendait le foin des tarentass (voitures à quatre roues) dans la salle commune, et tout le monde couchait dessus, pêle-mêle.
Le polowai revint avec quelque chose de flasque et de long qui ressemblait à un drap.
- Monsieur, me dit-il, il faudra vous contenter de ça... Nous n'avons pas de draps... On nous en demande si peu souvent !...
Il s'approcha du lit et y étendit une vieille nappe sale et déchirée.
Commenter  J’apprécie          11
Nous étions maintenant en rase campagne. Strelna est à quelques verstes de moscou. La plaine toutes blanche s'étendait autour de nous comme une mer couverte d'écume. Soulevée par les pieds des chevaux, la neige nous éclaboussait de sa poussière argentée. Et il nous semblait que c'étaient des coursiers marins qui nous emportaient dans une grande conque en forme de chariot. L'endroit vers lequel nous nous dirigeons est bien un peu mythologique.
Devant nous, le ciel incrusté d'étoiles aux reflets de topazes, des arbres découpaient les liens arabesques de leurs branches givrées et dénudées. C'était le Parc, la promenade d'été des Moscovites, leur Bois de Boulogne. Dès que les bourgeons éclatent, cette solitude se peuple de théâtres populaires, de cafés-concerts, de restaurants. Strelna se trouve à l'entrée du Parc, mais Strelna, de même que son concurrent Yard, reste ouvert toute l'année. C'est le restaurant de nuit le plus couru, celui où chantent les Bohémiennes, et où se font les parties doubles et les parties carrées des viveurs de Moscou.
Leurs jolis pieds, chaussés de bas de soie et de souliers de satin cachées dans une chaude chancelière, leurs petites mains pelotonnées dans un manchon ouaté, le corps emmitouflé dans une pelisse de satin en martre zibeline, la figure cachée sous des dentelles espagnoles comme sous un masque, les grandes dames ne dédaignent pas, dit-on, de venir jusqu'ici en escapades nocturnes et galantes, au triple galop d'une légère troïka. C'est si bon de sortir du convenu, de s'échapper de sa cage, de se glisser incognito dans les petits chemins de traverse ! Et puis, les femmes sont si curieuses ! On leur a dit que le parfum du vice est mortel; et elles veulent, comme Ève, voir si réellement cette fleur de pêché donne la mort.
Après les descriptions lyriques et hyperboliques de Théophile Gautier et de Fervacques, je m'attendais à des merveilles, à des splendeurs et à des sensations inconnues, à quelque chose de féérique. La déception a été profonde, complète. Figurez-vous un homme à qui on promet des montagnes d'or et qui se trouve en présence d'un monceau de feuilles sèches. Ah ! Qu'ils sont dangereux, tous ces poètes qui voient dans leur imagination au lieu de voir dans la réalité ! Ils vous farcissent la tête de bulles de savon. Le plomb vil, ils le transforment en or pur ! C'est à eux que nous devons cette belle invention de la courtisane vierge.
Meublés avec le luxe commun et économique des hôtels de troisième classe, ces salons de Strelna, que je m'imaginais ruisselants de dorures, émaillés de jolies femmes et de belles fleurs, étaient noyés dans une atmosphère de malaria et d'ennui qui faisait pitié. Les garçons sommeillaient derrière des tables vides. Et de toutes ces vieilles chaises, de toutes ces banquettes aussi maigrement capitonnées que celles qui y étaient assises, de ce comptoir de foire de Saint-Cloud avec sa roulette "à tous les coups l'on gagne", une odeur de débâcle, de mauvaises affaires et de mort semblait s'exhaler ! Et ce fameux jardin cité comme un "jardin d'Armide"... Ah ! Oui ! Parlons-en ! C'est une serre qui serait tout aussi gaie si elle était dans une cave. Les arbustes des pays du soleil y ont un air piteux de condamnés à la déportation dans une mine de Sibérie. Les palmiers resemblent à de grands troncs de choux effeuillés. Les autres arbres, on dirait qu'ils ont été faits à Nuremberg, à la mécanique. Au milieu de ces splendeurs, un jet d'eau pleure, avec mille grimaces, sur la tristesse du lieu qui ne l'a pas vu naître. Je vous jure qu'on n'éprouve pas la moindre "amoureuse rêverie" en se promenant sous ces "bosquets" sans mystère où le chant des oiseaux a été remplacé par le chantage des Bohémiens, hommes plus habiles encore à faire chanter les Russes que leurs petites Tziganes.
