Citations de Walker Percy (33)
Ils croient que je suis sur le point de me suicider. Quelle blague ! En vérité, c'est exactement le contraire ! Le suicide est la seule chose qui me garde en vie. Quand tout s'écroule autour de moi, tout ce que j'ai à faire c'est d'envisager le suicide et en deux secondes, je suis aussi gaie qu'un simple d'esprit. Mais si je ne pouvais pas me tuer, - alors oui, je le ferais.
[...] elle pensait que je parlais de littérature ou de politique, comme dans un club de lecture. Bon sang, je me suis dit : Est-ce que c'est ça que je fais ?
C'est un cinéphile, même si, bien sûr, il ne va jamais au cinéma.
Qu'est-ce qu'une répétition ? C'est la reconstitution d'une expérience passée dans le but d'isoler le segment de temps révolu afin qu'il - le segment révolu - puisse être savouré par lui-même, sans l'altération habituelle des événements qui encombrent le temps comme les amandes dans une barre de nougat. La semaine dernière, par exemple, j'ai fait l'expérience d'une répétition accidentelle. A la bibliothèque, j'ai remarqué dans une revue allemande une réclame pour la crème Nivea qui montrait une femme, son visage grenu levé vers le soleil. Je me suis souvenu d'avoir vu la même réclame, il y a vingt ans, dans une revue sur le bureau de mon père, la même femme, le même visage grenu, la même crème Nivea. Les événements des vingt dernières années étaient neutralisés, les trente millions de morts, les innombrables torturés et tous les déplacés. Rien d'important ne pouvait avoir eu lieu parce que la crème Nivea était exactement comme avant. Il ne restait que le temps lui-même, pareil à un long mètre de nougat parfaitement lisse.
De nos jour, quand quelqu'un vit quelque part, dans un quartier donné, l'endroit n'est pas certifié en ce qui le concerne. Vraisemblablement il y mènera une existence misérable et le néant qui le ronge finira par s'étendre et par vider de sa substance le quartier tout entier. Mais s'il voit un film qui montre son propre quartier, il lui sera possible, au moins pour un temps de vivre comme quelqu'un qui vit Quelque Part plutôt que Nulle Part.
[...] les gens qui ont un hobby stimulant souffrent du désespoir le plus pernicieux car ils sont tranquillisés, à l'intérieur de leur désespoir.
As-tu remarqué que les gens ne sont réels qu'en cas de maladie, de désastre ou de mort ?
Il y a plaisir à remplir ses devoirs de citoyen et à recevoir en retour un certificat ou une carte plastifiée portant votre nom et vous accordant, pour ainsi dire, le droit à l’existence. C’est avec beaucoup de fierté que, pour recevoir ma vignette, je suis le premier à présenter, chaque année, ma voiture au contrôle technique. Je suis abonné à la revue des consommateurs, ce qui me permet d’avoir un téléviseur de première qualité, un climatiseur quasi silencieux et un déodorant très efficace. Mes aisselles ne sentent jamais mauvais. J’écoute avec la plus grande attention à la radio les conseils concernant la santé mentale, les sept symptômes du cancer, les devoirs du bon automobiliste (encore que, comme je I’ai dit, je préfère, en général, prendre l’autobus). Hier, un de mes acteurs préférés, William Holden, a déclaré à la radio, à propos des gens qui jettent leurs papiers dans la rue : « Soyons réalistes, personne ne peut régler ce problème, sauf vous et moi. » Très juste. Depuis, je fais attention.
Au dessus de l'entrée de notre cinéma de quartier, on peut lire en permanence: "Ici, le bonheur ne coûte pas cher". Et il est vrai que je suis heureux au cinéma, même si le film est mauvais. Beaucoup de gens, je l'ai lu quelque part, passent leur vie à chérir les moments inoubliables de leur passé: la découverte du Parthénon à l'aube, la rencontre, une nuit d'été dans Central Park, d'une belle fille solitaire avec laquelle on saura établir des rapports tendres et naturels, pour parler comme les livres. Moi aussi un soir j'ai rencontré une fille dans Central Park, mais je n'en conserve pas un très grand souvenir. Ce dont je me souviens par contre, c'est du moment où, dans La Chevauchée fantastique, John Wayne tue trois hommes avec sa carabine, tout en se jetant sur le sol dans la rue poussiéreuse, et de celui où, dans Le Troisième Homme, le petit chat découvre Orson Welles dans l'embrasure d'une porte.
