Walker Percy

L'incroyant d'aujourd'hui est fou parce qu'il se trouve né dans monde de merveilles infinies, sans avoir la moindre notion de la façon dont il arrivé là, un monde dans lequel il mange, dort, chie, baise, travaille, vieillit, tombe malade et meurt – et il est tout à fait satisfait qu'il en soit ainsi. Pas une seule fois dans sa vie entière, il ne lui vient à l'esprit de se dire que sa situation est burlesque, qu'une explication lui est due. Pas une seule fois il n'exige cette explication et refuse de jouer un acte de plus à la farce si cette explication ne vient pas tout de suite. Non, il prend son confort et ses aises, il joue le jeu, regarde la télé, boit son petit verre, rit, invective les politiques, et de temps en temps, pour alléger son ennui de la farce (dont il est à peine conscient), il part en guerre pour tirer sur d'autres gens – absolument comme si sa prostate n'allait pas devenir cancéreuse, ses artères se changer en craie, ces cellules grises crever par millions, comme si les vers n'allaient pas le coincer à la seconde suivante.

(...) l'action que je me propose d'entreprendre est la conséquence de ma prise de conscience tardive, de mon éternelle dépendance de telle ou telle personne, comme mon père ou vous-même (vous en saviez, supposais-je, plus long que moi), ou bien de tel ou tel livre ou théorie, comme celle du Dr Freud (elle contenait, me disais-je, le Grand Secret de sa vie, si tant est que pareille chose existe). Ma découverte (également tardive), c'est l'échec total, la veulerie et la trou-du-culdité des gens en général, et notamment des gens dont je faisais grand cas.

Il existe un remède certain contre les explorations cosmiques, les idées grandioses sur Dieu, l'homme, la mort, le suicide, etc. - c'est la nausée. Je défie un homme affligé de nausée d'accorder une seule pensée à ces vastes sujets. Un homme nauséeux est un homme sans passion. Un homme nauséeux est un homme détaché.

Et le "dévouement" se situait quelque part au nord de l'amour et au sud de la sincérité.

- Pareillement et en outre. Est-ce que vous ressentez un calme souriant avec moi, avec une douceur pour moi dans les régions profondes.
- Oui, dans les régions profondes une douceur, avec le calme souriant.
- Est-il possible qu'il existe une vie comme ça ?
- Comme quoi ?
- Comme une vie de calme souriant avec quelqu'un d'autre, et la douceur pour vous au fond de moi, et le jeu, les ébats, le cher doux amour tout au long du jour, même à quatre heures de l'après-midi pour métamorphoser la vieille solitude marécage jaune-vert en être-avec-vous-dans-l'aise et non dans le malaise ?
- Oui, c'est possible.
- Une chose pareille, possible ? Quel miracle, et nous n'avons même pas parlé des nuits.
- Non, non.
- Vous vous rendez compte ? Dix heures de noir chaque nuit !
- Oui, vous vous rendez compte ?

(...) parce que je ne sais pas en réalité ce que veut dire "aimer", sauf, lorsqu'on l'applique aux sentiments à l'égard des enfants - et dans ce cas, c'est peut-être seulement l'expression de la responsabilité que l'on ressent pour leur terrible vulnérabilité dans une vie qu'ils n'ont jamais demandée. On aime les enfants, surtout les siens, parce qu'ils sont là sans rien avoir fait pour cela, introduits dans la même grosse farce que nous vivons, vous et moi - mais sans le savoir encore, aussi heureux en fait que des grillons dans leur trou, et nous ferions n'importe quoi, vous et moi, pour qu'ils restent toujours ainsi, n'est-ce pas ? Est-ce cela l'amour ?

Il s'était toujours projeté en avant d'un passé sombre dont il ne pouvait pas se souvenir vers un futur qui n'existait pas encore. Pas une seule fois il avait été présent pour sa vie. Et sa vie s'était donc écoulée tel un rêve. Est-il possible que des gens manquent leur vie comme l'on manque un avion ? Et comment se fait-il que la mort, la proximité de la mort, puisse restituer une vie manquée ?

L'arrangement est dérangement. Quand l'arrangement est arrangé, vous ne savez pas quel est l'ensuitement.

Ne sois pas en colère contre père et mère. Ils t'aiment autant qu'ils comprennent l'amour, autant que la plupart des gens.

Il y avait le chat. Allongé là, dans le soleil, ses besoins satisfaits. Pour lui, tous les endroits se valaient, du moment qu'il y avait du soleil - pour lui, point de sottises sur des vieux coins hantés, couverts d'herbes folles quelque part au Mississippi, ou sur une vie toute neuve dans un endroit tout neuf de Caroline - le chat était exactement cent pour cent chat, ni plus ni moins. Tandis que Will Barrett, tandis que les gens aujourd'hui... Jamais ils n'étaient cent pour cent eux-mêmes. Ils occupaient un espace, non sans peine et avec plus ou moins d' insuccès. Au mieux, ils étaient eux-mêmes à quarante-sept pour cent - ou très rarement, dans le cas d'Einstein dans le tramway, à trois cents pour cent. Comment la grande aspiration de soi peut-elle espérer jamais être un chat dodu somnolant au soleil ?

Depuis mercredi j'ai conscience de la présence des juifs.Comment je m'en suis rendu compte?Parce que dès que je m'approche d'un juif,mon compteur Geiger se met à crépiter comme une mitrailleuse (...) A l'époque où j'avais des amis, ma tante Edna,,qui s'intéresse à la théosophie avait noté qu'il étaient tous juifs.Elle savait même pourquoi: Dans une vie antérieure j'avais moi-même été juif.En tout cas il est vrai que je suis juif par instinct,nous partageons le même exil.Le fait est pourtant que je suis plus juif que les juifs,Ils se sentent plus chez eux que moi. Autre preuve de ma judéité: l'autre jour un sociologue a révélé dans un rapport que,dans une proportion remaquablement élevée les gens qui vont au cinéma sont des juifs.
Les juifs sont mon premier indice sérieux.

Mon oncle Jules est le seul homme que je connaisse dont la victoire sur le monde soit totale et sans réserve.Il a gagné énormément d'argent,il a beaucoup d'amis,il a été roi du mardi gras.Il est généreux de son temps et son argent.C'est un catholique exemplaire,mais on a du mal à comprendre pourquoi il se donne autant de peine:La cité des hommes est si agréable que la cité de Dieu n'a pas beaucoup à lui offrir.A regarder le monde avec ses yeux,je comprends pourquoi il l'aime et veut le garder tel qu'il est :Un lieu d'amitié (...)Où le charme du vieux monde s'allie aux nouvelles méthodes commerciales,où de braves blancs et de joyeux moricauds se traitent avec affabilitéJamais une ombre ne passe sur son visage à moins que l'on évoque le match Tulane-LSU de l'an dernier.

Il s'étendit à ses côtés,plus ou moins rempli de tristesse,lui embrassa les lèvres et les paupières en lui susurrant de doux mots d'amour dans le creux de l'oreille,lui disant combien elle était charmante.Mais moi,se demandait-il,que suis-je? Ni chrétien,ni païen,ni plein de fougue amoureuse d'un gentleman qui se respecte,car je n'ai jamais rien compris au fond,à toute cette histoire de dame et de putain.Et tout ce que je veux et ça ne me semble pas trop demander,c'est d'y comprendre quelque chose, une bonne fois pour toutes.
"Je t'aime Kitty,lui dit-il,je rêve de t'aimer le matin...