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472 pages
E. DENTU, ÉDITEUR (12/12/1878)
4/5   1 notes
Résumé :
Paris
E. Dentu, éditeur
Librairie de la Société des Gens de Lettres
Palais-Royal, 15-17-19, Galerie d'Orléans
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D'origine suisse, Victor Tissot fit néanmoins surtout carrière en France, où son érudition et son écriture soignée le firent très vite remarquer de la presse parisienne. Chroniqueur aimable pour Le Figaro, il fut aussi un des collaborateurs du dictionnaire Larousse. Mais la vie de cet homme de lettres changea radicalement quand il décida de se lancer dans le récit de voyages, choisissant des destinations qui n'étaient alors pas très courues en France car bien peu exotiques : le royaume de Prusse, l'Allemagne, puis toute l'Europe Centrale jusqu'à la Russie.
Victor Tissot fit polémique pour plusieurs raisons, la première étant d'écrire sur la Prusse seulement cinq ans après le désastre de 1870, ce qui ne plaisait pas à tout le monde. Heureusement, citoyen suisse par définition neutre, Victor Tissot évita habilement les accusations de traîtrise patriotique qu'un écrivain français n'eut pas pu éviter à sa place. Son « Voyage au Pays des Milliards » (1875), qui sera suivi par deux autres tomes « Les Prussiens en Allemagne » (1876) et « Voyages aux Pays Annexés » (1877), explore le royaume de Prusse, puis d'Allemagne, ainsi que les pays et régions françaises annexées par les différentes invasions prussiennes initiées par Bismarck, cela avec une neutralité de façade subtilement germanophobe, tout en louant tout de même habilement le patrimoine royal et le prestigieux passé de la Prusse, ainsi que ses accointances plus harmonieuses avec le défunt royaume de France.
Ces trois livres – et tout particulièrement le premier – rencontrèrent un succès phénoménal en France, ce qui lança définitivement Victor Tissot dans une carrière littéraire qui s'étala sur vingt ans, jusqu'à l'épuisement des lecteurs. Non seulement Victor Tissot sut se renouveler et varier ses destinations, mais il s'offrit aussi quelques incartades fort appréciées dans le roman-feuilleton, le plus souvent en compagnie d'obscurs mais chevronnés spécialistes du genre, comme Constant Améro ou Georges Maldague.
Très vite, cependant, la valeur pédagogique de Victor Tissot fut remise en question, notamment à la suite d'un assez grave incident diplomatique de la France avec la Hongrie, où l'on avait été scandalisé de son livre « Voyage au Pays des Tziganes » (1880), contenant des passages extrêmement diffamatoires sur l'histoire de la Hongrie.
Comme on l'a dit, Victor Tissot était à la fois un excellent écrivain et un érudit, mais comme un érudit ne peut pas tout savoir, et que ses longs voyages touristiques l'obligeaient à noter sur le vif des centaines d'informations sur un pays, il arrivait probablement que, rentré chez lui, l'auteur constatait que quelques uns de ces détails s'avéraient lacunaires. Et comme Victor Tissot, à l'image de la nature, avait horreur du vide, ce qu'il n'arrivait pas à savoir sur l'histoire d'une ville ou d'un personnage célèbre, il l'inventait, tout bonnement.
De plus, n'étant ni historien, ni géographe, Victor Tissot écrivait ses livres un peu à la manière d'enquêtes journalistiques, soigneusement découpés en chapitres thématiques, carrés, formatés, pouvant se lire indépendamment les uns des autres, voire même dans le désordre. La tentation était donc grande, quand il s'agissait de boucler un chapitre et que Victor Tissot remarquait qu'il lui manquait dix pages ou la fin d'une anecdote, de laisser voguer son imagination jusqu'à ce que le texte final remplace parfaitement l'encart qu'il avait choisi.
De son métier de journaliste, Victor Tissot avait aussi gardé un certain goût pour le sensationnalisme, conscient des bas-instincts et de la curiosité mal placée du lecteur, et hautement désireux de ne pas le décevoir, ce qui l'amenait, quels que soient le pays, la région, la ville dont il traitait, à toujours longuement parler de la beauté féminine locale, du côté peu farouche de ces demoiselles envers les Français à la réputation inaltérable, des bordels et des lieux de prostitution – avec toutes les bonnes adresses – ainsi que, pour satisfaire les pulsions morbides du Français moyen, un inévitable chapitre sur les meurtres célèbres, les prisons locales, les tortures infligées aux prisonniers et les différents modes d'exécution, avec pléthore de détails sanglants – mais tout cela narré avec beaucoup de pudeur, de sentiments offusqués, prétextant qu'il faut dire toute la vérité, et toutes les vérités, même les plus douloureuses.