Je vide d'un trait mon Tang - vodka aux œufs de cane additionné de Tabasco. Je me sens déjà requinqué.
Savez-vous ce qui m'était arrivé au cours des vingt dernières années ? Un lent, si lent glissement de ma vie dans une profond rêverie que rien ne me permettait d'affirmer qu'il se passait quelque chose. Qui sait, peut-être ne s'était-il rien passé
Nous nous serrons la main et nous nous quittons bons copains.
Mais bons copains ou pas, il faut absolument que je sorte le plus vite possible. A dire vrai, trop de camaraderie me rend nerveux. Une minute de plus et la salle de bal elle-même va se charger de malaise. Déjà le poêle de cellophane a des lueurs de mauvais augure.
Quelquefois, je suis frappé par le fait que, quand ma mère mentionne Dieu, elle se sert de lui, ni plus ni moins, comme de l'un des expédients dont on peut, dans le monde révoltant des hommes, se servir, avec tout le reste, pour accomplir la seule tâche qui lui semble utile : la maîtrise circonspecte des secousses de le vie. C'est un marché qu'elle a passé, au tout début, en acceptant un amoindrissement général des choses, des bonnes comme des mauvaises. De la même façon, elle se méfie de la bonne fortune et dresse des murs contre la mauvaise et il me semble parfois l'entrevoir dans ses yeux, cette radicale défiance : la vielle lueur du savoir, aussi vieille et rusée qu'Eve elle-même.
Le plus délirant dans l'histoire, c'est que les gens de cinéma faisaient trafic d'illusions dans un monde réel, alors que ce même monde estimait quant à lui que sa propre réalité n'existait qu'au sein de l'illusion.
C'était un abruti mais il avait de la grâce. C'était un espace vide empli par la vision d'un autre. Un bon acteur.
Savez-vous ce qu'est la jalousie ? La jalousie est une altération de la forme même du temps. Le temps perd sa structure. Le temps s'étire. Elle n'est pas là. Où est-elle ? Avec qui est-elle ? Le temps n'en finit pas. Les minutes et les heures s'écoulent une à une. Que fait-elle ? Tout est possible. Elle n'était pas là. Son absence était comme une absence d'oxygène. Que faire de toute cette journée devant moi ? Dans ma poitrine, un étau se resserra.
Si je l'aimais ? Je ne suis pas sûr de comprendre ce que veulent dire les mots, mais je l'aimais, si l'aimer c'était la désirer à chaque minute, chaque seconde, désirer ne fût-ce que poser mes yeux sur elle, à en perdre le souffle dès que qu'elle s'éloignait de moi, à en avoir le cœur en fête dès qu'elle réapparaissait à l'horizon comme, de retour au pays, l'exilé retrouvant le bonheur des siens.
Ce n'est pas le sang versé qui fait l'atrocité de la violence, mais son absence de sens. Elle ne signifie rien.
Il est si difficile de parler aux gens, de rester planter là à se demander que dire et que faire de ses yeux. Qui sait s'il n'est pas plus facile d'être fou que de s'accommoder des silences des gens.
Prenons les chrétiens. Je suis entouré de chrétiens. Ce sont, dans l'ensemble, des gens agréables, nullement déplaisants, sans différence notables par rapports aux autres croyants – bien qu'ils aient (les chrétiens de Sud, des Etats-unis, du monde occidental) exterminé plus d'êtres humains au cours des siècles récents que tous les autres groupes réunis. Pourtant je ne peux pas être certain qu'ils ne détiennent pas la vérité. Mais s'ils la détiennent, pourquoi sont-ils donc répugnants justement dans la mesure où ils embrassent et arborent cette vérité ?