Celles-ci sont aussi une de ces mystifications colossales comme ne vous en réserve que l'Orient. Sauf deux ou trois, ces Bohémiennes "d'une séduction magique" sont toutes laides; elles n'ont même plus le type tzigane, ce sceau indélébile de leur race vagabonde et superbe. Parmi elles, j'en ai vu qui avaient les yeux et les cheveux pâles. Une Bohémienne blonde, c'est un corbeau blanc ! Elles se sont si bien acoquinées avec la civilisation qu'elles portent - elles, libres filles des steppes ! - les toilettes ridicules que la mode nouvelle a jetées au rancart et que Paris revend comme du neuf dans les régions lointaines.
Nous avons pris un petit salon particulier pour entendre chanter la bande. Elles sont venues, avec une douzaine d'hommes armés de guitare, se ranger devant la table où nous soupions.
Elles exécutent tour à tour des chansons russes, mélopées traînantes et mélancoliques comme les plaintes du vent dans les forêts de sapins, ou des chansons tziganes, folles d'entrain et toutes frémissantes d'ardeur passionnée, de fougue sauvage. Ces airs conservés dans leur tribu ont un rythme bizarre, un caractère étrange; ce sont des mélodies sans discipline, en dehors de toutes les règles et de toutes les conventions musicales. Elles ont bien l'excitation qu'il faut pour tirer le Russe de sa torpeur, pour le secouer, pour emporter son âme comme l'eau-de vie emporte la bouche !
Commenter  J’apprécie          00
Victor Tissot
Dès cette époque, on donna à tout le pays le nom d'Ukraine, qui vient de "kraïn", frontière, limite; et on appela Kosaks les habitants des campagnes qui s'armaient pour aller guerroyer contre les infidèles et les envahisseurs.
- Mais, à côté de ces Kosaks disciplinés, il y avait les Kosaks libres, espèces de brigands chevaleresques chantés par les poésies et les légendes populaires ?
- Oui, ils formaient de petites républiques, des communautés indépendantes que venaient grossir les serfs fugitifs, les moines défroqués, les repris de justice : gens de sac et corde, n'ayant rien à perdre et tout à gagner, poussés par leur esprit de vagabondage, d'indépendance et d'aventure, par leur besoin de mouvement continuel et d'action, leur soif de vol et de pillage.
- Tels étaient, je crois, les Kosaks Zaporogues ?
- Ce sont les plus fameux, ils s'étaient installés dans une île rocailleuse au milieu du Dniepr, pour garder le cours du fleuve. Un pont-levis donnait accès dans leur "setche", leur lieu de rassemblement fortifié. Ils logeaient là dans de grands hangars, et le temps qu'ils n'employaient pas aux exercices des armes, ils le passaient en fêtes joyeuses, dansant, buvant, jouant, ripaillant. Quand ils rentraient, tout gorgés de butin, dans leur enclos palissadé, c'étaient des orgies et des scènes d'ivresse dont le dénouement était souvent tragique.
Les femmes étaient bannies de ce cloître militaire. Mais dans les faubourgs de l'île, habitaient de belles juives toujours prêtes à troquer leurs caresses et leurs baisers contre les coupes d'or, les riches étoffes, les sequins enlevés par les Kosaks aux pachas turcs. Emportés par leurs petits chevaux rapides, ces sauvages cavaliers fondaient sur une ville ou un village comme un vol de vautours. Dans les steppes herbeuses qui les cachaient tout entiers, eux et leur cheval, ils chassaient à l'infidèle comme on chasse au loup, et suspendaient à leurs selles, par les cheveux, la tête coupée de l'ennemi.
Constantinople, la ville merveilleuse, la ville aux palais d'or, les attirait, comme elle avait attiré les Croisés. Ils rêvaient de ses harems et de ses sultanes, et plus d'une fois, les sentinelles tursques qui rêvaient aux remparts signalèrent l'approche des corsaires kosaks, dont les barques légères s'attaquaient aux gros navires de la flotte impériale.