Ce racolage vulgaire, à peine dissimulé par un art subtil de l'hypocrisie diplomate, est pour beaucoup dans la réputation calamiteuse qui finit par rattraper Victor Tissot au fil des ans.
En 1895, il mit fin à cette carrière de globe-trotter et passa les vingt dernières années de sa vie dans la propriété suisse qu'il avait acquis grâce à l'argent gagné avec sa littérature. Dès lors, il se passionna pour le district de Gruyères où il vivait, et rassembla patiemment des documents uniques et rares afin d'établir une histoire "gruérienne", qui fait encore aujourd'hui autorité. À sa mort en 1917, son imposante collection fut léguée à la ville de Gruyères, afin de créer un Musée Gruérien, qui existe encore de nos jours. Ainsi, cet écrivain, qui fut en France un pionnier élégiaque du cosmopolitisme et du tourisme sexuel, reste surtout connu, en Suisse, comme un historiographe régional tout à fait convenable.
Il est intéressant de découvrir Victor Tissot au travers de ce quatrième voyage, « Vienne Et La Vie Viennoise » (1879), d'abord parce que c'est, d'une certaine manière, un difficile exercice de style où l'auteur doit beaucoup donner de lui-même. Il s'agit en effet non pas d'explorer un pays tout entier, mais une ville européenne qui, aussi prestigieuse soit-elle, offre nécessairement moins de choses à raconter.
D'autant plus que Vienne est une ville absolument magnifique, à l'imposant patrimoine culturel, mais reconnaissons qu'une fois que l'on a dit ça, on a un peu tout dit. L'architecture de la Ville est, du moins en 1879, un peu la même partout, son histoire est relativement sereine, traversée par des personnages mythiques à l'existence paisible. Or, Victor Tissot est un graphomane, ses livres font généralement 400 à 500 pages, un format très copieux pour l'époque. Trouver de quoi remplir 500 pages sur Vienne en y étant resté que quelques mois est une gageure dont l'auteur est conscient. Aussi son livre sur Vienne s'ouvre sur… Venise, puis Trieste, deux villes qu'il traverse pour se rendre à Vienne, et qui occupent bien les 80 premières pages de ce livre. Cependant si Victor Tissot est un peu hors-sujet, il sait tirer un trait d'union entre Venise, Trieste et Vienne, de par les extrêmes beautés de ces trois villes, différentes mais selon lui complémentaires.
Comme il faut encore broder pour noircir plus de papier, Victor Tissot s'offre deux rencontres fort imaginaires, la première avec l'héritier légitimiste du trône de France, le Comte de Chambord, réfugié, selon Victor Tissot, dans son château à Goritz, alors qu'en réalité Henri d'Artois vivait au château de Frohsdorf, à Lanzenkirchen, à plusieurs centaines de kilomètres au sud. Rien que ce détail et l'absence totale du nom de Frohsdorf suffisent à nous faire comprendre que cette anecdote est inventée. Par ailleurs, cette entrevue totalement inutile avec le prétendant au Trône de France est un monument de flagornerie cauteleuse dont sans doute l'intéressé a pu se sentir flatté, ce qui l'a sans doute dispensé de crier à la diffamation. L'important, c'est que tout ça fait encore gagner 30 pages....