Ils se proclamaient les défenseurs de la foi : "Que celui, chantaient-ils, qui veut pour la foi chrétienne, être empalé, roué, écartelé, nous suive !". Mais à dire vrai, le vol et les pillages les intéressaient bien plus que la défense de la religion. Quand ils rentraient les mains vides dans leur "setche", ils brisaient les boutiques des juifs et s'emparaient sans payer de tout ce qu'elles contenaient. La justice se rendait chez eux, en présence de toute la communauté, et la sentence s'exécutait à l'instant même, car le bourreau attendait près des juges, la hache en main. Il s'avançait vers le coupable et lui demandait sa tête, un de ses yeux ou un de ses bras. Les voleurs étaient attachés à un poteau d'infamie, et roués de coups. On enchaînait à un canon celui qui avait fait des dettes, et on le laissait ainsi, jusqu'à ce qu'un de ses camarades consentit à payer pour lui. Le meurtrier était couché vivant dans une fosse profonde. On posait sur lui le cercueil qui renfermait le cadavre de sa victime, puis on les couvrait tous deux de terre.
Ils étaient soumis à un chef suprême qui avait le titre de "hetman", et que les rois de Pologne investissaient eux-mêmes, en lui remettant l'étendard à queue de cheval, la masse d'arme et le sceau. Jamais peut-être ils ne se seraient insurgés contre les Polonais, si ceux-ci avaient eu assez d'habileté pour leur laisser leurs privilèges et respecter leur religion, à laquelle ils étaient très attachés. Mais les seigneurs polonais avaient chassé tous les moines ortodoxes et transformé les monastères en étables. Les enfants mouraient sans baptême, car les églises avaient été louées aux juifs, qui n'y laissaient entrer que ceux qui payaient. Si vous avez lu le "Tarass Boulba" de Gogol, vous devez vous souvenir que les cris de guerre qui éclataient alors parmi les Kosaks révoltés étaient : "Pendons d'abord les juifs, qu'ils ne puissent plus faire de jupes à leurs juives avec les chasubles de nos prêtres ! Qu'ils ne mettent plus de signes maudits sur les hosties ! Noyons toute cette sale engeance dans le Dniepr !". Les représailles des Kosaks furent terribles. Ils massacraient les enfants, coupaient les seins aux femmes, incendiaient les villages, et arrachaient, du genou à la plante des pieds, la peau aux malheureux juifs.
Commenter  J’apprécie          00
Le lendemain, la tête encore pleine de la féérique vision de la veille, je repris à pied le chemin du Kremlin.
Le Kremlin, c'est Moscou; et Moscou, c'est le coeur et l'âme de la Russie, le sanctuaire de la foi orthodoxe, le foyer d'une pensée commune qui ralliera un jour tous les "frères slaves dispersés".
Moscou est la vraie capitale de l'empire, c'est la fille légitime et robuste des tsars barbus et terribles, tandis que Saint-Petersbourg n'est qu'une capitale bâtarde qui eut pour mère et nourrice une étrangère : la civilisation allemande.
Avant même de franchir l'enceinte de la forteresse religieuse et guerrière, que de souvenirs sur cette Place Rouge que nous traversons ! Tout semble vous arrêter pour vous parler du passé. Et comme cette place est bien nommée ! Elle n'est pas belle, - car rouge et beau sont synonymes en russe, - mais elle est rouge, vraiment rouge de sang ! C'est ici qu'Ivan fit mutiler les conseillers de son fils, fouetter publiquement l'archimandrite d'un grand monastère et brûler dans une cage de fer deux conspirateurs polonais.
Le 26 août 1705, le jour même où Pierre Ier avait ordonné à ses boïars de se raser, et où il s'était rasé lui-même, on vit se dresser tant de potences sur la Place Rouge, qu'elle ressembla à une forêt. Et deux mois plus tard, des hommes à cheval, armés de lances et de fouets, poussaient comme un troupeau effaré sur cette sinistre place, des hommes à pied, en haillons, brisés de fatigue, amaigris par la faim, liés deux à deux par des cordes. Dans leur main gauche, ils tenaient un cierge allumé, et derrière eux des femmes et des enfants marchaient en chantant les tristes et funèbres complaintes des funérailles. Ces hommes étaient des soldats, c'étaient des rebelles : un premier convoi de strelitz (soldats de la milice nationale).