Ensuite, dans la ville de Bruck An der Mur (que l'auteur orthographie incorrectement "Brück Und der Mur" , Victor Tissot rend visite au célèbre écrivain allemand Leopold von Sacher-Masoch et à son épouse Wanda, qui n'ont pourtant jamais habité dans cette ville. Là aussi, tout cela est pure invention, même si on sent Victor Tissot sincèrement admiratif de l'écrivain. Cependant, il se trompe en écrivant le titre de son oeuvre-phare, « La Vénus à la Fourrure », qu'il ne cite qu'une fois vers la fin de l'entrevue, comme « La Vénus à la Pelisse », sans doute influencé par le titre original allemand, « Venus Im Pelz ». le peu de place que Victor Tissot consacre d'ailleurs à ce roman laisse penser qu'il ne l'avait pas lu, et n'en connaissait pas le thème
Enfin, après tous ces interviews imaginaires, Victor Tissot arrive à Vienne, et il nous offre quelques magnifiques descriptions de la ville, notamment sur le plan architectural. Il consacre aussi un très intéressant chapitre sur le « Stock Im Eisen », le tronc ferré de Vienne, ce très curieux arbre du XVème siècle, constellé de gros clous et cerclé par plusieurs ferrages, dont l'origine est à peu près inconnue, expliquée seulement par une légende fantastique impliquant le Diable. Aujourd'hui, cet arbre est enchâssé au coin d'un bâtiment et protégé par un tube en plexiglas, mais en 1879, il se dressait encore tel quel au milieu d'une place aujourd'hui disparue. Victor Tissot prend un certain nombre de libertés avec la supposée légende autour de l'arbre, mais il y a quelques très beaux passages sur ce vestige insolite.
Très vite à bout de curiosités, réduit à des descriptions assez monotones d'une architecture magnifique mais uniforme, Victor Tissot se réfugie ponctuellement dans des relatations de faits historiques, plus ou moins farfelues, notamment sur les grands compositeurs qui ont marqué l'histoire de Vienne, particulièrement Mozart et Johann Strauss Père, au sujet desquels il enchaîne des anecdotes enfantines que l'on ne trouvera reproduites nulle part ailleurs, comme celle décrivant un Strauss de 4 ans, déjà saisi par la vocation musicale, s'entrainant au violon avec un bâton et une vieille chaussure.
Enfin, Victor Tissot termine sa visite viennoise par les quartiers chauds, les endroits où l'on valse – dotés d'un haut potentiel érotique à cette époque - et les prisons pour condamnés à mort, lesquelles hélas n'ont rien de spécifiquement viennois, malgré le mal que se donne l'auteur pour nous en convaincre.
Au final, on ressort de « Vienne et la Vie Viennoise » avec un sentiment un peu mitigé : certes, Victor Tissot est un excellent conteur, au style à la fois sobre et romantique, qui transcrit merveilleusement bien toute la magie de cette Vienne d'antan. Si cela n'échappe pas au lecteur astucieux, le côté factice et trivial de certaines anecdotes ou rencontres choque moins aujourd'hui, où tout cela semble noyé dans les brumes du temps, qu'il ne devait le faire à l'époque. En bon auteur populaire, Victor Tissot fait la part du vrai, et la part de ce qui, nécessairement, doit être un peu appuyé ou fantasque pour faire rêver ou frissonner le lecteur, mais il mélange ensuite le vrai et le faux, tout en gardant un style pédagogue et culturel. Heureusement, cette approche subjective apparaît aujourd'hui moins fumiste : Victor Tissot se mettant lui-même en scène et ne cachant pas tout ce que ses observations peuvent avoir de personnelles, il se rapproche involontairement d'une autofiction moderne, à la subjectivité assumée. Néanmoins, ce travail aurait peut-être gagné à être plus littéraire et à moins se prétendre journalistique, surtout au vu des nombreuses erreurs et libertés commises par l'auteur. Sans doute Victor Tissot ne s'illusionnait-il pas sur le poids littéraire de son nom et supposait que les destinations qu'il traitait restaient la première motivation de ses lecteurs. Gageons qu'il n'avait sans doute pas tout à fait tort.
Mais à l'image de ce que laissent perler ses autres livres, Victor Tissot apparaît ici comme un auteur ambigu, instructif et pédagogue – car quand il sait quelque chose, il le sait vraiment en détail – mais peu digne de confiance – car propre à bâcler ou à inventer ce sur quoi il manque d'informations. Il y a aussi chez lui un désastreux problème de rigueur sur les termes germaniques, la plupart incorrectement orthographiés, laissant d'ailleurs supposer que certains noms lui ont été communiqués oralement sans qu'il ne les ait jamais vus écrits.
Souvent passionnant, mais parfois monotone et répétitif, « Vienne et la Vie Viennoise » ne compte pas parmi les livres les plus aboutis de Victor Tissot. Cependant, le relatif minimalisme du thème permet de mesurer avec justesse les qualités et les défauts de cet écrivain, qui a probablement surtout eu le tort de vouloir obstinément tirer 472 pages d'un séjour plaisant mais peu excitant, dans une capitale qui gagne sans doute davantage à être vue qu'à être racontée.
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