Qu'avaient-ils fait ?
Ils avaient voulu rester Russes.
Ils avaient opposé la force aux réformes, aux récentes atteintes portées par Pierre Ier aux usages, aux moeurs et aux traditions nationales. Ils avaient refusé les habits à l'allemande, ils n'avaient pas voulu quitter leur cafetan ni couper leur barbe; ils n'avaient pas voulu non plus se soumettre à des aventruriers étrangers, se courber sous la baguette des caporaux allemands. On leur avait dit que les "niemtsi" (Allemands) s'étaient emparés de Moscou, que Pierre Ier était mort; et ils étaient accourus. On les dispersa à coups de canon; on en fit beaucoup prisonniers. Et maintenant, on les pendait ! La pendaison n'allant pas assez vite, on en décapita et on en roua un bon nombre. Le tsar se mit lui-même à l'horrible besogne. Et pendant sept journées, on tua sur la Place Rouge comme dans un abattoir ! Mille cadavres avaient été accrochés aux créneaux du Kremlin, qui ressemblait à un immense charnier.
Le dernier jour, comme il ne restait plus que deux condamnés à exécuter pour arriver à un grand et beau jeune homme qui se distinguait parmi ses camarades par son attitude calme et fière, le tsar, frappé de tant d'énergie, s'approcha de lui :
- Tu n'as donc pas peur de mourir ? lui demanda-t-il.
- Je n'ai peur de rien, répondit simplement le prisonnier.
Pierre causa quelques instants avec lui, et soudain, il lui ordonna de sortir des rangs et lui dit qu'il lui faisait grâce.
Ce soldat s'appelait Orlof.
C'était l'aïeul de l'ambassadeur actuel de Russie à Paris. Il devint officier. Plus tard, la faveur de Catherine porta ses fils aux plus hautes dignités de l'empire.
Commenter  J’apprécie          00
J'ai vu un jour, dans le salon d'un de ces boïars moscovites, une Diane couchée, mystérieusement exposée dans une sorte de chapelle où brûlait une lampe d'argent. Des divans recouverts de tapis orientaux garnissaient ce sanctuaire dédidé à l'amour et à la beauté. - Et les boudoirs de certaines "honnestes et grandes dames" ! On les dirait calqués sur les fantaisies à outrance de "La Vie Parisienne". Une lumière discrète, filtrant à travers les filaments nacrés et soyeux d'un rideau d'amiante, ajoute à leur caractère intime et nuptial. Et ces divans de peluche bleue, drapés de soie comme des lits, ces peaux d'ours blancs qui étendent leur chaude molesse sous vos pieds, ces portières d'Orient à demi fermées, ces murs tendus d'étoffes de Boukara ou du Caucase, ces images de vierges orthodoxes et ces statues de déesses païennes, ces brûle-parfums chinois dont l'odeur vous trouble et vous enivre; comme tout ce luxe asiatique, arrangé avec un bon goût tout parisien, justifie ce qu'on a dit de la femme russe : "Une Parisienne greffée sur une Orientale".
Dans ces salons, l'hiver est un véritable printemps d'amour !... L'hiver, en Russie, c'est la saison des fleurs, la saison des jolies femmes au tein mat comme la neige, aux yeux noirs comme le jais, aux lèvres rouges comme le corail. - Ô belles filles du Nord , que vous êtes blanches, et comme l'hiver, en mettant autour de vous son grand cadre d'argent, fait ressortir votre blancheur de lys et votre grâce de cygne sauvage ! L'hiver russe n'est pas ce vieillard maussade et cacochyme qui nous visite et vient pleurer dans nos gouttières, tousser au coin de nos cheminées, souffler dans nos chambres le chaud et le froid. L'hiver russe est d'une trempe vigoureuse. C'est un jeune homme plein de sève et d'entrain, à qui il faut les fêtes, les bals, les dîners, les réceptions. Et c'est en hiver que sous ces zones d'apparence glacée, chante et fleurit le doux printemps d'amour ! Dans les corsages de dentelle aussi blancs que les pommiers en fleurs, les coeurs gazouillent comme les oiseaux dans les nids printaniers. Des camélias, des palmiers, des arbustes à l'arôme subtil, ombragent les divans des salons; les chambres deviennent des serres et des jardins. Tandis qu'au dehors, tout est engourdi, tout semble mort, ici, dans ces chauds intérieurs, tout bourgeonne, verdit et s'épanouit, et les fenêtres se drapent de plantes grimpantes. Dans les plus pauvres auberges de campagne, on trouve des fleurs. La chambre où couchent les voyageurs est souvent tapissée de lierre cultivé dans des pots, et avant de s'endormir, les voyageurs peuvent répéter avec le poète : "Ô enchantement aux doux frissons ! L'hiver se transforme en mois de mai, la neige se change en fleurs printanières, et le coeur aime de nouveau !"
Commenter  J’apprécie          00
On dirait vraiment que dans ces immenses plaines vides de la Grande-Russie souffle un vent de folie qui détraque les cervelles. On connaît une vingtaine de sectes, sans compter les nouvelles qui se fondent chaque jour. Parmi ces sectes, il y en a d'horribles, d'abominables, de sanguinaires, de monstrueuses. Celles-ci adorent la Vierge sous la forme d'une jeune fille toute nue qui descend ensuite de son autel pour distribuer publiquement ses faveurs; celles-là se flagellent, sautent et se trémoussent : quand la surexcitation est arrivée à son paroxysme, le chef déclare qu'il "entend chanter les anges", et c'est alors dans la forêt où ils se réuissent l'été, ou dans le hangar où ils s'assemblent l'hiver, des scènes de lubricité qui ne peuvent se décrire.
Il y a aussi les Vagabonds, qui ne meurent qu'en plein air; les Molkani, dont l'organisation est calquée sur celle de l'église primitive, les Khlysti, qui se regardent tous comme des dieux; les Snokhary, dont la secte a plusieurs rapports avec certaines sectes mystérieuses de l'Inde. Dans cette dernière, les pères obligent leurs fils à se marier à l'âge de douze et quatorze ans avec des jeunes filles de dix-huit à vingt, et ils vivent avec leurs brus. Les Kalystovschiny forment une secte de pleureurs qui inondent la terre de leurs larmes pour y effacer le pêché, et qui se fustigent jusqu'à rendre l'âme. Ils ont horreur du sel, et n'en mettent jamais dans leurs aliments. De son vivant déjà, le chef de famille achète son cercueil, et y dort pour s'habituer à sa dernière demeure. Ces gens-là ont inventé les enterrements civils bien longtemps avant nous. On ne transporte jamais leurs morts à l'église et aucun prêtre ne suit le convoi. Dans quelques sectes, ce sont les femmes qui remplissent les fonctions sacerdotales et lisent les prières.
Les sectaires qui se rapprochent le plus de l'église orthodoxe sont les vieux ritualistes ou vieux croyants. Il n'y en a pas moins de sept millions. Les autres sectes que nous avons rapidement énumérées comptent de trois à quatre millions d'adhérents, appartenant non seulement à la classe populaire, mais aussi à la classe bourgeoise et marchande. (...)
La résistance que les sectaires opposent à l'État est passive, systématique; et les doctrines qu'ils professent, aussi bien que leur opposition aux autorités civiles et écclésiastiques, font d'eux les auxiliaires inconscients de la révolution : leurs croyances sont une sorte de nihilisme religieux.
Commenter  J’apprécie          00
Nous nous faisions aussi raconter, par les paysans eux-mêmes, quelques uns de ces jolis contes populaires petits-russiens comme en ont recueilli les Koulich, Les Kostromanof, les Tchoubinski, les Dragomanof. Contes un peu salés, parfois, roulant sur les moines et les coureurs d'aventure, contes qui peuvent se répéter, mais difficilement s'écrire. Un vieux Kosak nous avait dit la légende de l'eau-de-vie.
Un jour, les habitants du ciel se mirent tout à coiup à éternuer et à se moucher, incommodés par une âcre fumée qui montait de la terre. Le Très-haut appela Saint-Pierre et lui dit : "Va donc voir quelle atroce cuisine ils font là-bas". Saint-Pierre descendit sur la terre, et s'approchant de l'alambic d'où s'échappait l'âcre fumée, il trouva des homlmes qui riaient et qui chantaient, et qui lui offrirent à boire. Il faisait très chaud. Saint-Pierre, qui suait à grosses gouttes, prit sans façons le verre qu'on lui tendit : "Peste ! s'écria-t-il en passant sa langue sur ses lèvres, voilà une eau excellente comme j'en ai rarement bu". On lui en versa un nouveau verre. Il en demanda un troisième, puis un quatrième, puis un cinquième, puis il perdit l'équilibre, roula sur l'herbe et s'endormit.
Au ciel, on commençait à être inquiet. La fumée continuait de monter et Saint-Pierre ne revenait pas. Le Très-Haut appela Saint-Paul : "Va un peu voir, lui dit-il, ce que fait Saint-Pierre. Le malheureux a peut-être perdu sa clé; il ne peut plus rentrer."
Saint-Paul prit le même chemin que Saint-Pierre. Il trouva celui-ci ronflant sous un arbre. On lui offrit aussi un petit verre d'eau-de-vie pour qu'il se rafraîchit. Il en but un, il en but deux, il en but trois, jusqu'à ce qu'enfin il tombât à son tour par terre, à côté de Saint-Pierre.
Au ciel, l'inquiétude grandissait. Le Très-Haut appela alors Saint-Georges, qui avait une grande épée et qui était habitué à combattre contre les démons; il lui donna l'ordre d'aller immédiatement à la recherche de Saint-Pierre et de Saint-Paul, et de les délivrer s'ils étaient prisonniers.
Saint-Georges coupa la queue du diable qui faisait l'eau-de-vie, le chassa et ramena au ciel les deux apôtres, qui se donnaient le bras et allaient encore en titubant.
Commenter  J’apprécie          00
Par leur manière d'être, leur organisation, leur état social, les Russes forment le peuple le plus jeune de l'Europe.
La décrépitude n'est que dans la capitale, à Saint-Petersbourg, ville plus allemande que slave, et qui subit, depuis sa fondation, le contact d'une civilisation étrangère. Pierre le Grand ne put germaniser que sa capitale, sa cour, ses fonctionnaires et ses bureaucrates. Le peuple résista à tous ses ukases, conservant, malgré les menaces, sa barbe et son costume, ses moeurs et ses traditions.
Intact, le paysan personnifie la Russie vierge, la Russie silencieuse qui attend et n'a pas encore parlé.
Ah ! Pauvre moujik, qu'on méprise et qu'on bafoue, c'est toi qui es l'avenir, car tu es le peuple, et le peuple russe aura son jour !
Comme on te méconnaît, pauvre moujik ! Pour le voyageur de table d'hôte, pour celui qui passe en ne voyant que ta face barbue, ta pelisse de mouton, graisseuse et déchirée, tu es la bête, l'ivrogne, la "masse noire" qui ne remue que sous les coups de pieds des fonctionnaires, ou devant le verre d'eau de vie.
Pauvre moujik , que serait sans toi la Sainte-Russie ? N'es-tu pas le fondement, les assises solides sur lesquelles repose l'énorme et lourd empire ? N'est-ce pas ta main calleuse, ton bras robuste, qui sème le pain ?
Le sang qui rougit les champs de bataille ne sort-il pas de tes veines généreuses ?
On te reproche ta paresse ? Mais n'es-tu pas fils d'une mère qui dort, d'une terre couverte de neige pendant huit mois de l'année, et qui tout à coup se réveille, passant brusquement, sans transition, des blanches fleurs de la mort aux fleurs roses du printemps et de la vie ? - Ton histoire est aussi un long hiver, une longue nuit. Mais ton printemps viendra et refleurira, car tes racines sont vivaces et pleines d'espérance. Les yeux fixés sur les étoiles qui commencent à poindre au-dessus de toi, tu attends. Et l'heure n'est peut-être pas loin où, retroussant tes manches sur tes bras poilus, secouant ton épaisse chevelure, tu vas faire la terrible irruption dans l'Histoire en bousculant le Germain !
Commenter  J’apprécie          00

Acheter les livres de cet auteur sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten

Lecteurs de Victor Tissot (17)Voir plus

¤¤

{* *}